Fantômas fuyait, Fantômas disparaissait, Fantômas échappait…

Jérôme Fandor, pris d’un vertige, bondit vers l’escalier.

Il pensait donner la chasse au bandit, il voulait, maintenant qu’il n’avait plus à craindre que sa mère ne fût mêlée au drame qui allait se passer, en terminer enfin avec le terrible monstre.

— Lui ou moi !… pensait-il.

Et des visions rouges passaient dans ses yeux…

Jérôme Fandor, cependant, qui, en deux bonds, avait atteint l’escalier, s’arrêta net et rebroussa chemin.

— Je deviens fou !…

Il avait entendu tout simplement le bruit d’une clé tournant dans une serrure. Pour gagner du temps, pour retarder la poursuite de Jérôme Fandor, Fantômas avait évidemment fermé la porte d’entrée de la maison. Il faudrait donc au jeune homme, s’il tentait de sortir par là, perdre quelques instants, dilapider quelques minutes pour enfoncer cette porte… Et les minutes étaient précieuses, les secondes avaient leur valeur…

Jérôme Fandor rebroussa chemin, suivit à nouveau le corridor. Il traversa la chambre dans laquelle il avait pénétré ; d’un geste, il ouvrit la fenêtre.

Jérôme Fandor était toujours le gymnaste entraîné ne redoutant aucune acrobatie. Le jeune homme n’hésitait donc pas un instant.

Sauter d’un premier étage, c’était pour lui moins qu’un jeu, à peine une plaisanterie. Il s’élança dans le vide. D’un bond, il franchit un énorme massif de fleurs, puis, retrouvant son équilibre, il se prit à courir vers le bout du jardin.

Jérôme Fandor, à ce moment, était envahi d’un grand espoir.

Il n’avait guère perdu de temps. En sautant par la fenêtre, il avait en quelque sorte déjoué la ruse de Fantômas, qui l’avait forcé à monter au premier étage de la maison. Le bandit n’était pas loin, Jérôme Fandor aperçut sa silhouette au détour d’une allée. Fantômas fuyait, il escaladait évidemment la clôture du jardinet, il allait gagner la route, il trouverait moyen de disparaître.

Mais Fandor, attaché à sa poursuite, ne désespérait pas de le rejoindre.

Et la course s’engageait, une course effrénée, une course qui devait peut-être s’achever par la mort, la mort d’un de ces deux hommes, le poursuivant ou le poursuivi.

À deux reprises, tout d’abord, Jérôme Fandor put apercevoir Fantômas et pensa tirer sur lui.

Mais, au moment où il serrait la crosse de son revolver, une pensée rapide le forçait encore à demeurer calme. Ce coup de revolver, sa mère l’entendrait ; ce coup de revolver terrifierait assurément la vieille femme. Non, non, il ne fallait pas lui donner l’éveil, il ne fallait pas qu’elle pût soupçonner le drame, dont les péripéties se déroulaient si près d’elle !

Que faisait cependant Fantômas ?

Pourquoi n’avait-il pas quitté le jardin ?

Il semblait en effet que le bandit, au lieu de sauter la clôture, tournait sur lui-même, faisait de brusques crochets, cherchant à faire perdre sa piste.

Jérôme Fandor, tout en courant, réfléchit à l’extraordinaire conduite du misérable.

— Que veut-il donc ? se demanda-t-il.

Et il imagina brusquement que Fantômas n’osait peut-être pas se lancer sur la grand-route, songeant qu’il serait alors trop facile à Jérôme Fandor de le prendre pour cible et de l’abattre d’une balle de son browning.

Or, comme Jérôme Fandor, un instant, redoublait d’efforts pour atteindre le meurtrier dont il venait d’apercevoir, au tournant d’un massif, la silhouette, le jeune homme roula brusquement sur le sol. Pour rompre la poursuite, pour gagner quelque temps, Fantômas avait brusquement tendu, au travers de l’allée, un mince fil de fer arraché à la bordure d’une pelouse.

Jérôme Fandor n’avait pas vu l’obstacle, il tomba, jurant !…

Hélas ! quand il se releva, il était trop tard pour agir. En quelques secondes, évidemment, Fantômas avait trouvé moyen de disparaître réellement. L’Insaisissable avait-il découvert une cachette ? L’Insaisissable avait-il pris la fuite tout bonnement ? Jérôme Fandor ne pouvait pas le savoir. Il ne le voyait plus, en tout cas. Il ne l’entendait plus, il n’avait aucune idée de ce qu’il avait pu devenir.

Alors, la rage au cœur, baissant la tête et dévorant les sanglots qui l’étouffaient, Jérôme Fandor se résigna :

— Trop tard ! pensait-il. Fantômas vient d’échapper, je ne puis plus espérer le rejoindre.

Jérôme Fandor, abandonnant toutes poursuites, qui désormais ne pouvaient plus guère avoir de résultats, se dirigea vers la maison d’habitation, pensant rejoindre sa mère, et frémissant encore en se demandant quelles seraient les explications qu’il pourrait lui donner de la disparition de son père.

Or, comme le jeune homme, à pas lents, se rapprochait de la maison, il s’arrêta brusquement, stupéfié, prêtant l’oreille.

Que se passait-il donc encore ?

Jérôme Fandor venait de remarquer qu’il entendait depuis quelques instants un bruit extraordinaire, comme un véritable ronflement, un ronflement formidable, qui semblait s’accompagner de crépitements, d’effondrements aussi.

— Bon Dieu, qu’y a-t-il donc ? se demanda-t-il.

Il soufflait encore ; pourtant, il reprit sa course, un pressentiment le tenait haletant en effet.

Et Jérôme Fandor, quelques instants plus tard, devait concevoir une nouvelle horreur.

Qu’était devenu Fantômas ? Qu’avait-il fait ? Ah ! désormais, le journaliste ne le savait que trop ! Fantômas avait dû se précipiter en toute hâte dans la direction de la maison. Le crime qu’il avait commis alors, il avait dû le préméditer depuis longtemps, il avait dû même le préparer.

Jérôme Fandor, au tournant d’une allée, aperçut soudain la maisonnette où sa mère dormait, qui flambait.

Une fumée noire, âcre, la fumée que produit le pétrole en brûlant, se dégageait de l’incendie. Par moments, on ne voyait qu’elle, en d’autres, des flammes immenses s’élevaient vers le ciel bleu, comme de terribles langues de feu qui claquaient au vent.

— Ma mère !… ma mère ! hurla Fandor…

Et le journaliste fonça vers le brasier.

Il n’avait fallu qu’un instant à Fantômas, en effet, pour commettre l’abominable forfait.

Fantômas, depuis de longs jours, s’était dit qu’assurément le rôle qu’il jouait lui craquerait dans les mains. Juve et Fandor, certainement, l’obligeraient à se démasquer.

Et c’était dans la pensée de cet inévitable événement que Fantômas avait pris ses précautions, qu’il avait inventé la ruse dernière de l’incendie.

Depuis de longs jours, Fantômas transportait mystérieusement dans les caves de la maisonnette des bidons de pétrole dont il aspergeait les murs. Il avait entassé un peu partout des provisions de ce terrible liquide. Il lui avait donc suffi de jeter une allumette pour que l’incendie s’allumât, comme il avait suffi de quelques secondes pour qu’il prît une intensité formidable.

Mais pourquoi Fantômas brûlait-il ainsi la maison de M me Rambert ? Pourquoi voulait-il la mort de cette pauvre femme, qui avait toujours été sa victime et qui ne pouvait pas être pour lui une ennemie dangereuse ?

Fantômas agissait-il par un simple besoin de cruauté, dans le simple désir de torturer Fandor ?

À la vérité, Fantômas avait cédé, en incendiant la maison, à de pressants motifs.

Une fois encore, en effet, il avait tranquillement raisonné, tranquillement réfléchi, tranquillement conclu ce qu’il importait de faire.

Le bandit connaissait en effet la ténacité de Juve et de Fandor. Il savait que ceux-ci ne lui laisseraient point la paix, que, lancés sur une piste, ils le poursuivraient sans trêve ni répit, s’il ne les forçait pas à s’occuper de tout autre chose.

Et Fantômas, qui peut-être à cet instant nourrissait un colossal dessein, peut-être méditait un crime effroyable, ourdissant une de ces intrigues ténébreuses dont il aimait à dénouer les fils, Fantômas, qui avait besoin de ne pas être talonné par Juve et par Fandor, inventait de mettre le feu à la maison de M me Rambert, en se disant :


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