«Que Votre Excellence soit sans inquiétude», me dit-il.

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Il se posta à l’arrière du bâtiment, de façon à avoir une de ses narines dirigée sur la flotte turque et l’autre sur nos voiles; puis il se mit à souffler avec une telle violence que la flotte fut refoulée dans le port avec bris de mâts, de cordages et d’agrès, et qu’en même temps mon navire atteignit en quelques heures les côtes d’Italie.

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Je ne tirai cependant pas grand profit de mon trésor. Car, malgré les affirmations contraires de M. le bibliothécaire Jagemann de Weimar, la mendicité est si grande en Italie et la police si mal faite, que je dus distribuer en aumônes la plus grande partie de mon bien. Le reste me fut pris par des voleurs de grand chemin, aux environs de Rome, sur le territoire de Lorette. Ces drôles ne se firent aucun scrupule de me dépouiller ainsi, car la millième partie de ce qu’ils me volèrent eût suffi à acheter à Rome une indulgence plénière pour toute la compagnie et ses descendants et arrière-descendants.

Mais voici, messieurs, l’heure où j’ai l’habitude de m’aller coucher. Ainsi donc, bonne nuit!

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CHAPITRE XII Septième aventure de mer. Récits authentiques d’un partisan qui prit la parole en l’absence du baron.

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Après avoir racontée l’aventure qui précède, le baron se retira, laissant la société en belle humeur; en sortant, il promit de donner à la première occasion les aventures de son père, jointes à d’autres anecdotes des plus merveilleuses.

Comme chacun disait son mot sur les récits du baron, une des personnes de la société, qui l’avait accompagné dans son voyage en Turquie, rapporta qu’il existait non loin de Constantinople une pièce de canon énorme, dont le baron Tott a fait mention dans ses Mémoires. Voici à peu près, autant que je m’en souviens, ce qu’il en dit:

«Les Turcs avaient posé sur la citadelle, non loin de la ville, au bord du célèbre fleuve le Simoïs, un formidable canon. Il était coulé en bronze, et lançait des boulets de marbre d’au moins onze cents livres. J’avais grand désir de tirer ce canon, dit le baron Tott, pour juger de son effet. Toute l’armée tremblait à la pensée de cet acte audacieux, car on tenait pour certain que la commotion ferait crouler la citadelle et la ville entière. J’obtins cependant la permission que je demandais. Il ne fallut pas moins de trois cent trente livres de poudre pour charger la pièce; le boulet que j’y mis pesait, comme je l’ai dit plus haut, onze cents livres. Au moment où le canonnier approcha la mèche, les curieux qui m’entouraient se reculèrent à une distance respectueuse. J’eus toutes les peines du monde à persuader au pacha, qui assistait à l’expérience, qu’il n’y avait rien à redouter. Le canonnier lui-même, qui devait sur mon signal mettre le feu à la pièce, était extrêmement ému. Je me postai derrière la place, dans un réduit; je donnai le signal, et au même instant je ressentis une secousse pareille à celle que produirait un tremblement de terre. À environ trois cents toises le boulet éclata en trois morceaux qui volèrent par-dessus le détroit, refoulèrent les eaux sur la rive, et couvrirent d’écume le canal, tout large qu’il était.»

Tels sont, messieurs, si ma mémoire me sert bien, les détails que donne le baron Tott sur le plus grand canon qu’il y ait eu au monde. Lorsque je visitai ce pays avec le baron de Münchhausen, l’histoire du baron Tott était encore citée comme un exemple de courage et de sang-froid.

Mon protecteur, qui ne pouvait supporter qu’un Français fît plus et mieux que lui, prit le canon sur son épaule et, après l’avoir placé bien en équilibre, sauta droit dans la mer, et nagea jusqu’à l’autre bord du canal. Malheureusement il eut la fâcheuse idée de lancer le canon dans la citadelle et de le renvoyer à première place: je dis malheureusement, parce qu’il lui glissa de la main au moment où il le balançait pour le jeter: de sorte que la pièce tomba dans le canal, où elle repose encore et où elle reposera probablement jusqu’au jour du Jugement dernier.

Ce fut cette affaire, messieurs, qui brouilla complètement le baron avec le Grand Seigneur. L’histoire du trésor était depuis longtemps oubliée, car le sultan possédait assez de revenus pour remplir à nouveau sa caisse, et c’était sur une invitation directe de Grand Seigneur que le baron se trouvait en ce moment en Turquie. Il y serait probablement encore si la perte de cette célèbre pièce de canon n’avait mécontenté le souverain à ce point qu’il donna l’ordre irrévocable de trancher la tête du baron.

Mais une certaine sultane, qui avait pris mon maître en grande amitié, l’avertit de cette sanguinaire résolution: bien plus, elle le tint caché dans sa chambre, tandis que l’officier chargé de l’exécution le cherchait de tous côtés. La nuit suivante, nous nous enfuîmes à bord d’un bâtiment qui mettait à la voile pour Venise, et nous échappâmes heureusement à cet affreux danger.

Le baron n’aime pas à parler de cette histoire, parce que cette fois il ne réussit pas à exécuter ce qu’il avait entrepris, et aussi parce qu’il faillit y laisser sa peau. Cependant, comme elle n’est nullement de nature à blesser son honneur, j’ai coutume de la raconter quand il a le dos tourné.

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Maintenant, messieurs, vous connaissez à fond le baron de Münchhausen, et j’espère que vous n’avez plus aucun doute à élever à l’endroit de sa véracité; mais afin que vous ne puissiez point non plus soupçonner la mienne, il faut que je vous dise en peu de mots qui je suis.

Mon père était originaire de Berne en Suisse. Il y exerçait l’emploi d’inspecteur des rues, allées, ruelles et ponts; ces sortes de fonctionnaires portent dans cette ville le titre, le titre… hum!… le titre de balayeurs. Ma mère, native des montagnes de la Savoie, portait au cou un goitre d’une grosseur et d’une beauté remarquables, ce qui n’est pas rare chez les dames de ce pays. Elle abandonna fort jeune ses parents, et sa bonne étoile l’amena dans la ville où mon père avait reçu le jour. Elle vagabonda quelque peu: mon père ayant parfois le défaut analogue, ils se rencontrèrent un jour dans la maison de détention. Ils devinrent amoureux l’un de l’autre et se marièrent. Cette union ne fut pas heureuse; mon père ne tarda pas à quitter ma mère en lui assignant pour toute pension alimentaire le revenu d’une hotte de chiffonnier qu’il lui mit sur le dos. La brave femme s’attacha à une troupe ambulante qui montrait des marionnettes; la fortune finit par la conduire à Rome, où elle établit un commerce d’huîtres.

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Vous avez sans doute entendu parler du pape Ganganelli, connu sous le nom de Clément XIV, et vous savez combien il aimait les huîtres. Un vendredi qu’il allait en grande pompe dire la messe à l’église de Saint-Pierre, il aperçut les huîtres de ma mère – elles étaient remarquablement belles et extrêmement fraîches, m’a-t-elle dit souvent – et ne put faire autrement que de s’arrêter pour en goûter; il fit faire halte aux cinq cents personnes qui le suivaient, et envoya dire à l’église qu’il ne pourrait pas célébrer la messe ce matin-là. Il descendit de cheval – car les papes vont à cheval dans les grandes occasions -, entra dans la boutique de ma mère, et avala toutes les huîtres qui s’y trouvaient; mais comme il y en avait encore à la cave, il appela sa suite qui épuisa complètement la provision: le pape et ses gens restèrent jusqu’au soir, et avant de partir ils l’accablèrent d’indulgences non seulement pour ses fautes passées et présentes, mais encore pour tous ses péchés à venir.


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