Mais malgré cette crainte, la présence de tous ces gens la rassura.

M. Marquiset, discrètement, ne s’était pas montré à M me Drapier, qui certainement serait très confuse de se trouver en tête à tête avec ce voisin qu’elle connaissait, avec la femme duquel elle était en relations, dans cette tenue matinale que les femmes d’un certain âge aiment peu à révéler.

Mais, tout d’un coup, les conversations qui s’étaient engagées dans la galerie cessèrent.

Des pas lourds avaient retenti dans l’escalier, on vit apparaître les uniformes de deux sergents de ville derrière lesquels marchait un monsieur à l’allure de sous-officier, en civil, le visage barré par une forte moustache et qui portait à la boutonnière un ruban tricolore.

Ce personnage pénétra dans l’appartement.

— M me Drapier ? demanda-t-il.

Puis, ayant deviné la malheureuse femme, il se découvrit, déclara :

— On vient de me faire chercher, madame, je suis le commissaire de police. Qu’est-il donc arrivé ?

M me Drapier considéra le nouveau venu d’un air épouvanté.

— Mon Dieu ! Quel scandale ! pensa-t-elle, le commissaire de police ici !

Elle apercevait les sergents de ville :

— Et des agents !… des agents chez moi !…

Mais le commissaire insistait.

Déjà, en homme expérimenté, habitué à ces sortes d’affaires, il avait compris aux trois ou quatre paroles prononcées à voix basse autour de lui qu’il s’agissait d’une porte fermée à clé, de bruits suspects entendus dans la nuit, il demanda :

— M. Drapier n’est pas là ?

M me Drapier ne répondait pas, elle n’avait pas entendu, mais M. Marquiset s’approchait du commissaire.

— N’insistez pas ! souffla-t-il à son oreille, c’est justement à son sujet que l’on craint !

Et du regard il désignait la porte fermée du cabinet de travail.

— Oh ! oh ! fit le magistrat ; si M. Drapier a disparu, c’est grave !

Il faisait signe aux deux agents.

— Ouvrez cette porte !

L’un des sergents de ville l’ayant essayée ne put y parvenir : le magistrat alors ordonna :

— Enfoncez !

Les deux agents, se faisant un tampon de l’épaule de leur pèlerine, enfoncèrent la porte et pénétrèrent dans la pièce, suivis du commissaire.

Les battants avaient craqué sinistrement, la foule qui grossissait sans cesse dans la galerie voulut pénétrer derrière le magistrat.

Celui-ci s’y opposa :

— Que personne n’avance ! dit-il, je veux être ici seul avec les agents !

Avisant M. Marquiset, le commissaire de police demanda :

— Voulez-vous êtes assez aimable, monsieur, pour vous mettre sur le seuil de cette porte, pour empêcher de passer ?

Le magistrat s’était bien adressé en sollicitant de M. Marquiset ce service.

M. Marquiset était, en effet, dans cette foule de domestiques, le seul maître ; il était bien certain que nul, malgré sa curiosité, n’oserait passer outre.

Un des agents était allé ouvrir les rideaux du cabinet de travail. Lorsque la lumière se fit dans la pièce, le commissaire ne proféra pas de cri, mais il tordit nerveusement sa moustache et grommela :

— Oh ! oh ! C’est grave !

Quant à M. Marquiset, qui avait regardé dans la pièce, lui qui n’avait pas l’habitude devint blême et poussa une exclamation.

— Un assassinat !

Le magistrat cependant venait de se précipiter vers un angle du cabinet de travail où se trouvait le corps d’un homme étendu, baignant dans une marre de sang.

Un poignard gisait à terre à côté, la lame était toute rouge, le malheureux avait été frappé à la gorge, et il était vraisemblablement tombé raide mort entre le bureau et la cheminée.

C’était en vain, désormais, que M. Marquiset empêchait les gens d’entrer, ceux-ci se ruaient, forçaient la consigne… Les deux agents durent intervenir, cependant que le commissaire de police inventoriait immédiatement la pièce, afin de relever un détail quelconque, qui pût lui donner le secret de ce qui s’était passé…

Caroline toutefois, bénéficiant des droits que lui conférait sa qualité de domestique de la maison, voulut entrer dans le cabinet de travail.

M me Drapier, s’accrochant à elle, fit quelques pas mais, se rendant compte que le commissaire était penché sur un corps immobile, elle n’osa regarder.

— C’est mon mari, n’est-ce pas ? interrogea-t-elle d’une voix rauque, étranglée.

Immédiatement, le commissaire la rassurait.

— Je ne crois pas, madame ! Veuillez vous approcher… me dire si vous connaissez la victime ?

En même temps le magistrat se reculait, M me Drapier vit tout d’un coup le corps inerte d’un homme trempé de sang.

Elle poussa un cri épouvantable, battit l’air de ses bras, tomba en arrière. Il fallut l’emporter dans la galerie, la malheureuse femme avait une crise de nerfs.

Caroline, cependant devenue toute pâle, conservait un peu de présence d’esprit.

Ses dents claquaient d’émotion, elle faisait le signe de croix sans discontinuer et cette fois, à l’interrogation du commissaire de police, elle finit par répondre :

— Ah mon Dieu ! le pauvre homme ! Si c’est possible, tout de même, dire que je l’ai vu bien vivant hier au soir, ah ! je comprends qu’il n’a pas répondu quand j’ai été l’appeler ce matin, au septième ! Pauvre de nous, tout de même ! Dire que chacun est exposé…

— Enfin, interrompit le commissaire impatienté, dites-moi qui c’est, puisque vous le connaissez ?

Et alors Caroline rétorqua, croyant que le commissaire avait deviné, s’imaginant que tout le monde devait être au courant :

— Mais, monsieur, c’est Firmain, le nouveau domestique, le valet de chambre qui est entré hier au service de madame et de monsieur !

— Le valet de chambre est assassiné !…

La rumeur se répandait aussitôt dans la galerie.

Et les femmes de chambre qui soignaient M me Drapier s’empressaient à le lui dire, dès qu’elle ouvrait les yeux.

— Ce n’est pas le mari de madame !

Elles ajoutaient avec une cruauté naïve :

— Ce n’est que le domestique !

M me Drapier reprenait connaissance, elle fit un effort suprême pour se tenir debout.

— Mon mari, hurlait-elle, mon mari, où est-il ?

Le commissaire questionnait M. Marquiset :

— Ce M. Drapier qui habite ici, n’est-ce pas le directeur de la Monnaie ?

— Mais parfaitement, monsieur le commissaire ! Peut-être ce dernier est-il à son bureau à l’heure actuelle ?

Caroline, qui décidément avait de la présence d’esprit, se précipitait au téléphone, demandait la communication.

M me Drapier, toute chancelante, se traîna jusqu’à l’appareil.

Elle eut le temps de regarder le cadavre de Firmain.

— Allô ! allô ! c’est toi, Léon ? interrogea-t-elle, angoissée.

Elle eut un soupir de soulagement lorsqu’elle entendit la voix sèche et nerveuse de son mari qui répondait à l’autre bout du fil.

— C’est moi ! qu’est-ce que tu veux ?

— Ah ! Léon ! Léon ! poursuivait M me Drapier dans le téléphone, c’est épouvantable ! C’est affreux ! mon Dieu !…

— Mais qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ? interrogeait de son bureau, à la Monnaie, le haut fonctionnaire que cet appel téléphonique intriguait certainement au plus haut point.

M me Drapier semblait incapable de fournir une explication et le commissaire lui prit l’appareil des mains ; ce fut lui qui répondit.

— Excusez-moi, monsieur le directeur, mais c’est le commissaire de police. Oui, monsieur ! le commissaire de police !… Parfaitement ! je suis chez vous !… Un accident est arrivé !… Mon ! non ! pas à M me Drapier… Rassurez-vous ! Il ne s’agit que d’un domestique, mais enfin tout de même, c’est grave… Allô ! allô !… Ne coupez pas !… Excessivement grave, oui, monsieur. Pouvez-vous venir ?… Oui, monsieur le directeur !… Le plus tôt sera le mieux, je vous assure !… Entendu ! Tout à l’heure, je vous expliquerai cela !… À tout à l’heure !


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: