Le 33, comme les autres prisonniers, maté par le régime rigoureux de la prison cellulaire, effectuait ponctuellement son travail quotidien. De Fantômas, il n’était plus question, et le directeur lui-même avait cessé de renouveler aux gardiens, qui sans cesse se succédaient, suivant l’usage, à la division D, ses recommandations, relativement au forçat. 33.
Fantômas en effet avait une conduite exemplaire, et faisait preuve d’une intelligence qui lui valait la considération de ceux qui surveillaient son ouvrage.
Fantômas, néanmoins, devenait de plus en plus sombre, et de plus en plus préoccupé, encore qu’il dissimulât ses appréhensions et ses impressions.
Fantômas s’exaspérait de voir passer le temps et de n’entendre point parler de Bébé, de l’apache incarcéré en même temps que lui au bagne de Louvain, et qui devait avoir achevé sa peine.
À quoi pensait-il donc ? et dans la pègre de Paris, avait-on décidé de se passer désormais de Fantômas ? Et peu à peu, Fantômas sentait avec terreur que ses facultés intellectuelles allaient diminuant, que sa santé dépérissait. Il voyait approcher l’hébétement, la folie. Pour peu que cela continuât, Fantômas, le Roi de l’Épouvante, le Génie du Crime, terrassé par la solitude et l’incarcération, ne serait plus qu’une loque.
— Le 33 au préau.
Comme tous les matins, à sept heures et demie, cet ordre venait d’être formulé d’une voix sèche et brève, par le gardien qui avait dans sa section les numéros de 30 à 40 de la division D.
Fantômas appréciait particulièrement cette heure de la journée car, pendant vingt-cinq minutes, il respirait l’air libre, l’air directement venu du ciel. Il faisait ce matin-là un clair soleil d’automne, et le temps était frais.
Fantômas contemplait machinalement le mur en face de lui, mur élevé, rébarbatif, maussade, mur d’une des ailes de la prison, mur haut de vingt-cinq mètres, et large d’autant, lorsque soudain il réprima un tressaillement.
Sur ce mur noyé d’ombre, car il était orienté vers l’ouest, venait de se projeter un rayon lumineux et ce rayon disparaissait, et réapparaissait. Soudain, le rayon décrivit un cercle, et cette fois, Fantômas poussa un long soupir, cependant que ses yeux s’écarquillaient. Il n’y avait pas de doute, c’était un signal : quelqu’un s’occupait de lui.
Fantômas, sans paraître s’hypnotiser dans la contemplation de ce mur, ne le quittait pourtant pas des yeux. Il avait compris non seulement qu’on s’occupait de lui, mais encore que l’on tentait de le renseigner au moyen de l’alphabet lumineux que Fantômas lui-même avait imaginé pour la Bande des Ténébreux.
Chaque projection devait indiquer un chiffre, à ce chiffre correspondait une lettre et dès lors, lettre par lettre, on pouvait reconstituer un mot. C’était long sans doute, mais avec de la patience n’arrive-t-on pas à tout ?
Le rond lumineux signifiait attention, et Fantômas n’avait garde de se laisser distraire.
Quelques instants après, il notait quatre projections successives. Puis, après un intervalle, il en notait encore neuf, puis vingt-trois.
— La quatrième lettre de l’alphabet, se dit-il, c’est la lettre d, la neuvième, c’est i, la vingt-troisième c’est x :
Ce message signifiait : dix heures soir.
Puis, tout s’éteignit et le mur resta plongé dans l’ombre. Le temps de la récréation, d’ailleurs, était terminé, et le gardien, par un signe, rappelait au prisonnier que le moment était venu de rentrer dans sa cellule. Fantômas, impassible, obéit. Il était transfiguré. En lui bouillonnait une impatience fébrile, une ardeur nouvelle. Oh, du moment qu’on s’occupait de lui, et qu’on allait l’aider, il ferait l’impossible et réussirait à s’arracher du bagne. Le lendemain, Fantômas à la même heure, revenait dans son préau. Il faisait toujours un temps splendide et le soleil brillait.
Sur le mur, se projetèrent encore des éclats lumineux, Fantômas lut : Toussaint, chemin infirmerie.
Le bandit en savait assez ce jour-là pour comprendre ce que signifiait cette phrase synthétique : dix heures du soir, Toussaint chemin infirmerie. Cela voulait dire, sans la moindre hésitation : que le jour de la Toussaint, c’est-à-dire dans une quinzaine de jours, à dix heures du soir, sur le chemin de l’infirmerie, il se passerait quelque chose, qui lui faciliterait tout au moins ses projets d’évasion. Quelque chose ? mais quoi ?
Fantômas attendait anxieusement tout le jour, puis toute la nuit, la récréation du lendemain, et les vingt-cinq minutes heureuses qu’il allait vivre dans son préau.
Hélas, le lendemain, Fantômas eut une désolante surprise qui le plongeait dans le désespoir. Aucune projection ne fut faite sur le mur.
Mais Fantômas, soudain, comprit pourquoi.
Pour pouvoir projeter sur le mur de la prison des rayons de soleil, il faut que le soleil soit visible. Or, le temps était couvert, des nuages obscurcissaient le ciel.
Ferait-il beau demain ?
Telle fut, pendant vingt-quatre heures, sa préoccupation dominante.
Le lendemain il pleuvait.
Mais le troisième jour, ses vœux furent exaucés, le temps se remit au beau, le soleil brilla d’un éclat resplendissant dans le ciel, et deux jours de suite, Fantômas, au moyen des signaux lumineux, reçut encore ces indications : Cavale par corde lisse, serons là.
7 – CHERCHEZ LA FEMME
En chemise, pieds nus, claquant des dents au contact du parquet glacé, Fandor entrouvrit la porte du petit appartement qu’il habitait depuis de longues années déjà, rue Richer.
Fandor avait les cheveux ébouriffés, les yeux gros de sommeil, on devinait qu’il venait de se lever, qu’il était encore mal éveillé, et peu disposé à éterniser sa station dans le vestibule de son logis.
— C’est vous, madame Angélique ? demanda le journaliste. Oui. Cela va bien. Donnez-moi les lettres et les journaux. Merci. Décidément, vous êtes la femme la plus exquise que je connaisse, et, si ça peut vous faire plaisir, je vous déclare que vous embellissez chaque jour, si bien que d’ici une trentaine d’années, vous pourrez remplacer la Joconde, au Louvre. Là-dessus, adieu. À tout à l’heure. Je me recouche.
Un claquement sec, et la porte de Fandor se refermait sur les lamentations de la brave Angélique Oudry, concierge du journaliste, qui gémissait scandalisée :
— Si c’est pas malheureux de tourner en dérision une femme de mon âge et de ma situation. Le Diable vous punira, monsieur Fandor.
Sans l’écouter, Fandor se hâta de traverser l’étroit corridor qui conduisait à sa chambre, puis de se rejeter sur son lit. Avec une volupté satisfaite, il retrouvait la tiédeur des draps et des couvertures, et, psalmodiant un air connu, il s’écriait :
— La chaleur, n’y a que ça.
Tout de même, si paresseux qu’il fût, Fandor était curieux plus encore.
Ce matin-là comme d’ordinaire, Jérôme Fandor, après avoir éprouvé la satisfaction de se replonger dans le lit tiède, abandonné quelques minutes avant, au coup de sonnette de la concierge, se décida à se tirer définitivement de la somnolence où il était encore.
— Tu dors, Brutus, se déclarait à lui-même Fandor, et tu ne sais pas si Paris est dans les fers. Lève-toi donc, animal. Il y a peut-être une révolution. Peut-être te recherche-t-on pour succession aux annonces notariales. Enfin, tu ne peux pas savoir ce que les journaux de ce matin vont t’apprendre d’extraordinaire ou d’inouï. Lève-toi, Fandor.
Fandor ne s’obéissait pas tout à fait. À coup sûr il était indulgent pour lui-même. À coup sûr il cherchait une transaction entre ce qu’il considérait comme son devoir et ce qui était incontestablement son désir.
Il ne se leva pas. Il s’assit dans son lit.
— Diable, cela va mieux, constata-t-il, achevant de s’éveiller. Et maintenant, au travail.
Fandor, bien entendu, recevait une dizaine de journaux, qu’il lisait à la façon spéciale employée par tous les rédacteurs de quotidiens. Il parcourait les titres, inspectait les manchettes. En une seconde, il eut donc dépouillé tout ce qui pouvait l’intéresser dans les feuilles. Un journal demeurait intact sous sa bande.