– Pour chasser l’impur de la terre.

– Pourquoi désires-tu les balances de diamant?

– Pour peser les destins de l’humanité.

– Es-tu préparé pour les épreuves?

– Le fort est préparé à tout.

– Les épreuves! les épreuves! s’écrièrent plusieurs voix.

– Retourne-toi, dit le président.

L’inconnu obéit et se trouva en face d’un homme pâle comme la mort, garrotté et bâillonné.

– Que vois-tu? demanda le président.

– Un criminel ou une victime.

– C’est un traître qui, après avoir fait le serment que tu as fait, a révélé le secret de l’ordre.

– C’est un criminel alors.

– Oui. Quel châtiment a-t-il encouru?

– La mort.

Les trois cents fantômes répétèrent:

– La mort!

Au même instant le condamné, malgré des efforts surhumains, fut entraîné dans les profondeurs de la salle: le voyageur le vit se débattre et se tordre aux mains de ses bourreaux; il entendit sa voix sifflant à travers l’obstacle du bâillon. Un poignard étincela, reflétant comme un éclair la lueur des lampes, puis on entendit frapper un coup mat, et le bruit d’un corps tombant lourdement sur le sol retentit sourd et funèbre.

– Justice est faite, dit l’inconnu en se retournant vers le cercle effrayant, dont les regards avides avaient, à travers leurs suaires, dévoré ce spectacle.

– Ainsi, dit le président, tu approuves l’exécution qui vient d’avoir lieu?

– Oui, si celui qui vient d’être frappé fut véritablement coupable.

– Et tu boirais à la mort de tout homme qui, comme lui, trahirait les secrets de l’association sainte?

– J’y boirais.

– Quelle que fût la boisson?

– Quelle qu’elle fût.

– Apportez la coupe, dit le président.

L’un des deux bourreaux s’approcha alors du récipiendaire et lui présenta une liqueur rouge et tiède dans un crâne humain monté sur un pied de bronze.

L’inconnu prit la coupe des mains du bourreau, et la levant au-dessus de sa tête:

– Je bois, dit-il, à la mort de tout homme qui trahira les secrets de l’association sainte.

Puis abaissant la coupe à la hauteur de ses lèvres, il la vida jusqu’à la dernière goutte et la rendit froidement à celui qui la lui avait présentée.

Un murmure d’étonnement courut par l’assemblée, et les fantômes semblèrent se regarder entre eux à travers leurs linceuls.

– C’est bien, dit le président. Le pistolet!

Un fantôme s’approcha du président, tenant d’une main un pistolet et de l’autre une balle de plomb et une charge de poudre.

À peine le récipiendaire daigna-t-il tourner les yeux de son côté.

– Tu promets donc obéissance passive à l’association sainte? demanda le président.

– Oui.

– Même si cette obéissance devait s’exercer sur toi-même?

– Celui qui entre ici n’est pas à lui, il est à tous.

– Ainsi, quelque ordre qu’il te soit donné par moi, tu obéiras?

– J’obéirai.

– À l’instant même?

– À l’instant même.

– Sans hésitation?

– Sans hésitation.

– Prends ce pistolet et charge-le.

L’inconnu prit le pistolet, fit glisser la poudre dans le canon, l’assujettit avec une bourre, puis laissa tomber la balle, qu’il assura avec une seconde bourre, après quoi il amorça l’arme.

Tous les sombres habitants de l’étrange demeure le regardaient avec un morne silence, qui n’était interrompu que par le bruit du vent se brisant aux angles des arceaux rompus.

– Le pistolet est chargé, dit froidement l’inconnu.

– En es-tu sûr? demanda le président.

Un sourire passa sur les lèvres du récipiendaire qui tira la baguette et la laissa couler dans le canon de l’arme qu’elle dépassa de deux pouces.

Le président s’inclina en signe qu’il était convaincu.

– Oui, dit-il, il est en effet chargé et bien chargé.

– Que dois-je en faire? demanda l’inconnu.

– Arme-le.

L’inconnu arma le pistolet, et l’on entendit au milieu du profond silence qui accompagnait les intervalles du dialogue le craquement du chien.

– Maintenant, reprit le président, appuie la bouche du pistolet contre ton front.

Le récipiendaire obéit sans hésiter.

Le silence s’étendit sur l’assemblée, plus profond que jamais; les lampes semblèrent pâlir, ces fantômes étaient bien véritablement des fantômes, car pas un n’avait d’haleine.

– Feu, dit le président.

La détente partit, la pierre étincela sur la batterie; mais la poudre du bassinet seule prit feu, et aucun bruit n’accompagna sa flamme éphémère.

Un cri d’admiration s’échappa de presque toutes les poitrines, et le président, par un mouvement instinctif, étendit la main vers l’inconnu.

Mais deux épreuves ne suffisaient point aux plus difficiles, et quelques voix crièrent:

– Le poignard! le poignard!

– Vous l’exigez? demanda le président.

– Oui, le poignard! le poignard! reprirent les mêmes voix.

– Apportez donc le poignard, dit le président.

– C’est inutile, fit l’inconnu, en secouant la tête d’un air de dédain.

– Comment, inutile? s’écria l’assemblée.

– Oui, inutile, reprit le récipiendaire d’une voix qui couvrait toutes les voix; inutile, je vous le répète, car vous perdez un temps précieux.

– Que dites-vous là? s’écria le président.

– Je dis que je sais tous vos secrets, que ces épreuves que vous me faites subir sont des jeux d’enfant, indignes d’occuper un instant des être sérieux. Je dis que cet homme assassiné n’est point mort; je dis que ce sang que j’ai bu était du vin renfermé dans une outre aplatie sur sa poitrine et caché sous ses vêtements; je dis que la poudre et les balles de ce pistolet sont tombées dans la crosse au moment où, en armant le chien, j’ai fait jouer la bascule qui les engloutit. Reprenez donc votre arme impuissante, bonne à effrayer les lâches. Relève-toi donc, cadavre menteur: tu n’épouvanteras pas les forts.


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