— Vous avez lu les éditions de la nuit dernière ? demandait Fernand Ricard. Vous avez vu, monsieur Gauvin, que Fantômas a été cerné dans une certaine villa de Ville-d’Avray par la police, et surtout par Juve et par Fandor, ses deux ennemis acharnés ?
— Oui, répondait le notaire, j’ai vu cela. Mais les dernières éditions que j’ai pu me procurer ce matin ne donnaient pas la fin de l’aventure. Fantômas était, disait-on, à l’intérieur de la villa, la police donnait l’assaut et Fandor avait essuyé trois coups de feu tirés par cette Hélène, qui est la fille du bandit.
— Eh bien, voici ce qui s’est passé ensuite, écoutez, je lis :
Au moment précis où la fille de Fantômas tirait sur Fandor, un cri tragique s’élevait qui glaçait d’effroi tous ceux qui assistaient à cette épouvantable tragédie.
Celui qui criait, qui hurlait plutôt un ordre suprême : « À l’assaut, à l’assaut ! » c’était Juve.
Le grand policier, en effet, le subtil inspecteur de police, n’avait pu voir sans un terrible émoi le danger couru par son ami Fandor.
Hélas ! N’arrivait-il pas trop tard ? Et le jeune homme, atteint grièvement par la fille du bandit, n’avait-il pas roulé sur le sol mort ou mourant ?
Il n’en était rien heureusement.
Sans qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, on soit encore renseigné sur le miraculeux hasard qui protégea la vie de Fandor, il est certain, toutefois, que celui-ci ne fut pas atteint ; aveuglé par la poudre, brûlé par la flamme du revolver, Fandor demeurait debout. Il portait la main à ses yeux et, distinctement, on entendait qu’il disait :
— Hélène ! Hélène ! qu’avez-vous fait ?
Mais déjà le drame se précipitait. À la tête d’une vingtaine de policiers, Juve s’élançait au secours de son ami. Le revolver à la main, tous avançaient. Ils donnaient l’assaut comme l’avait ordonné Juve.
— C’est affreux, interrompit Alice Ricard. Les bandits ne redoutent plus rien maintenant. Mais Fantômas ? Fantômas, où était-il ?
— Attendez, continuait Fernand Ricard.
Et il reprit :
Par malheur, si rapide qu’eût été le mouvement des policiers, il se produisait encore trop tard. Tandis que Juve empoignait Fandor par le bras et s’assurait qu’il n’était point blessé, ses hommes gravissaient en courant le perron de la villa tragique.
Ils s’y heurtèrent à une porte fermée à double tour, porte qui, l’enquête le révéla plus tard, constituait une véritable barrière infranchissable, car elle était doublée de tôle.
— Ils avaient tout prévu, interrompit encore Théodore Gauvin. Cette porte de caractère spécial établit la préméditation.
— Parfaitement, approuva M e Gauvin, tu as raison, Théodore. Mais laisse M. Fernand continuer sa lecture.
Fernand Ricard reprit :
Il fallut quelques minutes, naturellement, pour enfoncer les battants redoutables de cette massive porte d’entrée. On y parvint enfin à l’aide de leviers vigoureusement maniés par les gens de police.
À peine la porte avait-elle cédé, à peine était-elle tombée hors de ses gonds, que les agents se ruèrent à l’intérieur de la villa.
Hélas ! Un spectacle tragique les y attendait !
Sur le sol du vestibule, trois cadavres se trouvaient, et c’étaient ceux des premières victimes de la tragédie. On relevait d’abord l’acteur Dick, tué dune balle en plein cœur ; à quelques pas de lui, on trouvait le cadavre de sa malheureuse maîtresse, miss Sarah Gordon, puis c’était enfin le corps de la belle et énigmatique lady Beltham qui, une fois déjà, avait passé pour morte lors de sa mystérieuse asphyxie que l’on attribuait à Fantômas [1] et qui cependant avait cette première fois échappé au trépas, puisqu’elle se retrouvait là dans cette villa de Ville-d’Avray. Cette fois, la grande dame, la légendaire et superbe maîtresse de Fantômas, était bien morte, et ses membres roidis semblaient menacer d’un geste horrible ceux qui emportaient son cadavre.
Désormais, cependant, les victimes de cette affreuse boucherie n’avaient plus besoin de soins humains. Leur sort était, en somme, irrémédiable. Les policiers le comprirent, et seule maintenant l’idée d’appréhender enfin l’insaisissable Roi de l’Épouvante, le Maître de l’Effroi, Fantômas, d’arrêter aussi sa fille, cette Hélène qui, quelques minutes avant, avait osé tirer sur le malheureux Fandor, les guidait.
— En effet, dit M me Ricard, Juve devait être fou de joie à la pensée qu’il allait arrêter Fantômas.
Mais Fernand Ricard, d’un geste, imposait silence à sa femme :
— Écoute, dit-il.
Et il poursuivit sa lecture :
À ce moment, hélas, une horrible déception devait atteindre les agents qui, au cours de cette affaire, on ne saurait trop le dire, ont fait preuve d’un courage admirable, d’une folle ardeur, d’une grande habileté aussi.
Juve semblait-il avait la victoire. Ses hommes cernaient la maison, et dans cette maison, Juve savait que se trouvaient Hélène et Fantômas !
— Nous les tenons ! hurlait-il en se précipitant lui-même à l’intérieur de la villa.
Juve, hélas, se trompait. Il se trompait lourdement, et le triomphateur de la nuit précédente devait vite devenir un vaincu !
Les agents, en effet, fouillaient en toute hâte la villa, ils parcouraient les pièces les unes après les autres, ils perquisitionnaient dans les caves ; nulle part, ils ne trouvèrent trace de Fantômas et de sa fille !
— C’est insensé, grommela M e Gauvin. On croirait qu’on lit un récit imaginé à plaisir. Et dire que tout cela est vrai, rigoureusement vrai… Mais achevez donc, monsieur Ricard, je vous demande pardon de vous avoir interrompu.
Qu’étaient donc devenus Hélène et Fantômas ? Comment s’étaient-ils enfuis ?
Disons tout de suite que le mystère a été compris et expliqué ce matin.
Juve, en effet, en perquisitionnant dans la villa tragique, remarquait que l’une des grilles du calorifère avait été récemment déplacée, retirée de son encastrement.
Les traces de poussière renseignaient le policier et, dès lors, Juve n’hésitait plus ; aidé de ses agents, l’inspecteur de la Sûreté arrachait à son tour cette grille ; elle masquait l’entrée d’un étroit souterrain qui, creusé sous le jardin, communiquait ainsi d’une part avec le vestibule de la villa, d’autre part avec les terrains vagues qui bordent la propriété.
Il n’y avait dès lors aucun doute à conserver.
Il était facile même de reconstituer la conduite des bandits. Au moment où la fille de Fantômas, après avoir fait feu sur Fandor, rentrait dans le vestibule de la villa tragique, Fantômas bondissait à son tour ; le misérable fermait la porte doublée de fer qui devait retarder rentrée des policiers. Il n’avait plus alors qu’à entraîner sa fille dans le souterrain dont il connaissait assurément l’existence, puisque la villa de Ville-d’Avray avait été achetée par lui-même, jadis, pour sa maîtresse lady Beltham.
Fantômas et Hélène, par ce souterrain, pouvaient ensuite, en dépit des forces de police, s’éloigner tranquillement.
Fernand Ricard ayant lu, fit mine de rejeter le journal, mais ceux qui l’entouraient protestèrent instinctivement.
— C’est tout ? demanda Alice. Il n’y a pas d’autres détails ?
En même temps, M e Gauvin s’épongea le front.
— Ce qu’il y a d’abominable, disait-il, c’est qu’en vérité, plus il va, et plus il fait preuve d’audace, ce Fantômas. C’est à croire que rien ne le fera jamais reculer et que personne n’arrivera jamais à lui mettre la main au collet.
Or, Fernand Ricard avait repris le journal :
— Mon cher maître, disait-il, vous exprimez précisément les mêmes idées que celles soutenues par le journaliste auteur de l’article dont je viens de vous donner lecture. Écoutez :