— Je vais attendre, pensait-il, il faudra bien qu’elle sorte.

Mais, au lointain, l’ombre noire du sergent de ville l’inquiétait fort ; d’ailleurs Alice n’avait-elle pas pu sortir, pendant que lui-même s’éloignait, chassé par le gardien de la paix ?

Le jeune homme patienta quelques minutes puis, soudain, décida :

— Ce que je fais là est stupide. J’ai un moyen bien plus simple de la trouver. Assurément, elle ne va pas passer la nuit chez cet individu, donc elle a retenu une chambre à l’hôtel Terminus, je n’ai qu’à m’y rendre, je saurai si elle est rentrée, et, si elle n’est pas rentrée, je l’attendrai là-bas.

Théodore appela un fiacre, donna l’adresse de l’hôtel.

Hélas, vingt minutes plus tard, il sortait du Terminuscomplètement désespéré.

— M me Ricard ? lui avait-on répondu au bureau des renseignements. Oui, en effet, elle descend souvent ici, mais en ce moment, elle ne doit pas être à Paris. Nous n’avons pas de chambre pour elle, nous ne l’avons pas vue depuis huit jours.

Théodore n’avait pas insisté, il s’en allait maintenant, les bras ballants, la tête basse, l’air désespéré.

— Alice n’a pas retenu de chambre, pensait-il, donc elle couche rue Richer. Donc ce vieux monsieur, ce vieux monsieur chic, c’est son amant.

Et, en errant à l’aventure, il se répétait cela, cette affreuse affirmation qui lui faisait tant de mal.

4 – LE CRIME DES ÉPOUX RICARD

Tandis que Théodore, épris de la belle Alice Ricard, errait dans Paris à l’aventure, après s’être désespéré en attendant la jeune femme, qu’était devenue celle-ci ? Qu’était devenu le vieux monsieur qui l’avait accompagnée au thé du Korton, avec qui elle avait dîné, avec qui elle paraissait au mieux ?

Alice Ricard était entrée rue Richer à neuf heures et demie environ. Un quart d’heure plus tard, dans un modeste appartement de cette même maison, une scène horrible se déroulait.

Dans une pièce sombre, aux allures de chambre à coucher, très vaguement éclairée par la lueur vacillante d’une modeste lampe pigeon posée sur le coin d’un meuble, deux personnages aux allures sombres s’agitaient, en prenant bien garde à ne pas faire de bruit.

Ils parlaient à voix basse :

— Est-ce fini ?

— Presque.

— Tu es bien sûre, n’est-ce pas, de ne rien oublier ?

— Oh certainement.

— Tu sais que la moindre trace, le moindre indice nous perdraient.

— N’aie donc pas peur.

— On ne voit pas clair ici, bougre de nom d’un chien. Les volets sont clos, hein ?

— Oui, bien entendu.

— Alors, il n’y a rien à craindre des voisins. Je hausse la lampe sans scrupule.

L’homme qui venait de parler se rapprochait en effet de la table sur laquelle était posée la lampe pigeon, il leva la mèche, une clarté plus vive se répandit dans la pièce.

L’homme avait alors un ricanement.

— Sapristi, dit-il avec tranquillité en regardant autour de lui, c’est vraiment joli ici. Il n’y aura pas à s’y tromper.

Il avait éclaté de rire.

— Tais-toi donc, dit la femme, tu fais trop de bruit et ton rire me glace d’effroi. Si jamais on venait…

— Oui, nous serions frais.

Ils se turent, tous deux occupés encore, semblait-il, à des besognes mystérieuses.

L’homme soudain se retourna :

— J’ai du sang aux mains, déclara-t-il, il faudrait que je m’essuie les doigts.

— Prends les rideaux, conseilla la femme, mais méfie-toi. Né laisse pas d’empreinte.

À son tour d’ailleurs, la femme s’approchait de la lampe et en haussait encore une fois la mèche.

— Il faut absolument que nous voyions clair, dit-elle.

Et quand la lumière fut devenue plus vive, elle répéta ce que son compagnon avait dit :

— Oui, vraiment, tu as raison, c’est tout à fait gentil ici.

Elle éclata de rire à son tour.

Le spectacle qui faisait rire les deux individus était abominable cependant : un lit qui occupait le fond, était à moitié défait, les draps sur le sol, le matelas pendait, lamentable, parmi les couvertures rejetées en tas.

Plus loin, la tenture d’une portière déchirée traînait. Une chaise renversée avait son étoffe à moitié trouée et le crin s’en échappait par flocons. Sur le tapis enfin, un tapis clair, d’une teinte grise et sur lequel étaient jetées des carpettes de poil de chèvre, de larges taches se voyaient, de véritables mares d’un liquide rouge déjà coagulé, à l’odeur âcre, fade, grisante presque : du sang.

— Qu’est-ce que tu en penses, on brise la glace ?

— Si tu veux, dit la femme, ça n’a pas d’importance, elle appartient au propriétaire. Mais n’esquinte pas la pendule, ne la bouge pas hein, elle tomberait et ça ferait du bruit.

— C’est idiot ce que tu as fait là. Elle a de la valeur cette pendule. Nous aurions pu la revendre.

— Bah, nous n’en sommes plus à cinquante francs près. Il y a vraiment beaucoup de sang, ajouta-t-elle d’un air sérieux, cela ne te fait pas peur ?

— Affaire d’habitude, disait-il. Si cela t’impressionne, ne regarde pas.

— Viens m’aider plutôt. Il faut que je casse au moins l’un des petits tiroirs.

— Pourquoi ?

— Pour le vol, parbleu.

— Tu as raison. Et la malle jaune ?

— Je m’en suis occupé.

— Alors ça va bien.

Ils s’étaient agenouillés auprès d’un bureau à l’angle de la pièce :

— Je n’ai pas beaucoup l’habitude de ces opérations-là, constata en souriant l’homme qui paraissait de plus en plus calme, mais cela ne fait rien, j’imagine que je réussirai facilement.

Il était armé d’un ciseau à froid, d’un marteau, il manœuvrait ses outils de telle manière qu’en quelques minutes la serrure du tiroir céda.

— Et voilà, concluait-il d’un ton enjoué, tu vois que ce n’est pas difficile.

En parlant, il fouilla dans le tiroir, vérifia les papiers, en jeta une partie sur le sol.

— Crois-tu que cela vaille la peine de défoncer tous les tiroirs qui restent ?

Il tenait la lampe, il examinait en connaisseur le meuble fracturé.

— Baraban qui soignait tant son mobilier ! dit-il soudain en riant encore. Et dire qu’il attrapait sa concierge lorsqu’elle faisait mal son ménage.

— Laisse donc le bureau. Il n’y a plus rien à faire dans la chambre, viens voir par ici.

L’homme reposa la lampe, suivit un couloir, se pencha encore sur le sol :

— Alice, appela-t-il, viens donc voir, il me semble qu’il y a beaucoup de sang par ici.

— Non viens, dépêche-toi, j’ai besoin de toi ici, Fernand.

Alice ? Fernand ?

Était-ce donc les époux Ricard qui se trouvaient réunis rue Richer, dans cet appartement en désordre à l’aspect sinistre, tout taché de sang, dans cet appartement qui, l’homme venait de le dire, appartenait à un certain M. Baraban ?

C’était bien eux en effet.

C’était bien Alice Ricard, la jolie Alice qu’aimait le jeune Théodore Gauvin, qui se trouvait maintenant dans la cuisine, occupée à se laver les mains dans une terrine posée sur l’évier.

— Regarde-moi bien, disait-elle. Allume le gaz si tu veux, les volets sont fermés. Je n’ai pas de sang, hein ?

Fernand – Fernand Ricard, car c’était bien le courtier qui se trouvait là avec sa femme – l’examinait soigneusement.

— Non, dit-il enfin après l’avoir fait tourner et retourner devant lui, je ne vois aucune trace suspecte, tu es nette comme un sou neuf.

Puis il arrêta sa femme d’un geste.

— Eh pas de bêtise, ne vide pas l’eau de la cuvette, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je crois que le tuyau aboutit à la cour et coule dans une rigole jusqu’à la canalisation qui l’emmène à l’égout. De l’eau rouge comme cela, ce serait suffisant pour attirer l’attention.

— Oh, tout le monde dort.

— Je l’espère bien.

Fernand Ricard, à son tour, se lavait les mains dans l’eau déjà rougie, se curait les ongles soigneusement.

— Je n’ai rien non plus ?


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