Il devait penser que j’étais encore interdit aux mineurs et qu’il y avait des choses que je ne devais pas savoir. En ce moment, je devais avoir sept ans ou peut-être huit, je ne peux pas vous dire au juste parce que je n’ai pas été daté, comme vous allez voir quand on se connaîtra mieux, si vous trouvez que ça vaut la peine.

Momo ne connaît pas son âge, mais il connaît le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et, conformément à ce droit sacré à la dignité, Madame Rosa, ancienne prostituée reconvertie en nounou pour « enfants de putes », n’est pas obligée d’aller à l’hôpital. Il va donc tout mettre en œuvre pour la préserver contre l’acharnement thérapeutique. Car, s’il sait que l’on peut vivre sans amour, il sait aussi reconnaître cette chose formidable quand elle se présente. Il sait que sans l’amour qu’elle lui infuse, sans l’amour qui déborde de son propre cœur, en vrac pourvu que ça sorte, la vie serait une lutte perdue d’avance pour les petits pensionnaires de la rue Bisson, à Belleville.

Pour nous parler d’un monde à part où les prostituée sont « des personnes qui se défendent avec leur cul », où les enfants vendent les chiens parce qu’ils les aiment trop, où les gens ont une grandeur d’âme insoupçonnée, Momo amalgame les mots sans toujours en saisir le sens, ce qui donne lieu à des phrases souvent incorrectes, mais toujours vraies et parfois même très crues. Cette œuvre bouleversante mais jamais larmoyante, publiée sous le nom d’Émile Ajar, a remporté le Goncourt 1975, inscrivant ainsi Romain Gary dans la légende, puisqu’il est le seul romancier à avoir décroché deux fois le prestigieux prix.

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