— Chaque expédition astrale est un rêve longuement caressé, un espoir nourri durant des années, un degré de plus dans la grande ascension. D’autre part, c’est un labeur de millions d’hommes, qui ne peut manquer de produire sur le science ou l’économie l’effet nécessaire à notre progrès, à la conquête systématique de la nature. C’est pourquoi nous discutons, réfléchissons et calculons dûment, avant de lancer un nouvel astronef dans les espaces interstellaires.

Notre devoir nous a contraints d’envoyer la 37e expédition pour élucider le sort de Zirda, au lieu de poursuivre les recherches. L’étude du projet de la 38e n’en a été que plus minutieuse.

L’année dernière, il s’est produit des événements qui ont modifié la situation et qui nous obligent à réviser l’itinéraire et le but de l’expédition approuvés par les Conseils précédents et l’opinion publique. L’invention de méthodes de traitement des alliages sous haute pression et à la température du zéro absolu a amélioré la résistance des corps d’astronefs. Le perfectionnement des moteurs à anaméson, devenus plus économiques, permet d’effectuer des vols à plus longue distance avec un seul vaisseau. Les astronefs Aella et Tintagel, destinés à la 38e expédition, sont désuets en comparaison du Cygne qu’on vient de construire, engin sphérique de type vertical, muni de quatre quilles d’équilibre. Nous pouvons d’ores et déjà entreprendre des vols plus lointains.

Erg Noor, revenu sur la Tantra de la 37e expédition, a annoncé la découverte d’une étoile noire de classe T, dont une des planètes porte les restes d’un astronef de structure inconnue. La tentative de pénétrer à l’intérieur de l’appareil a failli provoquer une catastrophe, mais on a quand même réussi à rapporter un fragment de la cuirasse métallique. Cette matière mystérieuse ressemble au quatorzième isotope de l’argent, décelé sur les planètes d’une étoile très chaude de classe 08, que l’on connaît depuis longtemps sous le nom de zêta de la Carène.

La forme de l’astronef: un disque biconvexe, à surface spirale: est étudiée à l’Académie des Limites du Savoir.

Junius Ante a revu tous, les enregistrements des informations transmises par l’Anneau depuis les huit cents ans que nous y avons adhéré. Ce type d’astronef est irréalisable par notre science. On l’ignore dans les mondes de la Galaxie avec lesquels nous échangeons des messages.

Le vaisseau discoïde géant est certainement un hôte de planètes très lointaines, peut-être même de mondes situés en dehors des galaxies. Il a pu vagabonder des millions d’années avant d’atterrir sur cette planète de l’étoile de fer, à la périphérie déserte de notre Voie lactée.

Inutile d’insister sur l’importance de son étude par une expédition spéciale envoyée vers l’étoile T.

Grom Orm brancha l’écran hémisphérique, et la salle disparut. Les enregistrements des machines mnémotechniques défilaient lentement sous les yeux des spectateurs.

— Voici un message récent de la planète ZR 519; je vous fais grâce des coordonnées complètes. C’est le compte rendu de leur expédition dans le système de l’étoile Achernard.

La disposition des étoiles semblait bizarre et l’œil le plus exercé n’aurait pu y reconnaître des astres familiers. C’étaient des étendues de gaz phosphorescents, des nuages opaques, de grandes planètes refroidies qui renvoyaient la clarté d’un astre excessivement brillant.

D’un diamètre à peine trois fois et demie plus grand que le Soleil, Achernard, étoile bleue de classe spectrale B 5, était deux cent quatre-vingts fois plus lumineux.,Le vaisseau cosmique s’était éloigné après avoir pris le cliché. Des dizaines d’années de voyage avaient sans doute passé… Un autre astre, étoile verte de classe S, apparut sur l’écran. Elle grandissait et sa lumière s’intensifiait à mesure que l’astronef étranger s’en approchait. La surface d’une nouvelle planète surgit. Les spectateurs virent un paysage de hautes montagnes où se jouaient toutes les nuances imaginables de clarté verte. Ombres vert foncé des gorges profondes et des escarpements, vert-bleu et vert-mauve des roches et des vallées éclairées, neiges glauques des cimes et des plateaux, vert-jaune des terrains brûlés par l’astre ardent. Des torrents de malachite coulaient vers des lacs et des mers dissimulés derrière les crêtes…

Plus loin, une plaine mamelonnée s’étendait jusqu’au bord de la mer qui semblait de loin une tôle verte. Les arbres bleus, au feuillage touffu, poussaient autour de clairières où des herbes et des buissons étranges dessinaient des taches et des bandes pourpres. Et un flot puissant de rayons d’or vert se déversait du ciel d’améthyste. Les hommes de la Terre étaient saisis d’admiration devant cette planète splendide. Mven Mas fouillait dans sa puissante mémoire pour situer exactement l’astre vert. Des pensées rapides traversaient son cerveau:

— Achernard, l’étoile alfa d’Eridan, est au zénith du ciel austral, près du Toucan… Vingt et un parsecs de distance… L’astronef ne peut revenir du vivant de l’équipage…

L’écran s’éteignit, et la vue «le la salle close, adaptée aux conseils des terriens, parut bien singulière aux spectateurs.

— Cette étoile verte, reprit le président, dont les raies spectrales témoignent d’une forte proportion de zirconium, est un peu plus grande que notre Soleil.

Grom Orm cita rapidement les coordonnées de l’astre.

— Son système, continua-t-il, comprend deux planètes jumelles qui tournent l’une en face de l’autre à une distance de l’étoile correspondant à l’énergie reçue du Soleil par la Terre.

La densité, la composition de l’atmosphère et la quantité d’eau sont analogues aux conditions terrestres. Telles sont les données préliminaires de l’expédition de la planète ZR 519. Elles attestent aussi l’absence de vie supérieure sur les planètes jumelles. La vie supérieure, pensante, transforme la nature au point qu’on la remarque même au passage, du bord d’un astronef volant très haut. Cette vie ne peut sans doute pas se développer, ou son temps n’est pas encore venu. C’est une chance rare, car l’existence d’une vie supérieure nous aurait interdit l’accès du monde de l’étoile verte. Il y a plus de sept siècles, en l’an soixante-douze de l’Ere de l’Anneau, nos ancêtres ont envisagé la possibilité de peupler les planètes où s’est déjà créée une vie pensante, en admettant même qu’elle n’ait pas atteint le niveau de notre civilisation. Mais on a conclu dès lors que toute intrusion de ce genre entraînerait inévitablement des actes de violence dus à l’incompréhension.

Nous connaissons aujourd’hui la diversité des mondes de notre Galaxie: étoiles bleues, vertes, jaunes, blanches, rouges, orangées, comprenant toutes de l’hydrogène et de l’hélium, mais se distinguant par la nature de leurs noyaux et de leurs enveloppes — de carbone, de cyanure, de titane, de zirco-nium — par le caractère des radiations, la température. Planètes qui diffèrent tant par leur volume et leur densité que par la composition et l’épaisseur de l’atmosphère, la distance au soleil, les conditions de rotation… Mais nous savons autre chose: notre Terre dont l’eau recouvre 70 % de la surface et qui se trouve assez près du Soleil pour en recevoir une puissante réserve d’énergie est la base d’une vie intense, telle qu’on en rencontre rarement dans le Cosmos, une vie riche en masse biologique et sujette à des transformations continuelles.


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