— Je vous le jure.
— Bien. Maintenant je vais essayer de sauver votre mère, je ne vous promets rien. Je ferai mon possible. L’argent vous importe peu, je le comprends, vous me rembourserez ce que j’aurai déboursé. Voilà tout. Demain peut-être, vous serez tous libres.
Juve appuya sur le bouton de la sonnette et sortit de la cellule du prévenu.
***
Le lendemain matin, dans le cabinet de M. Mourier, M me Granjeard et ses deux fils écoutaient avec ravissement le magistrat instructeur :
— Je signe une ordonnance de non-lieu, déclarait en effet M. Mourier, je vous libère tous les trois, car je ne vous le cache pas, la preuve de votre innocence est entièrement faite. Non, ne me remerciez pas, ce n’est pas moi qui ai découvert la vérité, c’est un modeste héros, c’est le policier Juve qui n’est même pas venu recevoir vos remerciements.
Les Granjeard se regardaient. M me Granjeard pensait :
— J’ai sauvé mes fils en acceptant les propositions de Juve.
De son côté, Paul Granjeard se disait :
— J’ai sauvé ma mère en achetant ce policier.
Mais, M. Mourier poursuivait :
— Juve, en effet a fini par découvrir le testament de M. Didier Granjeard. Il est en quelque sorte la preuve de la culpabilité de Blanche Perrier. Cette femme avait intérêt au crime, de plus, elle est en fuite. Tenez, lisez ce document.
La mère et les deux fils, se saisirent avidement de ce que M. Mourier considérait de bonne foi comme étant les dispositions testamentaires du malheureux Didier Granjeard. Mais, tandis qu’ils lisaient, sans même les comprendre les phrases énonçant les dons et les legs, une même stupeur les paralysait.
Le testament n’avait pas été écrit par Didier. M me Granjeard ne reconnaissait pas l’écriture de son fils. Paul Granjeard ne reconnaissait pas l’écriture de son frère. Ni Paul Granjeard, ni M me Granjeard pourtant n’osèrent prévenir le juge de la falsification qu’ils subodoraient.
— C’est faire condamner ma mère, se dit Paul Granjeard.
— C’est faire condamner mon fils, pensait M me Granjeard.
Robert Granjeard, lui, ne comprenait pas, mais voyant l’émotion de ses parents, il se tut lui aussi.
Et M. Mourier, se trompant au bouleversement de ceux qu’il croyait innocents, ajoutait :
— Je garde ce document au dossier, ce document que m’a confié Juve. En tout cas, vous êtes libres, voici l’ordonnance de non-lieu, vous êtes, je vous le répète, et grâce à Juve, hors de cause.
13 – LE RENDEZ-VOUS
— Avec tout ça, je n’ai vraiment pas de chance. Il fait toujours nuit, un froid de tous les diables, et je vais avoir une occasion numéro un d’attraper un formidable rhume. Ça, c’est véritablement désagréable. Me faire tuer, me faire écrabouiller, je veux bien. Ça entre en quelque sorte dans les risques de mon métier, mais m’enrhumer comme un imbécile, parler du nez pendant huit jours, être contraint d’avaler des pâtes de réglisse ou des bois de guimauve, ah non, je ne marche pas, j’aimerais mieux me plaindre à l’Administration.
Dans le hall de la gare Montparnasse, Fandor venait d’arriver et flânait tout en monologuant, devant les boutiques des libraires. Le jeune homme, d’un coup d’œil, avait vérifié l’heure à la grande horloge de la gare, qui, par exception, marchait ce jour-là. Il était en avance, il n’avait pas besoin de se presser. Jérôme Fandor, tranquillement donc, arpentait cinq grandes minutes les alentours du quai de départ, et s’amusait notamment à abrutir complètement l’intelligence des employés en leur demandant, les uns après les autres, de quel quai devait partir exactement l’express de Cherbourg. Nul ne pouvait le renseigner. La gare Montparnasse, qui dépend de l’Ouest-État, a ceci en effet de particulier, qu’elle est si exiguë, si mal aménagée, si peu apte à rendre les services qu’on lui demande, qu’il est matériellement impossible aux contrôleurs de la voie d’affirmer d’une façon certaine qu’un train arrivera à tel quai plutôt qu’à tel autre, que tel express démarrera d’une voie, plutôt que de la suivante. Le service se fait au petit bonheur, au hasard de l’encombrement, il y a des coutumes vénérables sur lesquelles on se base, on sait par exemple que le train devant arriver à huit heures et demie n’est jamais là, et on en profite pour faire partir sur la voie où il doit se ranger l’express de neuf heures moins le quart, mais enfin, il est difficile d’être certain que, par hasard un train étant exact, l’express ne sera pas obligé de s’en aller d’ailleurs.
— Donc, conclut Fandor, qui, pour la dixième fois, têtu et obstiné, interviewait un employé très galonné, donc, vous ne pouvez pas me dire de façon certaine si l’express de Cherbourg partira de la voie 10 ou de la voie 5 ?
— Monsieur, il partira de la voie 7, le voilà, vous pouvez monter en voiture.
Lentement, en effet, avec des précautions extrêmes, un train était refoulé en gare. Fandor remercia l’employé, se dirigea, lui aussi, vers le rapide.
— Très bien, ce train, murmurait-il, tout en longeant les wagons, très confortables, les sleeping, très moelleux le capitonnage des premières… En seconde, c’est encore potable, en troisième, hum, c’est beaucoup moins bien, mais enfin cela n’a rien d’horrible. Allons, allons, le matériel s’améliore tous les jours, dommage que je n’en profiterai pas.
Enfin, Fandor n’avait pas de bagages, curieusement, car ce n’était point son habitude, il était vêtu en sportman. Une veste à gros plis tombait sur un pantalon de velours, dont les jambes étaient emprisonnées sous des guêtres de chasseur alpin. En bandoulière, il portait un sac, dans lequel il avait dû cacher très peu d’objets, mais des objets de valeur, car, de temps à autre, d’un mouvement instinctif, il s’assurait que la serrure en était bien fermée, qu’il n’avait rien perdu de ce que contenait cette mystérieuse valise. Or, Fandor, tout en se mêlant à la foule des voyageurs, longeant toujours l’express, se dirigeant vers la tête du train. L’express était très long, le train du soir est le plus usité de ceux qui mettent Cherbourg en communication avec Paris, il y avait là, se préparant à partir, ou venus accompagner des amis ou des parents, nombre de voyageurs, et plus d’un col bleu d’officier de marine, rentrant de permission, était curieusement et sympathiquement examiné par Fandor qui avait une prédilection pour les soldats de l’armée de mer. Tandis qu’on enfilait les bagages dans le fourgon du train, Fandor finit par arriver à la tête du convoi. Là, appuyés sur un chariot vide, tenant avec nonchalance des balais et des plumeaux, des hommes d’équipe faisaient cercle, fumant, causant, n’ayant nullement l’air de se livrer à un travail quelconque. Fandor s’approcha d’eux :
— Dites donc, messieurs, commença-t-il, un petit renseignement s’il vous plaît ? Un pari que je viens de faire : est-ce que ça n’est pas ce train-là qui emmène le wagon pénitentiaire ?
Les facteurs se regardèrent les uns les autres, étonnés peut-être de la question, et peut-être fort mal renseignés. Le chef de train qui, assis sur une caisse d’emballage, commençait à pointer des paperasses, avait heureusement saisi la question du journaliste :
— Parfaitement, monsieur, répondit-il, c’est bien cet express-là auquel on attelle le wagon pénitentiaire.
— Mais comment se fait-il alors, qu’il ne soit pas là ?
— Parce qu’on ne fait pas monter les détenus dans la gare, faisait l’homme. Ils embarquent un peu plus loin sur les voies, on attelle le wagon à la locomotive. Puis il est refoulé avec elle et comme il continue directement jusqu’à Cherbourg, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’il soit en tête de train.
Jérôme Fandor n’en demandait pas plus.
À la réponse du chef de train qu’il remercia de son obligeance, un sourire indéfinissable avait paru sur ses lèvres.
Parbleu, il le savait bien que c’était l’express de Cherbourg qui emmenait le wagon pénitentiaire. Depuis huit jours, il multipliait les démarches, au ministère et dans les bureaux de la gare, avec quelle habileté, pour arriver à se documenter sur la question. Non seulement il savait que l’express de Cherbourg allait emmener le wagon pénitentiaire, mais encore il connaissait dans ses moindres détails la disposition matérielle de ces wagons. Fandor savait qu’il était exactement disposé comme les voitures cellulaires que l’on rencontre dans Paris. Le couloir central divisant le wagon en deux parties est percé de part et d’autre d’une série de petites portes qui toutes communiquent avec un étroit réduit où peut prendre place un prisonnier ou une prisonnière. Les sièges sont d’ailleurs disposés exactement encore comme dans les voitures qui servent au transfert des détenus.