Seul, j'étais resté immobile sur mon siège, révolté de l'horrible profanation qui allait se commettre sous mes yeux; mais les deux vigoureux mulâtres qui me gardaient dérobèrent mon siège sous moi, me poussèrent rudement par les épaules, et je tombai à genoux comme les autres, contraint de rendre un simulacre de respect à ce simulacre de culte.

L'obi officia gravement. Les deux petits pages blancs de Biassou faisaient les offices de diacre et de sous-diacre.

La foule des rebelles, toujours prosternée, assistait à la cérémonie avec un recueillement dont le généralissime donnait le premier l'exemple. Au moment de l'exaltation, l'obi, élevant entre ses mains l'hostie consacrée, se tourna vers l'armée, et cria en jargon créole: – Zoté coné bon Giu; ce li mo fe zoté voer. Blan touyé li, touyé blan yo toute. [21] À ces mots, prononcés d'une voix forte, mais qu'il me semblait avoir déjà entendue quelque part et en d'autres temps, toute la horde poussa un rugissement; ils entrechoquèrent longtemps leurs armes, et il ne fallut rien moins que la sauvegarde de Biassou pour empêcher que ce bruit sinistre ne sonnât ma dernière heure. Je compris à quels excès de courage et d'atrocité pouvaient se porter des hommes pour qui un poignard était une croix, et sur l'esprit desquels toute impression est prompte et profonde.

[21] Vous connaissez le bon Dieu; c'est lui que je vous fais voir. Les blancs l'ont tué; tuez tous les blancs. Depuis, Toussaint Louverture avait coutume d'adresser la même allocution aux nègres. après avoir communié.



Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: