Juliette, le visage tombant, se tourna vers Mathias qui acquiesça lentement.

– Alors, dis-moi la vérité maintenant, reprit Marc. Ça vaut mieux pour Lex, si on veut la défendre intelligemment. Parce que ton système à la noix, ça ne marchera pas. Tu es trop naïve, tu prends les flics pour des gosses.

– Ne me serre pas la main comme ça, dit Juliette. Tu me fais mal! Les clients vont nous voir.

– Alors, Juliette?

Muette, la tête baissée, Juliette s'était remise à laver des verres dans l'évier.

– On n'a qu'à dire ça tous ensemble, proposa-t-elle soudain. Vous n'êtes pas sortis chercher Lucien et je n'ai rien entendu et Lex n'est pas sortie. Voilà.

Marc secoua à nouveau la tête.

– Mais rends-toi compte que Lucien nous a appelés en criant. Un autre voisin a pu l'entendre. Ça ne tiendra pas et ça ne fera qu'empirer les choses. Dis-moi la vérité, je t'assure que ça vaut mieux. C'est ensuite qu'on verra comment mentir.

Juliette restait irrésolue, tortillant le torchon à verres. Mathias s'approcha d'elle, posa sa grande main sur son épaule et lui dit quelque chose à l'oreille.

– Bon, dit Juliette. Je m'y suis prise comme une gourde, c'est possible. Mais je ne pouvais pas deviner que vous étiez tous dehors à deux heures du matin. Alexandra est sortie en voiture, c'est vrai. Elle a démarré tout doucement et feux éteints, sûrement pour ne pas réveiller Cyrille.

– À quelle heure? demanda Marc, la gorge nouée.

– À onze heures un quart. Quand je suis descendue chercher un bouquin. Parce que ça, c'est vrai. Ça m'a énervée de la voir encore partir, à cause du petit. Qu'elle l'ait pris avec elle ou qu'elle l'ait laissé seul, ça m'a énervée. Je me suis dit qu'il faudrait que j'aie le courage de lui en parler le lendemain, bien que ce ne soit pas mes affaires. La veilleuse de la chambre était éteinte, c'est vrai aussi. C'est entendu, je ne suis pas restée à lire en bas. Je suis remontée et j'ai pris le comprimé, parce que je me sentais énervée. J'ai dormi presque tout de suite. Et quand j'ai appris la nouvelle ce matin aux infos de dix heures, j'ai paniqué. J'ai entendu Lex te dire tout à l'heure qu'elle n'avait pas bougé de chez elle. Alors j'ai pensé… j'ai pensé que lé mieux à faire…

– Était d'abonder dans son sens. Juliette hocha la tête, tristement.

– J'aurais mieux fait de me taire, dit-elle.

– Ne te reproche rien, dit Marc. Les flics vont trou-ver, de toute façon. Parce que Alexandra n'a pas garé sa voiture au même endroit en revenant. À présent que je sais, je me rappelle très bien qu'hier avant le dîner, la voiture de Sophia était garée cinq mètres avant ta grille. Je suis passé devant. Elle est rouge et elle se remarque. Ce matin, quand je suis sorti prendre le journal vers dix heures et demie, elle n'y était plus. Sa place était prise par une autre voiture, grise, celle des voisins du bout, je crois. Trouvant sa place occupée au retour, Alexandra a dû aller se garer ailleurs. Pour les flics, ce sera un jeu d'enfant. Notre rue est petite, les voitures sont connues, d'autres voisins ont pu faci lement remarquer ce genre de détail.

– Ça ne veut rien dire, dit Juliette. Elle a pu sortir ce matin.

– C'est ce qu'ils vérifieront.

– Mais si elle avait fait ce que croit Leguennec, elle se serait débrouillée pour reprendre sa place ce matin!

– Tu ne réfléchis pas, Juliette. Comment veux-tu qu'elle reprenne sa place si une autre voiture l'occupe? Elle ne va pas souffler dessus,

– Tu as raison, je dis n'importe quoi. Je n'arrive plus à réfléchir, on dirait. Il n'empêche, Marc, que Lex est sortie, mais pour se balader, seulement pour se balader î

– C'est ce que je crois aussi, dit Marc. Mais comment veux-tu enfoncer ça dans le crâne de Leguennec? Elle a bien choisi son soir pour sa balade! Après les ennuis que ça lui a déjà valus, elle aurait pu se tenir tranquille, non?

– Moins fort, répéta Juliette.

– Ça me fout en colère, dit Marc. On dirait qu'elle le fait exprès.

– Elle ne pouvait pas deviner que Dompierre serait tué, mets-toi à sa place.

– A sa place, je me serais tenu à carreau. Elle est mal barrée, Juliette, mal barrée!

Marc frappa du poing sur le comptoir et vida sa bière.

– Qu'est-ce qu'on peut faire? demanda Juliette.

– Je vais partir à Dourdan, voilà ce qu'on peut faire. Je vais chercher ce que Dompierre a cherché, Leguennec n'a aucun droit pour m'en empêcher, Siméonidis est libre de laisser lire ses archives à qui il veut. Les flics peuvent juste vérifier que je n'emporte rien. Tu as l'adresse du père à Dourdan?

– Non, mais n'importe qui te renseignera là-bas. Sophia y avait une maison dans la même rue. Elle avait acheté une petite propriété pour pouvoir aller voir son père sans vivre sous le même toit que sa belle-mère. Elle ne la supportait pas très bien. C'est un peu en dehors de la ville, rue des Ifs. Attends, je vais vérifier.

Mathias s'approcha pendant que Juliette partait chercher son sac dans les cuisines.

– Tu pars? dit Mathias. Tu veux que je t'accompagne? Ce serait plus prudent. Ça commence à flamber.

Marc lui sourit.

– Merci, Mathias. Mais c'est mieux que tu restes ici. Juliette a besoin de toi et Lex aussi. D'ailleurs, tu as le petit Grec en garde et tu fais ça très bien. Ça me calme de te savoir sur place. Ne t'en fais pas, je n'ai rien à craindre. Si j'ai à vous donner des nouvelles, je téléphonerai ici, ou chez Juliette. Préviens le parrain quand il rentrera.

Juliette revint avec son carnet.

– Le nom exact, c'est «allée des Grands-Ifs», dit-elle. La maison de Sophia est au 12. Celle du vieux n'est pas loin.

– C'est noté. Si Leguennec t'interroge, tu t'es endormie à onze heures et tu ne sais rien. Il se débrouillera.

– Évidemment, dit Juliette.

– Passe la consigne à ton frère, au cas où. Je fais un saut à la maison et je prends le prochain train.

Un brusque coup de vent ouvrit une fenêtre mal fermée. La tempête prévue arrivait, apparemment plus consistante qu'annoncée. Cela redonna de la vigueur à Marc. Il sauta de son tabouret et fila.

À la baraque, Marc fit rapidement son sac. Il ne savait pas au juste pour combien de temps il en aurait et s'il mettrait la main sur quoi que ce soit. Mais il fallait bien tenter quelque chose. Cette imbécile d'Alexandra qui n'avait rien trouvé de mieux que d'aller se promener en voiture. Quelle conne. Marc rageait en fourrant quelques affaires pêle-mêle dans son sac. II essayait surtout de se persuader qu'Alexandra était seulement allée faire un tour. Qu'elle lui avait menti seulement pour se protéger. Seulement ça et rien d'autre. Cela lui demandait un effort de concentration, de conviction. Il n'entendit pas Lucien entrer chez lui.

– Tu fais ton sac? dit Lucien. Mais tu écrabouilles tout! Regarde ta chemise!

Marc jeta un coup d'oeil à Lucien. C'est vrai, il n'avait pas cours le mercredi après-midi.

– Je me fous de ma chemise, dit Marc. Alexandra est dans de sales draps. Elle est sortie cette nuit, cette imbécile. Je file à Dourdan. Je vais fouiller dans les archives. Pour une fois qu'elles ne seront pas en latin ou en roman, ça me changera. J'ai l'habitude de dépouiller vite, j'espère que je trouverai quelque chose.

– Je vais avec toi, dit Lucien. Je n'ai pas envie que tu te fasses trouer le ventre à ton tour. Restons groupés, soldat.

Marc s'arrêta de bourrer son petit sac et regarda Lucien. Mathias d'abord et maintenant, lui. De la part de Mathias, il comprenait, et il était touché. Mais Marc n'aurait jamais pensé que Lucien puisse s'intéresser à autre chose qu'à lui-même et à la Grande Guerre. S'intéresser et même s'impliquer. Décidément, il se gourait souvent ces derniers temps.

– Et alors? dit Lucien. Ça a l'air de t'étonner?

– C'est-à-dire que je pensais autre chose.

– J'imagine ce que tu pensais, dit Lucien. Ceci posé, il vaut mieux être deux en ce moment. Vandoos-ler et Mathias ici, et toi et moi là-bas. On ne gagne pas une guerre tout seul, tu n'as qu'à voir Dompierre. Donc, je t'accompagne. Les archives, ça me connaît aussi et nous irons plus vite à deux. Tu me laisses le temps de faire mon sac et de prévenir le collège que je vais attraper une nouvelle grippe?


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