Mais Fantômas s’était levé…
— Monsieur, déclarait-il brusquement et non sans une certaine solennité, l’heure que nous vivons est étrange ; je ne puis rien vous confier de mes projets, pourtant, au moment où vous devenez mon otage, au moment où je vous annonce que vous allez me servir à intimider Juve, au moment où vous me bravez encore, je tiens à honneur de vous dire que j’admire votre énergie. Vous êtes digne d’être mon ennemi…
Et Fantômas parlait de telle façon, avec une émotion si réelle que, malgré lui, Fandor se sentit troublé…
Certes, l’homme qu’il avait devant lui était un assassin, mais cet assassin était grand, ses crimes s’auréolaient d’audace… et Fandor, malgré qu’il en eût, ne pouvait le mépriser…
— Que voulez-vous faire de moi ?
— Je vous l’ai dit, un otage… Vous allez me servir à effrayer Juve… non, ne protestez pas, ne me dites pas que Juve ne s’arrêtera pas à une telle situation… ne me dites pas qu’il vous condamnera à mort pour obéir à son devoir !… Un tel dévouement à la cause du Bien deviendrait criminel. Je vous tiens et par cela je tiens Juve ! Je le sais… ne le niez pas !
Fandor, cette fois, s’abstint de répondre…
Il connaissait trop la profonde affection que Juve lui portait, il savait, d’autre part, trop bien à quel degré d’atrocité pouvait recourir Fantômas, pour ne point craindre, en effet, qu’étant en sa possession, le bandit ne trouvât moyen de forcer Juve à le laisser poursuivre en paix ses horribles forfaits…
Après un silence, Fandor reprit cependant :
— Je suis votre otage, soit, où pensez-vous donc me conduire ?… Vous avez pu louer cette maison pour empêcher qu’on entendît mes appels, mais, en somme…
D’un geste, Fantômas fit comprendre au journaliste que toute résistance était vaine.
— Venez, dit-il simplement… Vous devriez savoir, monsieur Fandor, que je ne suis pas homme à m’arrêter à des difficultés de cette nature…
Tom Bob devait être, en effet, bien certain de l’impunité, de la réussite de ses projets pour ne point hésiter davantage. Revolver en main, ce qui était superflu puisque Fandor, les menottes aux poings, ne pouvait tenter aucune résistance, il fit descendre le journaliste jusqu’au rez-de-chaussée de la maison meublée…
— Inutile de crier, répéta-t-il, vous pensez sans doute à vous faire entendre des ouvriers employés dans la boutique voisine, du menuisier-emballeur ?… Réfléchissez qu’à cette heure, ils ne sont plus dans l’atelier… D’ailleurs, voici votre prison… aussi confortable que possible… entrez…
Le journaliste, à l’invite de son ravisseur, pénétra dans une extraordinaire petite pièce…
On eût dit une cabine de bateau, large de deux mètres, longue de trois, peut-être, elle était juste assez haute pour que l’on eût pu s’y tenir debout… aux murs étaient accrochées des bibliothèques chargées de livres, quelques gravures ; dans un coin, un lit, une couchette plutôt, dans un autre, une table-toilette…
— Vous voici chez vous, continuait Fantômas… cette chambre n’est pas grande, mais vous n’y resterez guère plus d’un mois… J’ajoute, monsieur Fandor, que j’ai tenu surtout à ce qu’elle soit parfaitement calfeutrée. D’ailleurs, pour mieux vous en convaincre, voyez, sur votre lit, j’ai fait mettre un violon. Vous serez libre de tirer de cet instrument les sons les plus aigus… nul ne les entendra…
— Vous faites de l’ironie ?
— Pourquoi donc ?
— J’ai les mains liées.
— Enfantillage, dit Fantômas, tenez, monsieur Fandor, contre ce mur, j’ai fait sceller cette petite lime… Quand je vais être parti, dans quelques minutes, vous pourrez vous occuper à user les anneaux de vos menottes… Vous y arriverez…
— Bien, répondit Fandor, je n’ai qu’à m’incliner… Mais combien de temps pensez-vous donc véritablement m’obliger à vivre dans un espace aussi restreint ?
— Vous resterez dans cette chambre un mois à peu près… chaque jour vous recevrez ma visite, et je m’efforcerai de satisfaire à tous vos désirs, livres, tabac, etc. Pendant ce mois, vous ne sortirez pas, mais après, je vous promets que votre sort s’améliorera notablement… La pièce est bien ventilée. Comme nourriture, je ferai en sorte de prendre vos ordres, et, en tout cas, comme il faut tout prévoir, j’ai fait disposer des conserves saines, hygiéniques, nutritives, dans ce buffet à droite… Donc, ne craignez point de mourir ni d’asphyxie, ni d’inanition… Avez-vous autre chose à me demander ?…
— Je n’ai rien à demander à Fantômas.
— Alors, fit-il, je n’ai plus qu’à vous quitter. Monsieur Fandor ?… vous comprenez bien la situation, n’est-il pas vrai ?… Je vous soignerai, de mon mieux comme l’on doit soigner un otage, car vous êtes un otage… Votre sort dépend de Juve…
— Soit, dit Fandor, vous êtes le plus fort… Il en sera donc comme vous voudrez…
Mais à cela, Fantômas se contentait de sourire de son éternel sourire.
— Je le pense bien, déclara-t-il… Monsieur Fandor, nous n’avons plus rien à nous dire ?… À demain…
Tom Bob-Fantômas s’inclinant en une sorte de petit salut ironique, sortit de la chambre, Fandor entendit le jeu compliqué de multiples serrures…
***
Il y avait quarante-huit heures que Jérôme Fandor était prisonnier dans la mystérieuse cellule qu’avait aménagée pour lui Fantômas.
Après un violent moment d’abattement, après une affreuse crise de désespoir, le journaliste s’était vite ressaisi.
Fantômas ne devait pas encore être loin de la prison où il avait conduit celui dont il voulait faire un otage que Jérôme Fandor déjà réfléchissait, s’apprêtait à la lutte… Le journaliste, par acquit de conscience, avait minutieusement examiné son cachot, il s’était vite convaincu que Fantômas ne l’avait en rien trompé : l’extraordinaire chambrette était merveilleusement calfeutrée, à coup sûr, rien ne lui aurait servi d’appeler, il n’aurait pu an aucune manière se faire entendre, il ne pouvait davantage s’évader…
Quelle était d’ailleurs cette chambre bizarre ?
Fandor s’en faisait mal une idée.
L’hôtel où il habitait, où Fantômas avait eu l’audace inouïe de se saisir de sa personne, tenait plus de la maison meublée que de l’hôtel proprement dit. Le bandit avait pu facilement, supposait le journaliste, y aménager une chambre en prison, et s’arranger en louant les pièces avoisinantes pour que nul ne pût découvrir ou aider celui qu’il entendait y maintenir captif. En tout cas, Fandor l’avait noté malgré son émotion, le réduit qu’il occupait se trouvait au rez-de-chaussée de l’immeuble…
Le logis dans lequel Fandor se trouvait n’avait qu’une porte fermée par de robustes serrures… Aucune fenêtre ; la lumière électrique.
Être l’otage de Fantômas, ce n’était pas rassurant. Un frisson d’angoisse courait au long de l’échine du journaliste, quand le malheureux songeait qu’il était aux mains de l’énigmatique et cruel Maître de l’Épouvante. Mais en même temps un espoir le rassurait : il y avait Juve.
— Je suis l’otage de Fantômas, soit ! se disait Fandor, si Fantômas a besoin d’un otage, c’est qu’il a besoin de traiter avec Juve, s’il a besoin de traiter avec Juve, c’est que Juve menace d’être plus fort que lui… ayons confiance, Juve me sauvera…
D’ici là, il fallait, sous peine de sentir sa raison craquer, consacrer toute son énergie à une besogne quelconque. Fandor bientôt entreprenait d’user ses menottes à la lime fixée au mur.
Les heures passaient, interminables, consacrées à ce travail de libération…
— Fantômas m’a dit qu’il reviendrait me voir aujourd’hui ?… Comment se fait-il qu’il ne soit pas encore là ?…
Hélas, cette question, le journaliste devait se la poser à maintes reprises…
Les journées, plusieurs, se succédaient. Nul ne venait le visiter…
— Il m’abandonne, songeait Fandor… si je n’avais pas des conserves, j’en conclurais qu’il veut me condamner à périr de faim… mais les approvisionnements dont je dispose sont largement suffisants pour plus d’un mois… alors que veut dire, que signifie la non-venue du bandit ?… Est-ce que Juve, déjà ?…