Bébé, Mort-Subite étaient abasourdis, Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf s’embrassaient de joie à l’idée que sous la conduite de Fantômas bientôt ils seraient riches.

Le Bedeau, se faisant tout petit, ne cherchait qu’à passer inaperçu. Il s’était tassé dans un coin et écoutait toutes ces choses dont la conception lui semblait magnifique, mais Fantômas l’interpella :

— Approche, le Bedeau, fit-il.

Cependant que l’apache se levait, Fantômas conclut l’entretien avec ses amis par ces mots :

— Maintenant, que chacun se défile et rentre chez lui, il faut que dans trois jours, vous soyez les uns et les autres au rendez-vous que j’ai indiqué. Pas moyen de se tromper, n’est-ce pas ? Naturellement, allez-y chacun séparément. Il ne s’agit pas de se faire remarquer et des gueules comme les vôtres passent rarement inaperçues.

Les complices de Fantômas, l’un après l’autre s’esquivèrent, et le Bedeau tenta également de gagner la porte. Fantômas le retint :

— Hé, là-bas, où vas-tu ?

— Je… je me débine…, balbutia le Bedeau, fort embarrassé.

Fantômas eut un rire sinistre :

— Une seconde, nous avons un compte à régler tous les deux.

— Voilà, fit le Bedeau, en blêmissant, ce que je craignais. Qu’est-ce que tu me veux, Fantômas ? demanda-t-il ?

Fantômas ne répondit pas encore, le Bedeau attendit respectueusement. Les deux hommes n’étaient pas seuls dans la salle. À côté de Fantômas se trouvait un troisième personnage que le Bedeau, malgré ses soucis, considérait avec étonnement.

C’était un homme de trente-cinq ans environ, superbement bâti, l’air américain ou anglais.

Quel pouvait bien être cet homme ?

Le Bedeau n’en revenait pas de voir cet inconnu silencieux et flegmatique dans l’intimité de Fantômas, et s’entretenant parfois avec lui sur un ton de familière camaraderie.

Cependant, le Maître ordonnait au Bedeau :

— Tu as compris ce que j’ai dit aux autres ? tu vas faire comme eux. Demain matin tu prendras le train à la gare d’Austerlitz, tu demanderas un billet de troisième pour Saint-Jean-de-Luz. En sortant de la gare, tu iras te loger à la deuxième auberge à gauche, où tu resteras en attendant mes instructions. Allez, fous le camp et que je ne te revoie plus et rappelle-toi bien, que c’est seulement à cette condition que j’oublierai peut-être toutes les saloperies que tu es disposé à faire pour trahir tes amis.

Le Bedeau se leva, heureux d’en être quitte à si bon marché, mais il s’arrêta, une pensée lui venait à l’esprit : il n’avait pas d’argent pour partir et il fallait bien en demander à Fantômas.

Le Bedeau, toutefois, hésitait :

— Si je pleure pour du pèze, pensa-t-il, ça va le foutre en colère.

Néanmoins, il fallait bien s’y résigner.

— Fantômas, balbutia le Bedeau, je cavalerai, comme tu me l’as dit, demain matin seulement, voilà, c’est la dèche dans mes profondes, j’ai pas de galette pour prendre le bifton.

— C’est juste, fit Fantômas, passe à la caisse.

Ahuri, stupéfait de voir que sa demande était si facilement exaucée, le Bedeau, instinctivement chercha la caisse.

Dans la salle vide, il avisa une sorte de comptoir, il s’en approcha.

— Imbécile, où vas-tu ?

— Dame, répliqua le Bedeau, à la caisse.

— Crétin, poursuivit Fantômas, en éclatant de rire, triple idiot, décidément tu as fait ton temps le Bedeau, tu deviens complètement gâteux.

Puis, comme s’il prenait pitié de l’homme qui demeurait planté au milieu de la pièce, Fantômas désigna son flegmatique compagnon, puis solennellement déclara :

— Entends-moi bien, le Bedeau, la caisse, c’est Monsieur. Et je te recommande lorsque tu le rencontreras de ne lui parler que s’il t’adresse la parole. Défense naturellement, de ne jamais toucher un seul cheveu de sa tête, défense aussi de lui prêter secours si jamais il te demande ton aide. Tu t’en souviendras ? Il s’appelle L’Amateur.

— Bien.

Il s’approcha cependant du flegmatique personnage. Celui-ci, dès les premières paroles de Fantômas avait tiré un portefeuille de sa poche, il extrayait d’une liasse de billets de banque, une coupure de cent francs.

— Voilà, fit-il en tendant le billet au Bedeau.

L’apache se confondit en remerciements.

Mais, déjà, Fantômas et son ami, car assurément ce singulier personnage était un ami de Fantômas, s’étaient retournés et désormais ils conféraient à voix basse, sans plus se préoccuper du Bedeau.

Celui-ci, enfin prêt à partir, s’éclipsa prestement et une fois dans la rue, poussa un profond soupir de satisfaction :

— Après tout, grommela-t-il, toutes ces histoires-là tournent mieux que je ne l’espérais.

7 – L’INFANT D’ESPAGNE

— Monsieur Bourrinas, voulez-vous me rendre le service d’aller au Cabinet du juge d’instruction, vous verrez le greffier et lui demanderez quelques mandats en blanc que vous me rapporterez ?

— C’est une affaire entendue, Monsieur le procureur : vous faut-il des mandats d’amener ou des mandats de comparution ?

— Voilà une question, mon cher Monsieur Bourrinas qui dénote une ignorance professionnelle regrettable. Vous ne devriez pas ignorer qu’à notre Parquet, les mandats de comparution ou d’amener ont une seule et même formule et que la nature de la mention est mise à la main. Enfin vous êtes jeune et débutant dans la profession, je vous excuse.

M. Bourrinas était, en effet, un tout jeune attaché au Parquet de Bayonne qui débutait dans la carrière. Il avait reçu sa nomination depuis quinze jours au maximum.

Le jeune attaché quitta précipitamment le cabinet où il se trouvait avec le procureur général et ce haut magistrat, qui n’était autre que M. Anselme Roche, demeura seul en tête-à-tête avec ses dossiers dans le sévère, mais majestueux bureau que l’administration judiciaire mettait à sa disposition. M. Anselme Roche, avait un cabinet qui ne lui faisait aucunement regretter celui qu’il occupait jadis à Saint-Calais :

Une large fenêtre par laquelle la pièce s’éclairait abondamment s’ouvrait sur une jolie place de Bayonne, et comme le bureau du procureur se trouvait au second étage dans l’immeuble du tribunal, on pouvait apercevoir par-dessus les toits des autres maisons le panorama pittoresque qui s’étendait, non seulement au premier plan, constitué par la jolie ville de Bayonne, mais encore dans le lointain, par delà les fortifications historiques, jusqu’aux forêts de pins qui vont jusqu’à la mer.

Indifférent toutefois à ce spectacle, car il s’y était déjà accoutumé, M. Anselme Roche qui ne s’était approché de la fenêtre que pour jeter une allumette éteinte, revint à son bureau de travail, prit place dans son fauteuil et s’emparant de son porte-plume, fit mine, sur le buvard immaculé qui se trouvait devant lui, d’esquisser les jambages d’une lettre, puis d’un mot tout entier, d’un nom.

Le magistrat, machinalement murmurait :

— M… A… R… mar…

Puis il ajoutait un T dans sa pensée et finit par dessiner à quelques millimètres au-dessus du buvard, le nom de Martial.

— Martial, répéta-t-il machinalement.

Mais ce n’était pas tout. Le magistrat appuya presque la plume sur le buvard, traça un A, un L encore un T. Il s’arrêta net, puis murmura cette fois, presque à voix haute :

— Martial Altarès, oui, il n’y a pas lieu d’hésiter.

Le procureur général posa sa plume cette fois, se mit à se promener de long en large dans son cabinet en attendant le retour de l’attaché du Parquet.

Dorénavant, sa décision était prise. C’était le nom du spahi, de Martial Altarès qu’il allait faire figurer sur le mandat d’amener que M. Bourrinas était allé chercher.

On frappa à sa porte :

— Entrez, fit le procureur.

C’était l’attaché du Parquet qui rapportait une liasse d’imprimés :

— Voici quelques mandats, fit-il, Monsieur le Procureur.

Le magistrat, malgré ses préoccupations ne put s’empêcher de rire :


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