— Pardon, monsieur le procureur général, pardon, je ne sais pas si je viens de faire une bêtise, c’est possible, mais, pour ce qui est de me dire que le prisonnier d’hier soir et M. le juge d’instruction c’étaient la même personne, non, jamais de la vie. Je connais bien M. Pradier, avec sa barbe, sa moustache, ses favoris, ses grands cheveux grisonnants et bouclés, sa bonne figure cordiale. Or, l’homme que m’ont remis les gendarmes avait un visage anguleux, des yeux rudes, la face complètement rasée, ce n’est pas M. Pradier. C’était bien une tête de policier, j’ai tout de même un peu de flair, et, sans l’avoir jamais vu, j’ai reconnu Juve.
Le procureur se retourna vers l’inspecteur de la Sûreté :
— Monsieur Juve, déclara-t-il, vous entendez ce sinistre crétin, il vous a reconnu.
Et, cependant que le procureur se tordait les mains dans un geste d’accablement et que Jacquinet, de plus en plus abasourdi, regardait alternativement le magistrat, puis le personnage inconnu que M. Anselme Roche venait d’appeler Juve, l’inspecteur de la Sûreté se leva. Très calme, presque avec ironie, il déclara :
— Il y a des malchances qui s’acharnent sur des gens et véritablement la nôtre est exagérée. Vous ne pouvez pas incriminer ce gardien d’avoir commis cette erreur, monsieur le procureur général. Il a obéi aux ordres de son chef, et il a bien fait. Nous avions pris Fantômas, il s’est évadé, soit. Mais il part démasqué, sans argent, traqué de toutes parts. Au fond, peut-être cela vaut-il mieux. Sa fuite, réelle désormais, lorsque nous l’aurons repincé, nous évitera toutes sortes de formalités, car nous le repincerons, monsieur le procureur général, j’en ai la certitude, nous le repincerons.
Un coup discret à la porte du cabinet.
— Entrez, fit le magistrat.
C’était un télégraphiste qui apportait une dépêche.
— Monsieur le procureur, demanda ce jeune homme.
Anselme Roche s’avança, prit la dépêche.
— Tenez, fit-il en tendant le papier à Juve, c’est pour vous.
L’adresse du télégramme était ainsi libellée :
Procureur général de Saint-Calais, pour remettre à Juve, inspecteur de la Sûreté.
Juve déchira le pointillé et, de sa voix grave, lut le texte du télégramme, qui était ainsi conçu :
Fantômas s’est sauvé de prison, mais je suis sur ses traces. Fandor.
La dépêche était datée d’Orléans.
— Eh bien, monsieur Juve, que pensez-vous ? interrogea le procureur.
Juve ne répondit pas. Il prit en hâte son pardessus, son chapeau, puis, une fois prêt, revint vers le magistrat, s’inclina devant lui :
— Monsieur le procureur général, déclara Juve, je pense que les minutes sont précieuses et que je n’ai plus un instant à perdre pour rattraper Fantômas. J’ai bien l’honneur de vous saluer.
FIN