— Enfin, se dit Fantômas après avoir consulté sa montre, d’ici une heure je serai renseigné. D’ici une heure, d’ailleurs, il se sera peut-être passé bien des choses.

Ici le bandit fut interrompu dans ses réflexions ; le garçon qui le servait à table lui apportait une lettre :

— De la part de la marquise de Tergall.

Le garçon l’interrogeait :

— Y a-t-il une réponse ?

Fantômas déchira l’enveloppe, lut :

— Non, fit-il, vous pouvez vous retirer.

Resté seul, le faux juge d’instruction, dont le front se marquait d’un pli soucieux, relut la lettre qu’il venait de recevoir :

Monsieur,

Ne comptez pas sur moi aujourd’hui, les formalités que j’ai à remplir et dont vous connaissez la nature me retiendront au Mans jusqu’à une heure avancée, mais j’irai demain, sans faute, vous trouver à votre cabinet et dès lors je me mettrai en règle vis-à-vis de vous,

Antoinette de Tergall.

Fantômas réfléchissait à la teneur de cette lettre, dont il pouvait seul comprendre le sens exact.

Depuis l’assassinat du marquis de Tergall, la situation était assez tendue entre le bandit et la malheureuse veuve qui se croyait la sœur du juge Pradier.

Tout d’abord, Antoinette de Tergall affolée autant par la mort de son mari que par les hypothèses soupçonneuses et de nature à la compromettre qu’avait intentionnellement formulées Fantômas-Pradier, s’était dit que coûte que coûte il fallait supplier le juge d’instruction de ne pas révéler sa parenté avec elle, afin qu’il ne fût pas obligé de se dessaisir de l’affaire.

Et de la sorte, l’innocente s’était en somme donné vis-à-vis de son frère, ou du moins de celui qu’elle prenait pour tel, une attitude de coupable.

Puis, les premiers jours de sa tristesse aiguë passée, la marquise avait réfléchi et s’était juré qu’il fallait absolument dissiper dans l’esprit de Pradier les soupçons qui avaient pu y naître et s’y ancrer. Et la jeune femme s’était promis d’y parvenir dans le plus bref délai.

Une autre question s’était également posée à son esprit, et, très honnête, très droite, la marquise avait décidé, puisque désormais elle était veuve, de se mettre en règle par rapport à son frère, aux intérêts si longtemps lésés du fait des circonstances.

Antoinette de Tergall avait alors informé Pradier qu’elle voulait lui rembourser les cinq cent mille francs de l’héritage maternel.

Tant mieux, s’était dit Fantômas.

La marquise avait promis à son frère de venir ce jour-là et Fantômas y comptait avec d’autant plus d’impatience que la nature des événements qui se produisaient lui faisait envisager très sérieusement la perspective d’un prochain et rapide départ. Et le bandit tenait à s’assurer, au préalable, la possession de cet or.

Au reçu de la lettre d’Antoinette de Tergall, le faux Pradier eut peur. Est-ce que par hasard ce prétexte ne signifiait-il pas en réalité un changement dans les idées de la jeune femme ?

— Après tout, se dit-il, il ne faut pas se frapper. J’ai encore du temps devant moi, et pour peu qu’elle vienne demain avec les cinq cent mille francs, tout s’arrangera pour le mieux.

Fantômas, ayant achevé son café, alluma un cigare et sortit. Il était une heure à peine et le faux magistrat avait encore quelques bonnes minutes devant lui avant de regagner le Palais de Justice.

Il s’en alla à pied dans la direction des faubourgs, histoire de faire une petite promenade hygiénique. Bientôt il fut dans la campagne. Il cheminait sur la route déserte, les yeux baissés, l’esprit préoccupé, lorsque soudain deux individus surgirent de derrière un bouquet d’arbres. Fantômas, en les apercevant eut un sursaut d’étonnement. C’étaient Bec-de-Gaz et la mère Toulouche, que le faux juge d’instruction, deux jours auparavant, avait fait relâcher en leur intimant officiellement l’ordre de quitter le pays.

Or, ils n’avaient pas obéi.

— Comment se fait-il, interrogea Fantômas, que vous soyez encore là ? Je vous avais pourtant ordonné de disparaître d’ici.

— Ouais, sans doute, mais ça c’était un ordre du juge d’instruction, et comme le « curieux » de ce patelin c’est toi, Fantômas, tu comprends qu’on a mis tes ordres dans sa poche et qu’on s’est assis dessus sans plus y faire attention.

— Comprends bien ce que je vais te dire, Bec-de-Gaz, je veux que tu t’en ailles, toi, les autres, tous ceux que j’ai mis en liberté et tous ceux que je lâcherai encore. J’ai des raisons pour ça.

De sa voix nasillarde et chevrotante, la mère Toulouche intervint :

— Ça se peut que Fantômas ait ses raisons pour se débarrasser des aminches, mais les aminches comme Bec-de-Gaz et la mère Toulouche ne veulent pas se débiner sans avoir eu leur part de fête. Faudrait voir à raquer avant de nous tirer ta révérence. Et puis, c’est pas des acomptes qu’il nous faut, c’est le partage.

— Vous savez bien, déclara Fantômas, que j’ai très peu d’argent et que le moment n’est pas encore venu.

— Blagueur, tu as la galette que tes flics ont barboté à cette pauvre Mirette la nuit des arrestations dans le bal public.

— Cet argent, je ne peux pas en disposer, il est consigné au greffe.

Mais la mère Toulouche n’admettait pas ces explications.

— Inutile, commença-t-elle, de nous faire du boniment, ça ne colle pas. Ça ne colle plus, tu nous as eus bien trop souvent pour que tes histoires de l’autre monde prennent encore chez les vivants, chez les costauds de la bande des Ténébreux. Il nous faut de l’argent.

Bec-de-Gaz surenchérit :

— Il nous faut aussi les copains. Rosa doit sortir de prison, tu l’as promis.

— Comme c’est commode, s’écria Fantômas, de vous relâcher tous, je ferai de mon mieux, mais je vous assure que c’est difficile. Voyons, soyez raisonnables et d’ici quelques jours je vous donne ma parole d’honneur que tout le monde sera satisfait.

— Fantômas, répondit la mère Toulouche, on veut bien te faire crédit quarante-huit heures encore. Sûr qu’on ne rentrera pas à Paris d’ici là, comme tu l’as commandé, mais on restera bien tranquilles, bien sages dans la région. Tu vas nous donner un peu de pèze pour qu’on se cale les joues, en attendant, comme des bourgeois.

— Soit, fit Fantômas, qui dissimulait mal la colère qui grondait au fond de son âme.

Le bandit tira néanmoins quelques billets de banque de sa poche et les tendit à la vieille receleuse :

— Tiens, voilà pour toi, tu nourriras Bec-de-Gaz avec.

La vieille empocha l’argent :

— À la bonne heure ! Fantômas, je te reconnais… et d’ailleurs il vaut mieux que nous restions bien ensemble. Car, suppose que tu viennes à nous monter le coup, il pourrait y avoir à la suite de ça des indiscrétions fâcheuses pour toi dans le pays. Suppose que quelqu’un vienne à raconter que M. le juge d’instruction Pradier n’est autre que le célèbre Fantômas, on se demanderait peut-être comment il se fait que le prisonnier de Louvain a obtenu une aussi belle situation. On ferait des enquêtes, des histoires. Est-ce bien la peine ? Tandis que si tu t’arranges avec nous.

— J’ai compris. Vous auriez bien tort de bavarder sur cette question, car vous pouvez être tranquilles, ce n’est pas moi qui vous ferai du tort.

Bec-de-Gaz, voyant que l’implacable bandit temporisait, empêcha la mère Toulouche d’insister :

— Mais oui, mère Toulouche, dit-il, d’un ton conciliant, tu vois bien que Fantômas est sincère. Tenons-nous tranquilles pendant deux jours, comme on l’a proposé. D’ici là, le patron est bien assez costaud pour sortir Mirette et les copains de la tôle, comme il nous en a sortis. Il s’en ira lui-même avec la bonne galette du marquis de Tergall, et dès lors, on s’arrangera tous ensemble. Pas vrai, Fantômas ?

Fantômas avait acquiescé, serré les mains des deux bandits, puis était revenu à pas précipités, dans la direction du Palais de Justice.

— Ah les salauds, grommelait-il, ils veulent me faire chanter, je suis dans une situation telle qu’il m’a fallu leur donner l’impression que je cédais à leurs menaces. Mais rira bien qui rira le dernier. Ce n’est pas impunément que l’on tient tête à Fantômas. Et je crois que ces pygmées ont voulu se mesurer avec le Géant. Soit. Il leur en coûtera chaud. La vengeance de Fantômas sera formidable.


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