En l’espace de quelques secondes, cette lueur augmenta, se précisa. Hélène éblouie d’abord, se jeta instinctivement de côté, se dissimula dans une anfractuosité de la paroi du souterrain creusée à même le sol, puis elle regarda :

Un spectacle terrifiant. Du fond du souterrain arrivait une flamme, une lumière qui vacillait, avait d’étranges soubresauts. Tout d’abord, on ne voyait que cette lumière qui paraissait suspendue dans le vide, mais peu à peu, au fur et à mesure que le regard d’Hélène s’habituait à l’obscurité, elle découvrait, se silhouettant, derrière le lumignon, une forme blanche, imprécise, qui avançait lentement.

— C’est le revenant, pensa-t-elle, le revenant qui a terrifié le Bedeau tout à l’heure.

Sans un geste, s’interdisant même de respirer profondément, Hélène attendit que la forme mystérieuse et sépulcrale se fût approchée d’elle.

Son cœur battait à rompre lorsque la forme blanche la frôla sans s’en apercevoir.

Mais à ce moment, Hélène se précipita sur l’être fantomatique qui passait et un grand cri retentit : l’apparition s’était jetée à terre, la lumière s’était éteinte, l’apparition hurlait d’une voix blanche, jeune, presque féminine :

— Ah, Bon Dieu, ne me faites pas de mal.

— Obéis-moi et viens. N’essaie pas de résister.

— Ah, n’ayez pas de doute à cet égard, continua la voix qui, tout d’un coup devenait plus rassurée, presque gouailleuse, si vous croyez que c’est rigolo d’errer comme ça dans des souterrains où l’on ne rencontre que des squelettes ou des singes, moi je commence à en avoir ma claque de ce truc-là, et quitte à recevoir une raclée, je préfère qu’elle me soit administrée par quelqu’un de vivant.

Sans répondre, Hélène, intriguée au plus haut point, refit avec son énigmatique et mystérieux prisonnier le chemin qu’elle avait parcouru. Elle retrouva dans l’obscurité l’entrée de la cave, les marches qui conduisaient au hall, puis, sitôt au rez-de-chaussée, elle examina sa capture.

C’était un être, garçon ou femme, vêtu d’une longue blouse blanche et dont le visage, les cheveux, étaient saupoudrés de plâtre, de débris de toutes sortes.

Vu le peu de lumière qui éclairait le hall, Hélène n’identifia pas nettement l’être dont elle s’était emparé et qui, d’ailleurs, abasourdi, abattu, semblable à une loque, n’essaya pas de lui résister.

Hélène le tenant par l’oreille, lui fit monter l’escalier.

Puis, après avoir traversé le couloir, elle poussa brusquement son extraordinaire capture dans la pièce où Blanche l’attendait terrorisée :

— Voilà, s’écria-t-elle, le revenant que j’ai ramassé dans le souterrain.

Elle s’attendait à une exclamation de terreur de la part de Blanche, ce fut un cri de joie qui s’échappa des lèvres de la jeune femme :

— Riquet ! s’écria-t-elle, ah, par exemple !

Après un instant de stupéfaction, le fantôme s’agita, secoua la tête, ce qui fit tomber autour de lui un amas de poussière épaisse et blanche, puis, il s’avança vers Blanche et lui tendit une main toute couverte de plâtre :

— Excusez-moi, madame Blanche, de vous arriver aussi sale, mais on ne choisit pas toujours sa façon de voyager. L’essentiel, c’est que je sois là. Par exemple, mademoiselle-là a des façons de vous inviter à la suivre qui ne sont pas ordinaires. Pour un peu, je lui aurai laissé la moitié de mes esgourdes entre les doigts. Mais ce n’est pas tout ça. Ma chère Blanche, déclarait-il, on n’est pas là pour s’amuser à enfiler des perles, je suis venu te chercher, on va se débiner ensemble, pas vrai ?

Blanche allait répondre, mais Hélène lui fit signe. Des bruits dans l’escalier. Des bruits de pas lourds et pesants, le Bedeau remontait. L’homme avait fini sa ronde, il venait voir les prisonnières, devait-il rencontrer Riquet ?

— Cache-toi, dit Blanche.

Il disparut derrière une portière. Il était temps, le Bedeau rentrait dans la pièce :

— J’ai entendu du bruit dans la maison, fit-il, d’un air soupçonneux. Qu’est-ce que c’est que ça ? Vous savez, vous autres, les femelles, qu’il vous est interdit de bouger sans ma permission.

— Ne te fâche pas, le Bedeau, nous ne voulons pas t’attirer d’ennuis, bien au contraire et la meilleure preuve, c’est que j’ai été moi-même, il y a quelques instants, dans les caves d’où tu venais, j’ai regardé, fouillé partout, aussi loin que j’ai pu voir, il n’y a personne dans les souterrains, pas le moindre revenant.

— Ah, dit le Bedeau, et la cassette ? le trésor ? est-ce qu’il est toujours là ?

— Je suppose, nul n’a touché à rien et si le cœur t’en dit, tu peux retourner voir.

— Oh, fit-il, ce ne sont pas les vivants qui m’inquiètent. C’est même tout juste si j’ai peur des morts. Allons, bonsoir vous autres, et tâchons d’être sages.

15 – LA PRISON MYSTÉRIEUSE

Le Bedeau ne s’était pas plutôt éloigné, hochant la tête, l’air complètement rassuré, mais somme toute convaincu qu’il n’y avait plus de revenants à craindre, que Blanche Perrier bondissait vers le rideau derrière lequel était dissimulé Riquet.

Riquet n’attendait naturellement que le geste de la jeune femme pour sortir. Le gosse abandonna sa cachette, et souriant, il lança :

— Bonsoir, M’sieu dame. Alors il est parti le croque-mitaine ? C’est pas dommage.

Puis, comme Blanche et Hélène, encore secouées, le considéraient des pieds à la tête, sans savoir par où commencer, Riquet reprit :

— Dites donc on va pas jouer à la muette ? Ça serait-y par hasard que vous tombez amoureuses de moi, que vous êtes là, toutes les deux, à me regarder, sauf vot’ respect, comme M. Miracle ? C’est bien moi, quoi.

Blanche, la première, retrouva son sang-froid :

— Mon petit Riquet, où sommes-nous ?

— Çà, répondit-il, je ne sais pas, vraiment pas du tout. On est dans une tôle qui n’est pas mal, une boîte à nonnes et à curés, puisque vous le dites, Madame Blanche, mais, moi, je n’en sais rien de rien.

Blanche l’interrompit :

— Oui, notre gardien vient de dire que c’est un ancien couvent. Mais enfin, comment es-tu ici ? d’où viens-tu ? avec qui es-tu ?

Riquet leva les bras au ciel :

— Ah suffit, cria-t-il, fermez le robinet, madame Blanche, vous m’ahurissez. Comment je suis ici ? Et d’où je viens ? et où que je vais ? D’abord et d’une, voilà mon histoire. Hier, je flânais aux environs de Saint-Lago, sauf vot’ respect, Mam’zelle – et le gosse s’adressait à Hélène – c’est le moment où vous êtes montée dans le carrosse de la Préfectance. Bon, et d’une. Tandis que vous filiez grand train, moi, je remarque à quelque distance de Saint-Lago, une automobile et une bath, dans le genre de celle que je me paierai quand je serai milliardaire. Cette auto-là, il n’y avait qu’une seule personne dedans : le nommé Juve.

— Juve ? s’écriaient à la fois Hélène et Blanche. Juve ? Mais c’est lui qui nous retient prisonnières ici ?

Riquet ne se troublait nullement :

— Laissez-moi débiner mon truc ! Donc, Juve était dans cette voiture et il avait l’air de zyeuter terriblement du côté du « panier à salade ». Bon, que j’me dis. Va sûrement y avoir quéque chose d’intéressant à observer. Seulement, voilà, comme Juve était dans une automobile, y avait des chances pour qu’il se tire des pattes avec, et que vot’ serviteur ne puisse rien voir de ce qui allait se passer.

— Alors, Riquet ? plus vite. Tu nous fais mourir.

— J’aurais pas cru, je me presse. Donc, je vous disais que Juve allait se carapater. Chose mauvaise que je pense et illico, sans prévenir personne, je tourne autour de la voiture. Derrière, sous les pneus de rechange, j’avise un coffre : naturellement, je l’ouvre, le coffre était vide, oh oh, que j’me dis, y aurait bien un moyen de le remplir, et immédiatement je me colle dedans. Le temps de rabattre la porte, le couvercle quoi, et me v’là dans la voiture, ah mes enfants, mes côtes, mes reins, ça a duré trois heures. Pendant trois heures on a filé, et bon train, je vous assure. Je me disais : si jamais le patron s’aperçoit que je me suis fichu dans son coffre, il est capable de me débarquer en pleine campagne et de me laisser revenir à pied. Là-dessus, l’auto s’arrête. Par une fente, j’arrivais toujours à voir que je ne voyais rien et que c’était la nuit. Très bien. Je n’entendais pas grand-chose, mais tout de même y avait la voix de Juve qui m’arrivait de temps en temps. Le patron donnait des ordres. De mieux en mieux que j’me dis, et comme j’avais voyagé sur le côté gauche, je me couche un peu sur le côté droit, pour ne pas être tout à fait en capilotade.


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