Au deuxième, l’ascenseur s’arrêta. Les Espagnols de plus en plus respectueux, mais ne quittant pas leur prisonnière d’une semelle, lui firent traverser une galerie déserte et l’introduisirent dans un appartement qui soudain s’illumina.

Les anges gardiens disparurent aussitôt, non sans fermer derrière eux la porte à double tour.

Celle-ci regarda autour d’elle. C’était un vaste salon, assez élégamment meublé, mais dont l’aménagement aux allures banales et officielles révélait aussitôt qu’on se trouvait non point dans une maison particulière, mais bien plutôt dans quelque local destiné à des gens de passage, à des voyageurs sans doute. Une porte s’ouvrait dans une cloison située à l’extrémité du salon, et faisait communiquer cette pièce avec une autre, également illuminée.

De plus en plus stupéfaite, Hélène y pénétra. C’était une chambre à coucher avec un grand lit de milieu, confortable, élégant, soigné.

— Comme je serais bien dans ce lit, se dit Hélène.

Mais soudain, son regard s’arrêta sur une pancarte qui pendait au mur. Cette pancarte était imprimée et l’entête portait : Impérial Hôtelde Biarritz.

Suivait une série d’instructions pour les voyageurs, en plusieurs langues.

— Ah çà, murmura la jeune fille interloquée, me voilà donc à l’ Impérial Hôtelde Biarritz. C’est incompréhensible.

Fébrilement, Hélène appuya sur le bouton de sonnette, résolue à sonner jusqu’à la venue de quelqu’un. Un instant, elle craignit que ce mode de communication avec l’extérieur n’eût été interrompu. Pas du tout. Elle entendit, en effet, au lointain, résonner le timbre qu’elle faisait vibrer. Hélène prêta l’oreille, des pas légers retentirent dans le couloir, une clef tourna dans la serrure, le porte s’ouvrit, une femme de chambre apparut :

— Madame désire ? demanda-t-elle, d’un air calme et nullement étonné.

Si la domestique n’était pas surprise, c’était Hélène qui demeurait abasourdie, en présence du flegme de son interlocutrice.

Ah çà, était-elle donc attendue à l’hôtel ? Savait-on qu’elle allait y venir ? Oui, sans doute, et cet appartement avait dû être retenu depuis quelque temps déjà pour qu’elle vînt s’y installer.

Du coup, la jeune fille résolut de ne plus chercher à fuir et n’osait même pas interroger. Plus de doute, c’étaient des amis qui l’avaient amenée là. Il ne fallait manifester ni surprise, ni étonnement, ne pas essayer de fuir. Si on ne l’avait pas prévenue, c’est que cela n’avait pas été possible. Voilà tout.

— Je meurs de faim, dit-elle à la camériste, ne pourrait-on me servir quelque chose ?

La femme de chambre énumérait ce qu’on pouvait se procurer à cette heure tardive. Hélène commanda un repas frugal. Un quart d’heure plus tard, elle était servie. Malgré ses émotions, ses inquiétudes et ses angoisses, Hélène fit honneur au souper fort appétissant qu’on lui servait. Au fur et à mesure qu’elle se réconfortait, qu’un agréable vin blanc de Bordeaux rosissait ses joues pâles, elle se sentait envahie d’un bien-être d’autant plus délicieux qu’il survenait après de rudes fatigues.

4 – LA MARE AUX SANGSUES

À quinze cents mètres environ du village de Beylonque, là où les pignadas, durant des kilomètres et des kilomètres, commencent à dresser vers le ciel leurs espaces étrangement ouatés d’ombre et de silence, une masure attirait le regard. Les murs étaient, à leur base, constitués par des moellons. Un peu plus haut, des briques s’apercevaient, une charpente de bois couronnait l’édifice dont le toit était fait d’ardoises, de tuiles et, sur l’un de ses pans, de chaume tout bonnement.

Cette demeure extravagante, unique et ridicule, était le home de l’ineffable Bouzille. Cet homme de tous les emplois avait décidé un matin de s’établir une bonne fois propriétaire.

Comment Bouzille, cependant, au hasard de ses pérégrinations, en était-il venu, sa décision prise, à échouer à Beylonque ? Il eût été probablement fort difficile de le lui faire expliquer avec quelque précision. Il y avait là des motifs bizarres. Des histoires de poules chapardées le long des routes, de légumes volés dans les jardins de ses semblables, avaient mené Bouzille de gendarmerie en gendarmerie, pour le conduire finalement en ce pays perdu.

Bouzille cependant n’avait nullement renoncé aux vieilles habitudes qui lui étaient chères. Comme par le passé, il estimait que l’été était une saison exquise au cours de laquelle il était opportun d’être en liberté pour jouir du ciel bleu, des oiseaux, des champs où il fait bon dormir au soleil. L’hiver, en revanche, apparaissait au chemineau comme un ennemi rendant nécessaire un séjour volontaire en prison, séjour qu’il était toujours facile pour un individu de son espèce, connaissant à fond le tarif des légers délits, de proportionner exactement aux mois qu’il importait de passer aux frais du gouvernement.

Bouzille, fort de son idée, était arrivé à Beylonque un beau matin et s’était immédiatement mis en campagne pour se procurer un logis où il pût, toute la saison d’été, habiter tranquillement, en devant à tout le monde pour ne rien devoir à personne. Bouzille n’avait pas eu besoin de réfléchir bien longuement pour découvrir un procédé. Le maire de Beylonque était précisément propriétaire d’un petit terrain qui convenait à merveille à Bouzille. Le chemineau alla donc trouver le représentant de l’autorité et lui tint ce discours :

— Monsieur le maire, déclarait l’impayable personnage, je suis un pauvre homme et je suis persuadé qu’en conséquence vous voudrez bien m’aider. Voilà. J’ai de quoi acheter des matériaux pour me bâtir une maison. Donnez-moi le terrain nécessaire, je vous donnerai en échange les matériaux comme garantie. Quand j’aurai fait des économies, je vous paierai votre terrain.

Brave homme, le maire avait accepté la proposition, signé un papier. Puis le chemineau avait été trouver divers marchands de moellons, de briques, de tuiles.

— Je viens d’acheter un terrain, leur expliqua Bouzille, brandissant, sans le laisser lire, le papier du maire. Je manque d’argent pour acheter les matériaux qui me sont nécessaires. Faites-moi crédit, je vous donnerai le terrain comme garantie et, quand j’aurai fait des économies, je vous paierai.

La combinaison était évidemment excellente. Bouzille, par son procédé, avait réussi à avoir pour rien une maison, d’aspect un peu bizarre, il est vrai.

— Chaque jour, disait l’heureux « propriétaire » à ses amis les chemineaux qu’il hébergeait volontiers, chaque jour je reçois trois ou quatre feuilles de papier timbré. Moi, ça ne me gêne pas. Pour me mettre à l’abri de toute espèce de poursuite et de toute espèce d’ennui, je n’ai qu’à ne pas faire d’économies. N’ayant rien, je ne paierai rien.

Bouzille, en son château-chaumière, vivait de mille industries, rendait des services à ses voisins, devenant petit à petit l’homme à tout faire dont chaque bourgade possède son spécimen.

Il chassait les vipères, qu’on lui payait tant par tête. Il détruisait les taupes, à forfait. Il surveillait les cerisiers trop visités par les moineaux rapaces. Il guettait encore les passages de palombes attendues par les chasseurs du pays. Il n’avait jamais rien à faire, mais il était occupé, il trouvait toujours moyen de gagner quelques sous.

Ce jour-là, Bouzille sortait de Beylonque, traînant un maigre cheval qu’il avait été conduire chez le vétérinaire pour le compte d’un fermier.

— Eh, eh, pensait l’ancien chemineau, voilà un cheval qui va peut-être me rapporter soixante centimes sans que personne puisse rien me dire.

Et Bouzille, pressant le pas, au lieu de se rendre par le chemin le plus direct à la ferme où il devait conduire la bête, obliqua, s’enfonça dans un petit chemin forestier, courant au plus profond des pignadas.

— Hue, cocotte, encore un peu de courage.

« Dommage, pensait Bouzille de temps à autre, dommage que le bon Dieu ait fait des chevaux si grands. S’ils avaient le dos plus près du sol, il n’y aurait aucun danger à être cavalier et ma foi je n’aurais pas besoin de marcher à pied.


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