En personne bien stylée, Brigitte le fit entrer dans le cabinet de l’avocat, cependant qu’elle échangeait un coup d’œil significatif avec son amant.

La consultation dura une bonne demi-heure. L’homme partit enchanté.

À peine la porte s’était-elle refermée sur lui, que la discussion reprenait entre Brigitte et Jacques Faramont :

— C’était bien inutile, déclara le jeune homme, d’aller ainsi faire la folle et de courir tout Paris. Moi, j’étais dans les transes pendant cette nuit-là, ne sachant pas ce que tu étais devenue.

Brigitte allait répondre, elle s’arrêta :

— On a sonné, fit-elle. Décidément, il y a du monde aujourd’hui.

Elle remit son tablier, retourna voir, mais en ouvrant la porte, elle éclata de rire.

— Tiens, c’est vous ? fit-elle.

Et, tendant une main cordiale au visiteur, elle lui dit :

— Entrez donc, Jacques est là.

C’était un camarade, François Marbel, qui avait fait son droit avec le fils du bâtonnier, comme lui inscrit au barreau. Il était joyeux compagnon, ce François Marbel, et lorsqu’il venait, on pouvait être sûr que c’était toujours pour organiser quelque partie, quelque fête, quelque promenade.

— Dites donc, vous autres, commença-t-il en s’asseyant, c’est pas la peine de disparaître, sous prétexte que vous êtes des amoureux. On ne voit plus Jacques nulle part, ni au café ni au Boul’Mich  [7] et vous non plus, charmante Brigitte. Il faut absolument que ça cesse. Nous allons dîner ensemble ce soir et faire la bombe ensuite. C’est d’ailleurs le commencement du mois, et il faut profiter de ce qu’on a de l’argent. Dans huit jours, nous n’aurons plus qu’à compter sur les honoraires de nos clients, et Dieu sait si ces bougres-là sont généreux en paroles, et rapiats sur le chapitre des billets de banque.

— Ça c’est bien vrai, déclara Brigitte qui, ayant pour mission de tenir les comptes de Jacques Faramont, avait même, à cet effet, acheté un carnet de cuisine, où devaient figurer les honoraires reçus par l’avocat. Or, jusqu’à présent, le carnet était demeuré rigoureusement vierge. On accepta le rendez-vous de Marbel, qui se retirait, prétextant une affaire importante. En réalité, il avait rendez-vous avec une petite femme du quartier, qu’il voulait inviter à dîner.

On était allé reconduire l’avocat sur le seuil de la porte. Au moment où il s’en allait, la concierge, qui montait faire sa distribution de lettres, remit un pli à Brigitte :

— Voilà pour vous ma petite demoiselle, déclara-t-elle.

Brigitte croyait que ce courrier était destiné à son amant, elle le lui apporta. C’était une enveloppe imprimée, portant l’en-tête de la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans. Machinalement, Jacques avait pris l’enveloppe, mais il la rendit à Brigitte.

— Regarde donc, fit-il, c’est pour toi.

— Pour moi ? s’écria la jeune femme stupéfaite, comment sait-on que j’habite ici ?

— Il faut croire, précisa logiquement Jacques Faramont, que c’est toi qui l’as dit, sans cela personne ne l’aurait deviné. Eh bien, ouvre.

— Je ne sais pas ce que cela veut dire, fit-elle après avoir lu rapidement.

Jacques lut à son tour :

Madame,

Un colis qui vous est destiné est à votre disposition à la gare des marchandises d’Austerlitz, où vous pouvez le retirer à partir de ce jour.

— Un colis ? Tu attends donc quelque chose ?

— Mais non.

— C’est un colis important, il pèse cent dix kilos et il y a quatorze francs à payer.

— Je ne comprends pas du tout.

— Ah par exemple, l’expéditeur de ce colis est un nommé Baraban.

— Baraban ?

— Tu connais M. Baraban ?

— Je le connais, évidemment. Oui et non. Assurément je le connais. Mais pour ce qui est de le connaître comme tu penses, je ne le connais pas.

— Brigitte, il faut que tu précises, comment connais-tu ce Baraban ?

— Oh, après tout, il n’y a pas de mal à cela. Avant d’entrer comme bonne chez ton oncle et ta tante, j’étais femme de ménage chez c’t’homme-là. Un drôle de type, vois-tu. Presque toujours absent.

— Où habitait-il ?

— Rue Richer, 22. Même qu’il ne me plaisait pas beaucoup. D’abord, c’était un vieux et les vieux, ça m’a toujours répugné. Même sans rien faire avec eux. Il est vrai que je ne l’ai jamais vu qu’habillé.

— Habillé ?

— Eh bien oui, tu ne trouves pas cela étonnant ?

— Non, fit Jacques, c’est le contraire qui m’aurait surpris. Est-ce qu’un homme se montre nu à sa femme de ménage ?

— C’est vrai, déclara Brigitte, pourtant il y a des exceptions, ainsi toi…

— Que tu es bête, ma pauvre Brigitte, fit Jacques nerveusement, moi je suis ton amant, c’est tout différent. Enfin, que s’est-il passé lorsque tu étais chez cet homme ?

— Dieu, que tu es agaçant ! Que veux-tu qu’il se soit passé ? Rien du tout. D’abord, il était absent de chez lui trois jours sur six, cet homme-là. Il avait des airs extraordinaires pour arriver et partir. Il s’enfermait dans sa chambre. À clé. Un espèce de piqué quoi. Moi, ça m’était bien égal, après tout, car il n’était pas exigeant pour le service.

— Pourquoi l’as-tu quitté ?

— Je ne sais pas. Je ne sais plus… Attends donc, si… C’était un vrai grigou, qui discutait toujours les notes et ne voulait pas me donner d’augmentation. On s’est disputé un jour, au sujet d’une clé de son appartement, que j’avais perdue. Il voulait me la faire payer.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— Je dis, répéta celle-ci toute saisie, que c’est rapport à sa clé que je suis partie. Je ne voulais pas la payer. D’abord, je ne l’avais pas perdue, la meilleure preuve c’est qu’en rangeant mes affaires, il y a quelques jours, je l’ai retrouvée dans une petite boîte.

« Mais qu’est-ce qu’il a ? pensa Brigitte, qu’est-ce que tout ça peut bien lui faire ? »

— Brigitte, ma petite Brigitte, il se passe quelque chose de grave, de très grave. Il faut que tu me racontes franchement, que tu me dises la vérité, toute la vérité.

— Comme à la cour d’Assises alors ?

— Ah je t’en prie, ne plaisante pas et ne parle pas de cour d’Assises. Dis-moi, poursuivit-il, la fameuse nuit où nous étions fâchés, où tu t’es promenée jusqu’au jour dans Paris, qu’as-tu fait ?

— Je te l’ai déjà dit ! Je me suis baladée de droite et de gauche et puis j’ai été me pencher sur le bord d’un parapet, d’un pont.

— Pour quoi faire ?

— Je voulais me jeter à la Seine de désespoir.

— Ah, malheureuse Brigitte.

— Je n’en ai rien fait, puisque je suis là. Je me suis d’ailleurs contentée après avoir regardé couler l’eau du haut du pont, de descendre sur la berge et d’aller dormir entre deux pierres de taille, sous ce pont-là.

— Et c’est tout ? interrogea Jacques Faramont.

— C’est, en tout cas, tout ce que je te dirai. Tu es vraiment trop curieux, et puis tu m’assommes à la fin. Nous avons beau être amant et maîtresse, je ne suis pas ta légitime, tu n’es pas mon mari, on est libre.

Brigitte s’imaginait qu’elle allait ainsi surexciter la jalousie de son amant et que tout finirait par de tendres épanchements. Il n’en était rien. Jacques Faramont ne manifesta pas de jalousie, il devint grave :

— Elle connaissait Baraban, murmurait-il, elle a été chez lui il y a trois mois, et cette clé, cette clé… Tu ne lis donc pas les journaux, Brigitte ?

— Les journaux illustrés, quelquefois, quand j’attends chez le coiffeur, mais les autres, jamais. Je préfère les romans.

— Ah, s’écria Jacques Faramont, tu préfères les romans. Eh bien en voici un de roman, écoute.

Jacques Faramont, en phrases brèves, hachées, lui racontait :

— Il y a trois jours, un homme a mystérieusement disparu de chez lui. On croit qu’il a été assassiné, des traces de lutte et des taches de sang découvertes par la police dans son appartement ne laissant aucun doute à ce sujet. Une enquête a été ouverte, on recherche l’assassin, déjà quelqu’un a été arrêté. Mais ce présumé coupable aurait un complice, ou plutôt une complice. On soupçonne une personne, servante ou maîtresse, bien au courant de l’existence de la victime et qui aurait pu pénétrer chez lui sans sonner, ayant une clé de l’appartement.


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