La mère Zizi, plus jeune que son mari d’une dizaine d’années était, elle aussi, de la plus pure race bohémienne. Ses cheveux bruns, crépus et bouclés, entouraient un visage d’un ovale régulier. Elle avait les yeux profonds et doux et la voix mélodieuse.

***

D’une foire à l’autre, le père Zizi conduisait la roulotte marron attelée de son vieux cheval blanc. On campait à l’abri de quelque baraque plus importante, le père Zizi dressait les tréteaux, et la mère Zizi, alors costumée en chasseresse, émerveillait les badauds par un exercice de tir à la carabine. Le public affluait à l’entrée de la petite tente du couple.

Hélas, le malheur est vite venu. Ce jour-là, précisément, le père et la mère Zizi venaient de faire connaissance avec ce détestable visiteur. La mère Zizi qui n’était jamais malade, avait voulu cueillir le long d’une haie un fruit dont la bonne apparence l’avait séduite. En étendant le bras, elle s’était écorchée à une ronce de fer, si bien écorchée qu’elle en avait maintenant le bas enflé, ce qui laissait à prévoir que, de longtemps, il lui serait impossible de se livrer à aucun exercice.

— Sang de Dieu, jurait de temps à autre le père Zizi, qui s’était tout juste assez civilisé au cours de ses voyages pour apprendre quelques jurons bien français, sang de Dieu, comment allons-nous faire, la mère ? Jamais tu ne pourras ces jours-ci tenir la carabine.

La mère Zizi, qui regardait son bras enflé, et qui, de plus, ressentait de vives douleurs dans toute l’épaule, hocha tristement la tête :

— Parbleu, le père, tu as raison. Il faudrait que tu me fasses remplacer par quelqu’un. Plus facile à dire qu’à faire.

Le « quelqu’un » que la vieille Bohémienne proposait d’engager était des plus hypothétiques, car il devait présenter des qualités assez rares. Ce devait être une femme, ce devait être une bonne tireuse.

Or, le hasard allait bien faire les choses.

Alors que le père Zizi se lamentait et criait à tous les échos sa douleur de voir la mère Zizi hors d’état de tenir son rôle, il eut la surprise de voir déboucher brusquement d’un sentier voisin une jeune fille qui, tout naturellement, – et ayant certainement entendu les plaintes des deux Bohémiens – s’offrit à remplacer la mère Zizi, si toutefois on voulait lui assurer le vivre et le coucher.

Le père Zizi s’empressa d’accepter.

Même, il voulut que la jeune fille prit tout de suite ses premières leçons de tir, et ce n’est pas sans surprise qu’il s’aperçut que sa nouvelle recrue maniait expertement la carabine de tir qu’il lui avait confiée.

Le Bohémien, dès lors vit l’avenir en rose.

Ce n’était que le commencement de ses ennuis.

12 – LA BELLE HOMICIDE

Fandor venait à peine de quitter Juve que, descendant les rues de Morlaix, il tombait à l’improviste sur une petite place transformée en champ de foire.

De toutes part, des bateleurs faisaient leur boniment, brutalement éclairés par des lampes à acétylène.

— Entrez, entrez, messieurs, dames, criait sur une estrade transformée en tribune, une sorte de gentleman comiquement habillé d’une redingote trop longue. Entrez, il n’y a pas de premières, et pas de secondes, et pas de troisièmes. Ici, toutes les places sont au même prix. On voit aussi bien d’un bout à l’autre de la salle. Et le spectacle en vaut la peine, messieurs et dames. Entrez, Les artistes de la troupe vont avoir l’honneur de représenter devant vous les cérémonies du mariage telles qu’elles s’effectuent dans les différents peuples du monde, et cela, d’après les documents rapportés par les plus célèbres explorateurs. Entrez, on ne paye qu’en sortant. Si l’on est content. Le prix des places est à la portée de tous les membres de l’honorable société qui m’écoute.

Le journaliste, toutefois, n’était guère disposé à s’amuser plus longuement de l’aspect du champ de foire.

Il allait donc poursuivre son chemin, revenir à l’hôtel, regagner la petite chambre si expertement perquisitionnée quelques minutes auparavant par Sonia et Marshall, lorsque soudain il tressaillit.

— Diable de diable dit Fandor, qui soudain, s’était immobilisé et fixait un personnage avec des yeux littéralement ahuris. Qui est-ce donc ? J’ai déjà vu ce bonhomme-là. Mais où ?

Et délibérément dès lors, Fandor se hâta pour rejoindre le passant et le regarder à loisir.

Le passant, bien évidemment, ne se doutait nullement qu’il était suivi par Fandor.

Peut-être n’avait-il aucune raison de vouloir éviter que l’on observât ses démarches ?

Très naturellement, après avoir traversé le champ de foire, il alla s’arrêter à l’entrée d’un humble baraquement dont l’enseigne, éclairée à giorno par une abondance de lampions, portait ces mots alléchants :

«  À la femme qui tue, sans tuer. »

Évidemment, l’homme allait entrer à la suite de la foule pour assister à la séance.

Fandor arriva tout juste pour le voir passer de l’autre côté du petit bureau servant de contrôle, où siégeait, imposant et digne, vêtu d’un extraordinaire uniforme de vieux général, un mince vieillard, patron de l’établissement…

— Miséricorde songea Fandor, que dirait Juve, dans son wagon, probablement endormi, s’il me voyait en train de baguenauder dehors à la poursuite d’un inconnu que je crois reconnaître ?

Le journaliste était toutefois trop têtu pour renoncer à sa poursuite.

À son tour, il franchit les degrés de l’estrade, à son tour, il entra voir la femme qui « tuait sans tuer ».

Debout sur la scène ménagée au fond de la tente, le journaliste aperçut une femme, une jeune fille plutôt, une jeune fille qu’il reconnut parfaitement, qu’il ne pouvait pas ne pas reconnaître, qui n’était autre qu’Hélène.

Oui, Hélène, la fille de Fantômas, la malheureuse et innocente enfant du Maître de l’Effroi.

Comment Hélène se trouvait-elle là ?

Le jeune homme, toutefois, était bien trop maître de lui-même pour trahir ses impressions.

À peine avait-il reconnu en entrant dans la baraque la fille de Fantômas, qu’il se jeta en arrière, se dissimulant dans un coin sombre de la tente…

— Morbleu, songeait Fandor à ce moment, je vais laisser finir le spectacle et il faudra bien, coûte que coûte, la toile tombée, que j’obtienne un entretien de cette énigmatique enfant. Sait-elle seulement si son père est sauf ? Pourquoi est-elle là ? n’est-elle pas devenue sa complice ?

Mais le spectacle débutait. La mère Zizi – car l’établissement dans lequel Fandor venait de pénétrer était l’établissement forain du père Zizi – s’avançait et annonçait :

— Messieurs et Mesdames et vous aussi, militaires la jeune femme, merveilleusement belle, que vous avez devant vous va avoir l’honneur d’exécuter avec l’un des honorables membres de la société, qui voudra bien se désigner lui-même, un exercice éminemment intéressant et émouvant, l’exercice du sabre magique. Messieurs et Mesdames, la jeune fille merveilleusement belle va prendre le fusil de chasse que voici, et que vous pouvez examiner dans tous les sens. Elle va charger ce fusil avec la cartouche que voici, et que vous pouvez encore examiner vous-mêmes, afin de vous assurer visuellement qu’elle n’est point truquée. Puis, elle épaulera son arme, elle visera l’amateur qui voudra bien tenter cet exercice. Et si c’est un honnête homme s’il n’a rien à se reprocher, grâce à la vertu du sabre magique que je lui donnerai, non seulement cet amateur ne sera pas tué, mais encore il retrouvera dans sa poche, la balle qui se trouve dans cette cartouche, et cette balle sera enveloppée dans une feuille de papier, où sera disposée, encore, la somme de deux sous, dix centimes.

Et subitement, avec cet esprit de décision qui lui était particulier, voilà que Fandor, en bon gavroche qu’il était, se sentit pris du désir de faire une bonne blague.

La mère Zizi, à ce moment, demandait :

— Un amateur qui veut éprouver la vertu du sabre magique ?


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