La porte de la rue était entrebâillée, il se glissa dehors, ni vu ni connu.

***

— Alors, Fleur-de-Flic, quoi de nouveau ?

— Hum, pas grand chose, monsieur Juve, pardon, monsieur Lambert. Je vous demande pardon, monsieur Lambert, excusez-moi, monsieur Lambert, de vous appeler toujours monsieur Juve, mais j’oublie sans cesse que monsieur Juve n’est autre que monsieur Lambert.

Riquet venait de recevoir de son interlocuteur un grand coup de poing dans les côtes. Il rougit.

Riquet et Juve étaient installés au fond de la boutique d’un marchand de vins de la rue de la Chapelle depuis neuf heures et demie. Onze heures venait de sonner et ils causaient encore à voix basse, mystérieux :

C’était Juve qui interrogeait minutieusement, sans en avoir l’air, le jeune gavroche qui, tout heureux d’être l’ami d’un tel personnage et d’avoir des secrets avec lui, cherchait tous les détails capables d’intéresser son interlocuteur. Les récents événements qui s’étaient déroulés dans la Plaine Saint-Denis, de même que les incidents relatifs à Blanche Perrier, au courant desquels il se trouvait, défrayaient la conversation.

Après un silence, Juve demanda :

— Alors dis-moi, petit, toi qui es retourné à la maison Granjeard depuis la dispute intervenue entre Didier et sa famille, dis-moi donc un peu la tête que faisaient la veuve et les deux frères aînés ?

— Ma foi, ça n’est pas très commode de préciser, car j’ai peu vu les patrons hier et aujourd’hui.

— Je croyais que tu étais tout le temps en relations avec eux ? que tu faisais leurs courses ?

— Oui, sans doute autrefois, mais désormais depuis le renvoi de Blanche, c’est moi qui la remplace à la clouterie et là on est plus loin des « singes ». Pas moyen de dévisager leur bobine.

— Enfin, insista Juve, n’as-tu pas entendu dire, n’as-tu pas remarqué qu’ils étaient étonnés de ne pas voir revenir leur fils ?

— Eh bien non, répliqua Riquet, les rares fois où je les ai vus, ils paraissaient comme à l’ordinaire. D’ailleurs, paraît que M. Didier leur a déclaré le jour de l’engueulade qu’il ne reviendrait pas.

— Dis-moi, Fleur-de-Flic, je me demande ce qu’a pu devenir Didier. En sortant du magasin, n’es-tu pas allé voir chez Blanche s’il s’y trouvait comme je te l’ai recommandé ?

— Oui, répondit le gavroche, je suis monté chez Blanche Perrier, elle était sortie. Mais, monsieur Juve, pardon, monsieur Lambert, puisque nous causons de ces trucs-là, j’ai quelque chose d’autre.

— Quoi donc ?

— C’est une idée, comme ça qui m’est venue, pendant que j’étais sur le carré du sixième.

— De quel sixième ?

— Hé, parbleu ! du sixième de l’impasse Urbain. Savez-vous qui est le voisin de Blanche Perrier ?

— Pas le moins du monde.

— C’est un drôle de type. Une espèce d’infirme qui fait le mendiant dans la journée et qui, le soir, traîne dans les cabarets. Précisément, le soir du crime, on l’a vu dans un bouge de la Plaine Saint-Denis.

— Comment sais-tu que c’est lui ?

— Oh, il est facilement reconnaissante, car cet infirme-là se ballade toujours dans une espèce de chariot.

— Un chariot, s’écria le policier, il me semble que je comprends où tu veux en venir ?

— Ah, tant mieux, fit Riquet, j’avais peur de ne pas être clair.

— C’est limpide comme de l’eau de roche. Continue.

— Alors, autant vous dire que j’ai pensé que le chariot de l’infirme et celui sur lequel on a transporté le mort de la Plaine Saint-Denis pourraient bien être le même.

— Oh, oh, tu vas vite, fit Juve.

— J’ai voulu m’en assurer et je suis rentré dans la taule de Taxi, le mendiant. Qu’est-ce que vous voulez, j’suis curieux de ma nature, quand j’ai besoin de savoir quelque chose, je n’hésite pas à me renseigner.

— Fleur-de-Flic, tu es en train de devenir un grand policier. Qu’as-tu découvert ?

— Le chariot de l’infirme a le même écartement de roues que celui qui a servi à transporter le cadavre mystérieux. J’ai mesuré ses dimensions, là, comme ça, en un clin d’œil, pendant que l’infirme était occupé dans la pièce à côté.

— Bravo, petit. C’est très important, ça.

— N’est-ce pas ? fit Riquet. C’est Taxi qui est le coupable ?

— Tu vas trop vite, petit. Et puis ne m’as-tu pas dit que ce mendiant était infirme ? Les infirmes ont plus que les autres de la peine à commettre des crimes.

— Les vrais infirmes oui, mais les faux ?

— C’est un simulateur ?

— Oui.

— Alors c’est différent, en effet, et ce que tu me dis, bien que je m’en défende, me fait croire de plus en plus que nous sommes sur la bonne piste désormais. Tout porte à croire, en effet, que ce Taxi, c’est l’assassin.

— Aïe, je vous attendais-là, mais patience, dans cinq minutes, vous ne rigolerez plus.

— Je ne rigole jamais, Riquet, lorsqu’il s’agit de choses sérieuses. Mais pourquoi me dis-tu que je vais être ennuyé ?

— Oh, c’est simple comme tout, vous allez le comprendre lorsque vous saurez quel est le véritable nom de l’infirme connu sous le sobriquet de Taxi.

— Dis-le.

— Taxi, monsieur Juve, c’est Fandor.

— Fleur-de-Flic, tu as trop bu de vin blanc.

Mais le gamin protesta :

— Sur la tête de ma mère, je vous jure que je ne suis pas saoul, et je vous jure aussi que l’infirme et votre ami le journaliste ne font qu’un même et seul personnage.

— Explique-toi, petit, explique-toi.

Riquet n’hésita plus alors à tout confier à son ami. Après quoi, le policier reprit très grave :

— Écoute bien, petit, il y a un mystère que nous devons éclaircir et dans le plus bref délai. De deux choses l’une, ou tu te trompes, ou tu as raison. Si tu fais erreur et si le faux infirme n’est pas Fandor, comme je l’espère, nous n’hésiterons pas à arrêter ce suspect mendiant. Si au contraire c’est Fandor…

— Eh bien ? si c’est Fandor ?

— Eh bien, poursuivit Juve nettement, si c’est Fandor et qu’il soit coupable, je ferai mon devoir jusqu’au bout. Allons-y.

Juve se leva.

— Où cela ?

— Impasse Urbain, dit le policier.

Quelques instants plus tard, l’homme et l’adolescent se retrouvaient dans la rue, marchant silencieusement, côte à côte. Riquet ne se sentait pas de joie, décidément, comme l’avait dit Juve, il était en train de devenir un grand policier.

Ils approchaient de l’immeuble dans lequel habitaient le fameux Taxi et Blanche Perrier, lorsque Riquet s’arrêta brusquement :

— Qu’est-ce qu’il y a ? fit Juve.

— Regardez.

C’était une sorte de poussette, de petit véhicule constitué par une grossière caisse de bois montée sur un essieu, aux extrémités duquel des roues étaient assujetties. Le chariot gisait dans le ruisseau en piètre état. La caisse était défoncée, l’essieu brisé, les roues tordues.

— Aussi sûr que je suis ici, déclara-t-il, c’est le chariot de Fandor. Mais lui, qu’est-il devenu ?

Juve s’était rapproché, il arracha l’engin du ruisseau, le mit sous son bras et fit volte-face.

— Juve, que faites-vous ? interrogea Riquet. Renoncez-vous à votre projet ? ne montons-nous pas voir ?

— C’est inutile, du moment que la cage est dans la rue, tu peux être sûr que l’oiseau est envolé, d’ailleurs je me contente d’emporter ceci comme pièce à conviction, l’avenir nous dira le parti qu’il faut en tirer, car demain il y aura du nouveau, tu peux m’en croire.

— Est-ce au sujet de Fandor ? interrogea Riquet anxieusement.

Évasivement Juve répondit :

— Au sujet de Fandor, je ne puis te le dire, mais au sujet du mort, certainement.

— Ah, s’écria Riquet, je suis sûr que vous savez qui est le cadavre.

— Hum, ne cherche pas à me faire bavarder Riquet, je ne te dirai qu’une seule chose, mais celle-là, je te l’affirme : avant demain soir, il va y avoir un coup de théâtre.

8 – UNE ARRESTATION

M. Bagot, le commissaire de police de Saint-Denis, arriva fort tard ce matin-là à son commissariat, où on l’attendait depuis plusieurs heures.


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