7 “ TechnoPol Zombies ”

Ils étaient six. Et j’en connaissais trois.

Putain, je me suis dit, c’est jour de chance.

Les mecs faisaient partie d’une unité que je connaissais bien, pour l’avoir fréquenté juste après la “ Cellule Cyclope ”: les “ TechnoPol Zombies ”.

Faire partie des Zombies, à l’inverse de la “ cellule-à-un-oeil ”, c’est considéré comme une promotion, à la TechnoPol. C’est le service Action Spéciale de cette émanation multiforme du Ministère de la Justice Eurofédéral. Le bras séculier de l’idéologie Onuzie, dirait Youri.

Les six mecs tenaient des petits HK à micro-munitions (deux cents cartouches par chargeur), portaient des combinaisons à protections pare-balles intégrées, noires, mais je savais qu’il s’agissait de costumes électroniques, des trucs qui sont pas exactement ce qu’ils donnent à voir, pour les yeux humains, comme pour les senseurs d’une neuromatrice.

Ça suffisait pas pour expliquer les soudaines faiblesses de Sub-Commandante Zero, mais c’était assez pour que je sache qu’ils étaient en train d’enregistrer tout ce qui passait.

Les trois que je connaissais avaient rabaissé les capuches de leurs systèmes NBC, et seuls leurs yeux disparaissaient derrière les optiques noires, mais les trois autres gardaient leur bazar fermé, leurs visages disparaissaient entièrement derrière un rideau couleur charbon, sans tain, vaguement mercurisé.

Fallait que je la joue hyper-serrée.

– Salut, j’ai fait au premier d’entre eux, un mec surnommé Clando qui avait suivi un parcours parallèle au mien à la TechnoPol, “ Cellule Cyclope ”, puis Zombies, j’vous ai pas entendus frapper avant d’entrer.

Clando, un grand mec roux à la stature de Viking, s’est approché de moi.

– C’est parce qu’on frappe après, qu’il a dit.

Et il m’a envoyé son poing en pleine gueule.

J’ai valsé en arrière et j’ai titubé, sonné, comme un clown sur un trottoir roulant.

Je l’ai aperçu qui venait sur moi, derrière un voile rougeoyant, fantôme à la chevelure orange et aux yeux d’insecte.

J’ai balancé mon pied en avant et je l’ai eu quelque part dans le bide. Les deux autres se jetaient déjà sur moi. Des types d’une Brigade d’Intervention Territoriale de la conurb nord que j’avais croisés lors de ma première affectation. Deux gros flics de base, cons et hyper-efficaces, dont les noms ne me revenaient pas.

Ils s’y sont mis tous les trois, les trois que je connaissais, sans vergogne. Ils m’ont salement dérouillé. Pendant ce temps, les trois autres, aux visages de carbone impénétrables, observaient la scène comme de grosses mantes religieuses attentives devant une fourmilière. Ils se sont arrêtés juste avant que je tombe pour de bon dans les pommes. Je reconnaissais le travail soigné des Brigades de la ceinture nord. L’interrogatoire pouvait commencer dans les règles.

C’est Clando qui menait la danse, l’avait pris du galon c’t’enflure. Les deux autres cognaient à tour de rôle, et lui il posait les questions. Le trio masqué restait juste à la périphérie, sauf celui du centre, qui s’était légèrement avancé.

J’ai tous les détails en tête. Comment un des types masqués s’est mis à brancher tout un tas de bidules que je connaissais pas à Sub-Commandante Zero, à un moment donné. Et comment il a essayé de récupérer un max d’infos, alors que ma neuromatrice s’auto-effaçait le plus vite possible (ça prend quand même du temps, avec seize milliards de neuroprocesseurs). L’autre passait au scanner portable tous les coins et recoins de l’appart. Seul celui du centre est resté jusqu’ au bout, un peu derrière Clando.

Pendant ce temps-là, le dialogue ça a donné à peu près ça:

– Alors, Dantzik, tu t’amuses à faire joujou avec l’Electronucléaire de France?

– J’vois pas de quoi tu parles, Clando, mais sûr que c’est pas le genre de joujou que t’affectionnes… C’est vrai que t’as toujours besoin d’une pompe Aphrodix au moment crucial?

– Tape, Grognard.

Voilà, Grognard je me suis dit, en me rappelant le nom du gros mec aux cheveux broussailleux qui m’ envoyait la taloche.

Du plat de la main. Sur la tempe. Hyper-pro.

J’ai valsé de la chaise avec un voile de toutes les couleurs devant les yeux.

– Remets-le sur la chaise, Susak.

Susak, je me suis dit en identifiant l’autre, un épais alcoolique au visage boursouflé par la couperose qui m’a soulevé comme un oreiller et m’a tapoté gentiment le bide en me recalant contre le dossier.

– Ça va aller, Dantzik? qu’il m’a sorti, sur le mode humanitaire à la mode.

– Ça ira mieux quand je vous collerai contre un mur, les uns après les autres.

Ça les a juste fait rire sèchement.

– Bon, je reprends, Dantzik, et on rigole pas, j’ai un putain de gros mandat bleu et blanc sur moi, t’es sous juridiction spéciale de l’ONU, t’as enfreint des lois eurofédérales, alors tu vois, j’ai douze heures de garde à vue devant moi, sans avocat, sans rien, tu connais le topo…

– J’connais le topo, j’ai répondu, mais je vois pas de quoi vous parlez, la dernière fois que j’ai fait péter une bombe, vers 1945, y’a plus que les Japs qui s’en souviennent

– Vas-y, Susak.

– Excuse-moi, vieux.

La beigne m’est arrivée sur la tempe gauche, réplique de la précédente.

– Remets-le sur la chaise, Grognard.

J’avais la gueule d’un réacteur qui souhait comme une trombe au centre de ma tête. Ça vrombissait et je voyais trouble.

Je me suis à peine rendu compte qu’on me réinstallait.

– Bien, a repris Clando, je vais encore te laisser une chance. La carotte: si tu nous allonges qui a commandité l’opération, je te promets qu’on dira que t’as été coopératif.

– Okay, j’ai craché avec un filet de sang, et le bâton?

– Le bâton, c’est que si tu lâches pas le morceau, on va passer aux choses sérieuses. Un shoot de ParanoMétanol, sûr que ça va te faire remonter des souvenirs.

Le fumier, je connais ce genre de saloperie, ça vous fait entrer dans des états psychotiques cauchemardesques. Et puis j’en avais marre du couple Grognard-Susak-beigne gauche-beigne droite, j’étais pas prêt à supporter ça toute une journée.

– Qu’est-ce que tu veux savoir? j’ai lâché, dans un soupir.

Ma vue avait du mal à se stabiliser, j’avais un mal de crâne terrible. Je crevais de soif.

– J’viens d’te le dire, Dantzik, qui a commandité l’opération contre l’Electronucléaire de France, en septembre?

Je comprenais qu’il faisait allusion au court-circuit provoqué par Dakota, et je me disais, merde ça y’est la TechnoPol est remontée jusqu’à moi, mais comment, bordel, comment? Et Dakota? Ils la pistaient aussi, avec l’aide des équipes de l’ONU, cet “ Uchro ” dont elle m’avait parlé?

– Je voudrais sincèrement éclairer ta lanterne, Clando, mais je peux pas dire qui a commandité une opération que j’ai pas faite. Pourquoi j’aurais fait péter le réseau de la conurb?

Clando a arqué un mauvais sourire. Ses yeux de mouche me semblaient monstrueux. J’avais chaud. Comme de la fièvre. J’avais envie de gerber. J’ai compris que la neurotoxine virale faisait son effet. Il me fallait urgemment ma dose de dope pour combattre l’accrochage au Tchernovik.

J’étais pas dans la situation rêvée pour demander l’autorisation d’en rouler un.

– Dantzik, t’es qu’un con, qu’il m’a craché, en se rapprochant de moi, son visage tout près du mien, ses optiques emplissaient l’univers comme deux lunes noires de mauvais augure. T’es qu’un con, alors je vais redemander à Grognard de t’en allonger un, puis de préparer le shoot, et après quoi, on reprendra pépères le cours de not’discussion, qu’est-ce que t’en dis comme ça?

J’ai réfléchi, à fond les manettes. J’avais un choix limité. Ma tête s’enfonçait déjà dans les épaules, en prévision du coup à venir.

J’ai poussé un soupir de résignation authentique, spécialité maison.

– J’en dis que tu obtientas rien de plus parce que y’a pas de commanditaire, Clando.


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