— Ce n’est pas vrai.

— Prouvez-le.

— La justice aurait pu le prouver.

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressé à la justice ?

— Pourquoi ? Ah ! pourquoi…

Il se tut, le visage sombre. Et l’autre reprit :

— Voyez-vous, Monsieur Andermatt, si vous aviez eu la moindre certitude, ce n’est pas la petite menace que nous vous avons faite qui eût empêché…

— Quelle menace ? Ces lettres ? Est-ce que vous vous imaginez que j’aie jamais cru un instant ?…

— Si vous n’avez pas cru à ces lettres, pourquoi m’avez-vous offert des mille et des cents pour les ravoir ? Et pourquoi, depuis, nous avez-vous fait traquer comme des bêtes, mon frère et moi ?

— Pour reprendre des plans auxquels je tenais.

— Allons donc ! c’était pour les lettres. Une fois en possession des lettres, vous nous dénonciez. Plus souvent que je m’en serais dessaisi !

Il eut un éclat de rire qu’il interrompit tout d’un coup.

— Mais en voilà assez. Nous aurons beau répéter les mêmes paroles, que nous n’en serons pas plus avancés. Par conséquent nous en resterons là.

— Nous n’en resterons pas là, dit le banquier, et puisque vous avez parlé des lettres, vous ne sortirez pas d’ici avant de me les avoir rendues.

— Je sortirai.

— Non, non.

— Écoutez, Monsieur Andermatt, je vous conseille…

— Vous ne sortirez pas.

— C’est ce que nous verrons, dit Varin avec un tel accent de rage que Mme Andermatt étouffa un faible cri.

Il dut l’entendre, car il voulut passer de force. M. Andermatt le repoussa violemment. Alors je le vis qui glissait sa main dans la poche de son veston.

— Une dernière fois !

— Les lettres d’abord.

Varin tira un revolver et visant M. Andermatt :

— Oui, ou non ?

Le banquier se baissa vivement.

Un coup de feu jaillit. L’arme tomba.

Je fus stupéfait. C’était près de moi que le coup de feu avait jailli ! Et c’était Daspry qui, d’une balle de pistolet, avait fait sauter l’arme de la main d’Alfred Varin !

Et dressé subitement entre les deux adversaires, face à Varin, il ricanait :

— Vous avez de la veine, mon ami, une rude veine. C’est la main que je visais, et c’est le revolver que j’atteins.

Tous deux le contemplaient, immobiles et confondus. Il dit au banquier :

— Vous m’excuserez, monsieur, de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais vraiment vous jouez votre partie avec trop de maladresse. Permettez-moi de tenir les cartes.

Se tournant vers l’autre :

— À nous deux, camarade. Et rondement, je t’en prie. L’atout est cœur, et je joue le sept.

Et, à trois pouces du nez, il lui colla la plaque de fer où les sept points rouges étaient marqués.

Jamais il ne m’a été donné de voir un tel bouleversement. Livide, les yeux écarquillés, les traits tordus d’angoisse, l’homme semblait hypnotisé par l’image qui s’offrait à lui.

— Qui êtes-vous ? balbutia-t-il.

— Je l’ai déjà dit, un monsieur qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas… mais qui s’en occupe à fond.

— Que voulez-vous ?

— Tout ce que tu as apporté.

— Je n’ai rien apporté.

— Si, sans quoi, tu ne serais pas venu. Tu as reçu ce matin un mot te convoquant ici pour neuf heures, et t’enjoignant d’apporter tous les papiers que tu avais. Or, te voici. Où sont les papiers ?

Il y avait dans la voix de Daspry, il y avait dans son attitude, une autorité qui me déconcertait, une façon d’agir toute nouvelle chez cet homme plutôt nonchalant d’ordinaire et doux. Absolument dompté, Varin désigna l’une de ses poches

— Les papiers sont là.

— Ils y sont tous ?

— Oui.

— Tous ceux que tu as trouvés dans la serviette de Louis Lacombe et que tu as vendus au major von Lieben ?

— Oui.

— Est-ce la copie ou l’original ?

— L’original.

— Combien en veux-tu ?

— Cent mille.

Daspry s’esclaffa.

— Tu es fou. Le major ne t’en a donné que vingt mille. Vingt mille jetés à l’eau, puisque les essais ont manqué.

— On n’a pas su se servir des plans.

— Les plans sont incomplets.

— Alors, pourquoi me les demandez-vous ?

— J’en ai besoin. Je t’en offre cinq mille francs. Pas un sou de plus.

— Dix mille. Pas un sou de moins.

— Accordé.

Daspry revint à M. Andermatt.

— Veuillez signer un chèque, Monsieur.

— Mais… c’est que je n’ai pas…

— Votre carnet ? Le voici.

Ahuri, M. Andermatt palpa le carnet que lui tendait Daspry.

— C’est bien à moi… Comment se fait-il ?

— Pas de vaines paroles, je vous en prie, cher Monsieur, vous n’avez qu’à signer.

Le banquier tira son stylographe et signa. Varin avança la main.

— Bas les pattes, fit Daspry, tout n’est pas fini.

Et s’adressant au banquier :

— Il était question aussi de lettres, que vous réclamez ?

— Oui, un paquet de lettres.

— Où sont-elles, Varin ?

— Je ne les ai pas.

— Où sont-elles, Varin ?

— Je l’ignore. C’est mon frère qui s’en était chargé.

— Elles sont cachées ici, dans cette pièce.

— En ce cas, vous savez où elles sont.

— Comment le saurais-je ?

— Dame, n’est-ce pas vous qui avez visité la cachette ? Vous paraissez aussi bien renseigné… que Salvator.

— Les lettres ne sont pas dans la cachette.

— Elles y sont.

— Ouvre-la.

Varin eut un regard de défiance. Daspry et Salvator ne faisaient-ils qu’un réellement, comme tout le laissait présumer ? Si oui, il ne risquait rien en montrant une cachette déjà connue. Si non c’était inutile…

— Ouvre-la, répéta Daspry.

— Je n’ai pas de sept de cœur.

— Si, celui-là, dit Daspry, en tendant la plaque de fer.

Varin recula, terrifié :

— Non… non… je ne veux pas…

— Qu’à cela ne tienne…

Daspry se dirigea vers le vieux monarque à la barbe fleurie, monta sur une chaise, et appliqua le sept de cœur au bas du glaive, contre la garde, et de façon que les bords de la plaque recouvrissent exactement les deux bords de l’épée. Puis, avec l’aide d’un poinçon, qu’il introduisit alternativement dans chacun des sept trous pratiqués à l’extrémité des sept points de cœur, il pesa sur sept des petites pierres de la mosaïque. À la septième petite pierre enfoncée, un déclenchement se produisit, et tout le buste du roi pivota, démasquant une large ouverture aménagée comme un coffre, avec des revêtements de fer et deux rayons d’acier luisant.

— Tu vois bien, Varin, le coffre est vide.

— En effet… Alors c’est que mon frère aura retiré les lettres.

Daspry revint vers l’homme et lui dit :

— Ne joue pas au plus fin avec moi. Il y a une autre cachette. Où est-elle ?

— Il n’y en a pas.

— Est-ce de l’argent que tu veux ? Combien ?

— Dix mille.

— Monsieur Andermatt, ces lettres valent-elles dix mille francs pour vous ?

— Oui, fit le banquier d’une voix forte.

Varin ferma le coffre, prit le sept de cœur, non sans une répugnance visible, et l’appliqua sur le glaive, contre la garde, et juste au même endroit. Successivement il enfonça le poinçon à l’extrémité des sept points de cœur. Il se produisit un second déclenchement, mais cette fois, chose inattendue, ce ne fut qu’une partie du coffre qui pivota démasquant un petit coffre pratiqué dans l’épaisseur même de la porte qui fermait le plus grand.

Le paquet de lettres était là, noué d’une ficelle et cacheté. Varin le remit à Daspry. Celui-ci demanda :

— Le chèque est prêt, Monsieur Andermatt ?

— Oui.

— Et vous avez aussi le dernier document que vous tenez de Louis Lacombe, et qui complète les plans du sous-marin ?

— Oui.

L’échange se fit. Daspry empocha le document et le chèque, et offrit le paquet à M. Andermatt.


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