– Monsieur Floche, lui dis-je, pourquoi ne venez-vous jamais à Paris? on serait si heureux de vous y voir.

– À mon âge, les déplacements sont difficiles et coûteux.

– Et vous ne regrettez pas trop la ville?

– Bah! fit-il en soulevant les mains, je m’apprêtais à la regretter davantage. Les premiers temps, la solitude de la campagne paraît un peu sévère à quiconque aime beaucoup causer; puis on s’y fait.

– Ce n’est donc pas par goût que vous êtes venu vous installer à la Quartfourche?

Il se dégagea de sa chancelière, se leva, puis posant sa main familièrement sur ma manche:

– J’avais à l’Institut quelques collègues que j’affectionne, dont votre cher maître Albert Desnos; et je crois bien que j’étais en passe de prendre bientôt place auprès d’eux…

Il semblait vouloir parler davantage; pourtant je n’osais poser question trop directe:

– Est-ce Madame Floche qu’attirait à ce point la campagne?

– N… on. C’est pourtant pour Madame Floche que j’y suis venu; mais elle-même y était appelée par un petit événement de famille.

Il était descendu dans la grande salle et aperçut la liasse que j’avais déjà reficelée.

– Ah! vous avez déjà tout regardé, dit-il tristement. Sans doute aurez-vous trouvé là peu de provende. Que voulez-vous? les moindres miettes je les ramasse; parfois je me dis que je perds mon temps à collectionner des broutilles; mais peut-être faut-il des hommes comme moi pour épargner ces menus travaux à d’autres qui comme vous, en sauront tirer un brillant parti. Quand je lirai votre thèse je serai heureux de me dire que ma peine vous aura un tout petit peu profité.

La cloche du goûter nous appela.

Comment arriver à connaître quel «petit événement de famille», pensais-je, a suffi pour décider ainsi ces deux vieux? L’abbé le connaît-il? Au lieu de me butter contre lui, j’aurais dû l’apprivoiser. N’importe! Trop tard à présent. Il n’en reste pas moins que Monsieur Floche est un digne homme et dont je garderai bon souvenir…

Nous arrivâmes dans la salle à manger.

– Casimir n’ose pas vous demander si vous ne feriez pas encore un petit tour de jardin avec lui; je sais qu’il en a grande envie, dit Madame Floche; mais le temps vous manquera peut-être?

L’enfant qui plongeait le visage dans un bol de lait s’engoua.

– J’allais lui proposer de m’accompagner; j’ai pu mettre au pair mon travail et vais être libre jusqu’au départ. Précisément il ne pleut plus… Et j’entraînai l’enfant dans le parc.

Au premier détour de l’allée, l’enfant qui tenait une de mes mains dans les deux siennes, longuement la pressa contre son visage brûlant:

– Vous aviez dit que vous resteriez huit jours…

– Mon pauvre petit! je ne peux pas rester plus longtemps.

– Vous vous ennuyez.

– Non! mais il faut que je parte.

– Où allez-vous?

– À Paris. Je reviendrai.

À peine eus-je lâché ce mot qu’il me regarda anxieusement.

– C’est bien vrai? Vous le promettez?

L’interrogation de cet enfant était si confiante que je n’eus pas le cœur de me dédire:

– Veux-tu que je t’écrive sur un petit papier que tu garderas?

– Oh! oui, fit-il en embrassant ma main bien fort et manifestant sa joie par des bondissements frénétiques.

– Sais-tu ce qui serait gentil, maintenant? Au lieu d’aller pêcher, nous devrions cueillir des fleurs pour ta tante; on irait tous les deux lui porter un gros bouquet dans sa chambre pour lui faire une belle surprise.

Je m’étais promis de ne point quitter la Quartfourche sans avoir visité la chambre d’une des vieilles dames; comme elles circulaient continuellement d’un bout à l’autre de la maison, je risquais fort d’être dérangé dans mon investigation indiscrète; je comptais sur l’enfant pour autoriser ma présence; si peu naturel qu’il pût paraître que je pénétrasse à sa suite dans la chambre de sa grand-mère ou de sa tante, grâce au prétexte du bouquet trouverais-je, en cas de surprise, une facile contenance.

Mais cueillir des fleurs à la Quartfourche n’était pas aussi aisé que je le supposais. Gratien exerçait sur tout le jardin une surveillance farouche; non seulement il indiquait les fleurs qui supportaient d’être cueillies, mais encore était-il jalousement regardant sur la manière de les cueillir. Il y fallait sécateur ou serpette et, de plus, quelles précautions! C’est ce que Casimir m’expliquait. Gratien nous accompagna jusqu’au bord d’une corbeille de dahlias superbes où l’on pouvait prélever maints bouquets sans que seulement il y parût.

– Au-dessus de l’œil, Monsieur Casimir, combien de fois faut-il qu’on vous le répète? coupez toujours au-dessus de l’œil.

– En cette fin de saison, cela n’a plus aucune importance, m’écriai-je impatiemment.

Il répondit en grommelant que «ça a toujours de l’importance» et que «il n’y a pas de saison pour mal faire». J’ai horreur des bougons sentencieux…

L’enfant me précéda, portant la gerbe. En passant dans le vestibule je m’étais emparé d’un vase…

Dans la chambre régnait une paix religieuse; les volets étaient clos; près du lit enfoncé dans une alcôve, un prie-Dieu d’acajou et de velours grenat au pied d’un petit crucifix d’ivoire et d’ébène; contre le crucifix, le cachant à demi, un mince rameau de buis suspendu à une faveur rose et maintenu sous un bras de la croix. Le recueillement de l’heure appelait la prière; j’oubliais ce que j’étais venu faire et la vaine curiosité qui m’avait attiré en ce lieu; je laissais Casimir apprêter à son gré les fleurs sur une commode, et je ne regardais plus rien dans la chambre: C’est ici, dans ce grand lit, pensais-je, que la bonne vieille Floche achèvera bientôt de s’éteindre, à l’abri des souffles de la vie… Ô barques qui souhaitez la tempête! que tranquille est ce port!

Casimir cependant s’impatientait contre les fleurs; les capitules pesants des dahlias l’emportaient; tout le bouquet cabriolait à terre.

– Si vous m’aidiez, dit-il enfin.

Mais tandis que je m’évertuais à sa place, il courait à l’autre bout de la pièce vers un secrétaire qu’il ouvrait.

– Je vais vous faire le billet où vous promettez de revenir.

– C’est cela, repartis-je, me prêtant à la simagrée. Dépêche-toi. Ta tante serait très fâchée si elle te voyait fouiller dans son secrétaire.

– Oh! ma tante est occupée à la cuisine; et puis elle ne me gronde jamais.

De son écriture la plus appliquée il couvrit une feuille de papier à lettre.


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