— Heu, répondait Juve, je réfléchissais, voilà tout. Dites-moi, monsieur Havard, la conclusion de ceci, c’est qu’on ne sait pas où est le cadavre du mort, le cadavre de ce pauvre Baraban, mais qu’en revanche on tient son assassin ?
— Oui, répondait M. Havard, c’est bien cela. Vous voyez que, pour une fois, nous avons été très vite en besogne : deux heures après le crime nous tenions le coupable.
Juve eut un sourire vague.
— En effet, approuvait-il, on a été vite, très vite, c’est même une arrestation un peu trop rapide, je crois, que celle qui vient d’être faite. L’inculpé a-t-il avoué ?
— Non, le procureur de Vernon me téléphone à l’instant qu’il nie tout.
Juve, sur ces mots, se levait :
— Il est vrai, disait-il, que je ne puis avoir d’avis, puisque, en somme, je ne me suis pas rendu sur les lieux, mais tout de même, de prime abord, il me semble que ce jeune homme n’est pas un assassin très habile puisqu’il a donné lui-même son nom au sergent de ville, la nuit du crime.
Il y avait dans cette phrase une sorte de blâme implicite à l’adresse de M. Havard ; Juve devait s’en rendre compte car il se hâtait de reprendre, pour ne pas indisposer son chef :
— Eh bien, c’est entendu, je pars rue Richer ! Je vais m’occuper de retrouver la malle jaune et le cadavre qu’elle doit contenir. Comptez sur moi !
Puis, avec un vague sourire, Juve ajouta :
— En même temps, je rassemblerai les preuves de la culpabilité ou de l’innocence de ce jeune homme.
7 – UNE NOUVELLE AFFAIRE GOUFFÉ
Tandis que Juve sautait dans un taxi-auto, pour se rendre à l’appel de M. Havard, Fandor plus économe, et surtout moins pressé, descendait à pied au carrefour Rochechouart.
— Je vais prendre l’autobus, murmurait-il, il me conduit à ma porte.
Fandor, tout le temps du trajet, naturellement, songeait à la nouvelle que le téléphone, quelques instants avant, avait apportée à Juve.
« Un crime dans ma rue, pensait le journaliste, ça c’est rigolo ! Pour une fois, au moins, je ne serai pas obligé de courir aux cinq cents diables pour avoir des informations. »
Et Fandor songeait encore :
« Ça doit être assurément dans l’un des nombreux hôtels qui entourent mon domicile ; une vengeance de femme, je gage. »
Mais, en sautant de l’autobus, Fandor changeait rapidement d’avis.
— Bigre, on dirait que c’est chez moi.
Devant la porte de la maison où il habitait, en effet, un groupe nombreux stationnait, des badauds se pressaient, causaient à haute voix, échangeant des remarques avec un sergent de ville impassible qui s’efforçait, suivant sa propre expression, de « dissiper le rassemblement ».
Fandor fut à la porte cochère en quelques pas, et joua des coudes.
— C’est donc ici que ça se passe ? demandait-il familièrement au sergent de ville.
Au même instant, le gardien de la paix l’empoignait par le bras :
— Où allez-vous ?
— Au quatrième, ripostait Fandor.
Le sergent de ville le considéra d’un air soupçonneux :
— On ne passe pas, monsieur. Il y a eu un crime, on attend la police, personne ne rentre.
Fandor eut un sourire pour répondre :
— Je suis journaliste, déclara-t-il.
Mais le sergent de ville ne connaissait que sa consigne :
— Tant pis, j’ai ordre de ne laisser passer personne.
— Laissez-moi finir, interrompit Fandor sans se fâcher, je suis journaliste, et j’habite ici.
Il voulait dépasser le gardien, l’autre le retenait par le bras :
— Tout ça, c’est des boniments, commençait le gardien de la paix. On les connaît, vos trucs de journalistes ! Vous ne passerez pas.
Mais, si le gardien prétendait reconnaître les ruses des reporters, il ne connaissait certainement point l’entêtement de son interlocuteur.
Fandor ne se troubla pas.
— Mon cher monsieur, déclarait-il, au grand amusement des badauds qui s’attroupaient de plus en plus, je vous jure que vous m’ennuyez. J’habite ici, je me nomme Jérôme Fandor, je paie mon terme, je ne dois rien à l’impôt, ma concierge m’adore, quand vous seriez le préfet de police, vous ne m’empêcheriez pas de rentrer chez moi, si j’en ai envie.
Jérôme Fandor allait alors faire connaissance ou plutôt refaire connaissance, car il y avait longtemps qu’ils étaient de vieux amis, avec l’intransigeance de l’autorité, représentée par la personne d’un sergent de ville, lorsqu’au bout du couloir, apparaissait la silhouette d’une grosse femme, aux jupons sanglés, qui levait les bras au ciel, traînait une savate à son pied droit, était chaussée d’un soulier au pied gauche et paraissait affolée :
— Hé, madame Gertrude, appela Fandor, arrivez donc à mon secours ! On ne veut pas me laisser rentrer.
La concierge – car c’était la concierge – accourait immédiatement :
— Jésus, Marie, faisait-elle se précipitant vers le journaliste, ah, ben, il ne manquait plus que cela, maintenant !
Et, s’adressant au sergent de ville, la concierge déclarait :
— C’est le journaliste, c’est celui duquel je vous causais, rapport à ce qu’il mettrait la chose sur le journal, d’ailleurs, c’est mon locataire et j’en réponds, faut qu’on le laisse passer.
La recommandation de la concierge fit naturellement son petit effet, et Jérôme Fandor put, suivant la grosse femme, pénétrer jusqu’à la loge :
— Alors, quoi ? demandait-il. On assassine dans la maison ? C’est abominable, madame Sarah, je vais donner congé.
La concierge qui, depuis de longues années, était habituée à ce que Jérôme Fandor l’appelât de tous les noms qui lui passaient par la tête, joignait les mains d’un air désespéré :
— Ah, monsieur Fandor, gémissait-elle, je vous crois, que c’est abominable, j’en ai les sangs retournés à toutes les minutes. Un homme si digne, si honnête, pour qui le dû était le dû, et pas regardant avec ça, large aux pourboires, et pas exigeant non plus, presque toujours en voyage. Enfin, contre qui on avait rien à dire, mais là, rien, pas ça…
Elle s’interrompit, pour s’introduire l’ongle du pouce entre les dents de son râtelier. Fandor en profita pour mettre un terme à ces lamentations désespérées :
— Voyons, madame Barnabé, disait-il doucement, conciliant et suprêmement indifférent, faut pas vous mettre dans des états pareils, rappelez-vous bien que depuis Adam et Ève, c’est une coutume invariable, il faut que chacun meure. Aujourd’hui ce bonhomme, moi demain, vous après.
La concierge, de surprise, roulait des yeux terrifiés :
— Ah bien, déclarait-elle, si je vous connaissais pas, je vous prendrais pour un sans-cœur. Vous n’avez pas seulement l’air d’être émotionné ?
— Je le suis pourtant, affirma Jérôme Fandor.
Et il interrogea :
— Seulement, je le serai beaucoup plus quand vous m’aurez dit de quoi il s’agit. Jusqu’à présent, je n’ai appris qu’une chose, c’est qu’il y a eu quelqu’un d’assassiné ici. Qui est-ce ?
— M. Baraban, ce pauvre cher homme ! Vous le connaissiez bien, parbleu…
Jérôme Fandor, précisément, faisait des efforts de mémoire :
— Ma foi, disait-il, je me le rappelle vaguement, c’est bien le vieux monsieur qui était toujours fourré dans l’escalier, et qui saluait jusqu’à terre quand on passait devant lui ? Un homme de cinquante à soixante ans. C’est cela ?
— C’est cela, confirmait la concierge. C’est bien lui qu’a trouvé la mort. Tenez, figurez-vous que ce matin, quand j’ai vu ça, j’ai cru que j’allais tomber en faiblesse.
À ce souvenir, la concierge s’asseyait, tandis que Fandor se levait.
— Madame Gérard, appelait-il, vous allez me faire un plaisir, c’est de me répondre clairement. Qu’est-ce que vous avez vu ? Qu’est-ce qu’on sait ?
L’instinct des reportages policiers s’éveillait déjà en Jérôme Fandor. Il avait tiré un bloc-notes, taillé son crayon, il allait prendre des notes.
— Attendez voir ! répondait la concierge.