– La maison voisine ?
– Pas de communication avec elle.
– Les appartements des autres étages ?
– Je connais tous les locataires : ils n’ont vu personne… ils n’ont entendu personne.
– Êtes-vous sûr de les connaître tous ?
– Tous. Le concierge répond d’eux. D’ailleurs, pour plus de précaution, j’ai posté un homme dans chacun de ces appartements.
– Il faut pourtant bien qu’on mette la main dessus.
– C’est ce que je dis, chef, c’est ce que je dis. Il le faut, et ça sera, parce qu’ils sont ici tous deux… ils ne peuvent pas ne pas y être ! Soyez tranquille, chef, si ce n’est pas ce soir, je les aurai demain… j’y coucherai !… J’y coucherai !
De fait il y coucha, et le lendemain aussi, et le surlendemain également.
Et, lorsque trois jours entiers et trois nuits se furent écoulés, non seulement il n’avait pas découvert l’insaisissable Lupin et sa non moins insaisissable compagne, mais il n’avait même pas relevé le petit indice qui lui permît d’établir la plus petite hypothèse.
Et c’est pourquoi son opinion de la première heure ne variait pas.
Du moment qu’il n’y a aucune trace de leur fuite, c’est qu’ils sont là !
Peut-être, au fond de sa conscience, était-il moins convaincu. Mais il ne voulait pas se l’avouer. Non, mille fois non, un homme et une femme ne s’évanouissent pas ainsi que les mauvais génies des contes d’enfants. Et sans perdre courage, il continuait ses fouilles et ses investigations comme s’il avait espéré les découvrir, dissimulés en quelque retraite impénétrable, incorporés aux pierres de la maison.
Chapitre 2 – Le diamant bleu
Le soir du 27 mars, au 134 de l’avenue Henri-Martin, dans le petit hôtel que lui avait légué son frère six mois auparavant, le vieux général Baron d’Hautrec, ambassadeur à Berlin sous le second Empire, dormait au fond d’un confortable fauteuil, tandis que sa demoiselle de compagnie lui faisait la lecture, et que la sœur Auguste bassinait son lit et préparait la veilleuse.
À onze heures la religieuse qui, par exception, devait rentrer ce soir-là au couvent de sa communauté et passer la nuit près de la sœur supérieure, la religieuse prévint la demoiselle de compagnie.
– Mademoiselle Antoinette, mon ouvrage est fini, je m’en vais.
– Bien, ma sœur.
– Et surtout n’oubliez pas que la cuisinière a congé et que vous êtes seule dans l’hôtel, avec le domestique.
– Soyez sans crainte pour M. le Baron, je couche dans la chambre voisine comme c’est entendu, et je laisse ma porte ouverte.
La religieuse s’en alla. Au bout d’un instant ce fut Charles, le domestique, qui vint prendre les ordres. Le Baron s’était réveillé. Il répondit lui-même.
– Toujours les mêmes ordres, Charles : vérifier si la sonnerie électrique fonctionne bien dans votre chambre, et au premier appel descendre et courir chez le médecin.
– Mon général s’inquiète toujours.
– Ça ne va pas… ça ne va pas fort. Allons, Mademoiselle Antoinette, où en étions-nous de notre lecture ?
– Monsieur le Baron ne se met donc pas au lit ?
– Mais non, mais non, je me couche très tard, et d’ailleurs je n’ai besoin de personne.
Vingt minutes après, le vieillard sommeillait de nouveau, et Antoinette s’éloignait sur la pointe des pieds.
À ce moment Charles fermait soigneusement, comme à l’ordinaire, tous les volets du rez-de-chaussée.
Dans la cuisine, il poussa le verrou de la porte qui donnait sur le jardin, et dans le vestibule il accrocha en outre, d’un battant à l’autre, la chaîne de sûreté. Puis il regagna sa mansarde, au troisième étage, se coucha et s’endormit.
Une heure peut-être s’était écoulée quand, soudain, il sauta d’un bond hors de son lit : la sonnerie retentissait. Elle retentit longtemps, sept ou huit secondes peut-être, et de façon posée, ininterrompue…
« Bon, se dit Charles, recouvrant ses esprits, une nouvelle lubie du Baron. »
Il enfila ses vêtements, descendit rapidement l’escalier, s’arrêta devant la porte, et, par habitude, frappa. Aucune réponse. Il entra.
« Tiens, murmura-t-il, pas de lumière… pourquoi diable ont-ils éteint ? »
Et à voix basse, il appela :
– Mademoiselle ?
Aucune réponse.
– Vous êtes là, Mademoiselle ?… Qu’y a-t-il donc ? Monsieur le Baron est malade ?
Le même silence autour de lui, un silence lourd qui finit par l’impressionner. Il fit deux pas en avant : son pied heurta une chaise, et, l’ayant touchée, il s’aperçut qu’elle était renversée. Et tout de suite sa main rencontra par terre d’autres objets, un guéridon, un paravent. Inquiet, il revint vers la muraille, et, à tâtons chercha le bouton électrique. Il l’atteignit, le tourna.
Au milieu de la pièce, entre la table et l’armoire à glace, gisait le corps de son maître, le Baron d’Hautrec.
– Quoi ! … Est-ce possible ?… bégaya-t-il.
Il ne savait que faire, et sans bouger, les yeux écarquillés, il contemplait le bouleversement des choses, les chaises tombées, un grand flambeau de cristal cassé en mille morceaux, la pendule qui gisait sur le marbre du foyer, toutes ces traces qui révélaient la lutte affreuse et sauvage. Le manche d’un stylet d’acier étincelait, non loin du cadavre. La lame en dégouttait de sang. Le long du matelas, pendait un mouchoir souillé de marques rouges.
Charles hurla de terreur : le corps s’était tendu en un suprême effort, puis s’était recroquevillé sur lui-même… deux ou trois secousses, et ce fut tout.
Il se pencha. Par une fine blessure au cou, du sang giclait, qui mouchetait le tapis de taches noires. Le visage conservait une expression d’épouvante folle.
– On l’a tué, balbutia-t-il, on l’a tué.
Et il frissonna à l’idée d’un autre crime probable : la demoiselle de compagnie ne couchait-elle pas dans la chambre voisine ? Et le meurtrier du Baron ne l’avait-il pas tuée elle aussi ?
Il poussa la porte : la pièce était vide. Il conclut qu’Antoinette avait été enlevée, ou bien qu’elle était partie avant le crime.
Il regagna la chambre du Baron et, ses yeux ayant rencontré le secrétaire, il remarqua que ce meuble n’avait pas été fracturé.
Bien plus, il vit sur la table, près du trousseau de clefs et du portefeuille que le Baron y déposait chaque soir, une poignée de louis d’or. Charles saisit le portefeuille et en déplia les poches. L’une d’elles contenait des billets de banque. Il les compta : il y avait treize billets de cent francs.
Alors ce fut plus fort que lui : instinctivement, mécaniquement, sans même que sa pensée participât au geste de la main, il prit les treize billets, les cacha dans son veston, dégringola l’escalier, tira le verrou, décrocha la chaîne, referma la porte et s’enfuit par le jardin.
Charles était un honnête homme. Il n’avait pas repoussé la grille que, frappé par le grand air, le visage rafraîchi par la pluie, il s’arrêta. L’acte commis lui apparaissait sous son véritable jour, et il en avait une horreur subite.
Un fiacre passait. Il héla le cocher.
– Camarade, file au poste de police et ramène le commissaire… au galop ! Il y a mort d’homme.
Le cocher fouetta son cheval. Mais quand Charles voulut rentrer, il ne le put pas : lui-même avait fermé la grille, et la grille ne s’ouvrait pas du dehors.
D’autre part, il était inutile de sonner puisqu’il n’y avait personne dans l’hôtel.
Il se promena donc le long de ces jardins qui font à l’avenue, du côté de la Muette, une riante bordure d’arbustes verts et bien taillés. Et ce fut seulement après une heure d’attente qu’il put enfin raconter au commissaire les détails du crime et lui remettre entre les mains les treize billets de banque.
Pendant ce temps, on réquisitionnait un serrurier, lequel, avec beaucoup de peine, réussit à forcer la grille du jardin et la porte du vestibule. Le commissaire monta, et tout de suite, du premier coup d’œil, il dit au domestique :