Mais plus elle réfléchissait et moins il apparaissait vraisemblable à son imagination surexcitée que ce fût grâce à Fantômas qu’elle allait recouvrer la liberté.
— Si ce n’est point mon père, se disait-elle, qui donc, si vite, a pu obtenir ma grâce ? Ne serait-ce pas Fandor ?
La jeune fille en était là de ses réflexions, lorsque le surveillant-chef fit son entrée.
— Numéro 22, venez ici, numéro 22, cria-t-il.
— Est-ce pour ma mise en liberté ? demanda Hélène.
— Ah bien, vous en avez de bonnes, vous ? votre mise en liberté. C’est pas pour vous conduire à la rue que je viens vous prendre, c’est pour vous mener en cellule.
— En cellule, mon Dieu, pourquoi donc ?
— Paraît que vous êtes inculpée dans l’affaire du naufrage du cuirassé russe. Vous avez été mal inspirée, tout de même, de vous faire choper à Morlaix. Sans votre maladresse, jamais on ne vous aurait mis la main dessus.
Hélène ne répondit rien. Car il n’y avait rien à dire au garde-chiourme.
En suivant le surveillant, Hélène croyait vivre un abominable cauchemar.
Deux jours plus tard, comme la fille de Fantômas commençait à déjeuner, c’est-à-dire entamait la miche de pain rassis offerte par l’administration pénitentiaire, elle ne fut pas peu surprise de trouver, enfoui dans la mie de son pain, un tout petit billet écrit sur du papier à cigarette, roulé en boule, et sur lequel se lisaient ces mots :
« Plaignez-vous d’une rage de dents… »
Hélène réfléchissait encore à cette mystérieuse intervention quand un gardien, par le judas trouant l’épaisse porte de sa cellule, effectuant la ronde ordinaire, demanda :
— Rien à noter au rapport ?
— Si, dit Hélène, inscrivez-moi pour la visite médicale. J’ai une terrible rage de dents.
Le sort en était jeté. Qu’allait-il se passer ?
Il devait être à peu près six heures du soir, lorsque enfin un gardien s’arrêta à la porte de la cellule occupée par la fille de Fantômas.
Les verrous grincèrent, la porte imposante et massive finit par s’ouvrir.
— Venez dit le gardien. C’est pour le dentiste, numéro 22 ? Ah, sacré Dieu, je vous plains, les rages de dents, ça fait bougrement souffrir, je sais ce que c’est. Il y a un an, j’avais comme ça une grosse molaire.
***
Par raison d’économie budgétaire, la prison de Brest possédait une infirmerie aussi mal organisée que possible.
Les malades, hommes ou femmes, étaient entassés dans des salles étroites et petites, mal aérées, où l’on respirait un air vicié.
Les consultations, notamment les consultations des médecins proprement dits, des oculistes, des dentistes, se tenaient dans un petit cabinet dont la fenêtre était close par des vitres dépolies si sales que le jour y passait à peine, avec des barreaux de fer entre lesquels s’accumulaient d’épaisses toiles d’araignées mêlées à une poussière séculaire.
Ce fut dans ce local que, sous la conduite du gardien-chef préposé aux mouvements des prisonnières, on introduisit Hélène.
Deux hommes se trouvaient là, en blouses blanches : le dentiste et son aide.
— Mon Dieu, songeait la fille de Fantômas, que vont-ils dire s’ils s’aperçoivent que je n’ai rien ?
Mais déjà le plus âgé des praticiens, évidemment le dentiste en titre, la brusquait :
— Allons, montez sur ce fauteuil. Asseyez-vous. Plus vite que ça, où souffrez-vous ?
Il n’écouta même pas sa réponse, bégayée d’une voix mal assurée. Il introduisait dans la bouche de la patiente une sorte d’instrument d’acier, destiné à maintenir les mâchoires ouvertes.
Cela fait, le dentiste ordonnait à son aide :
— Faites-moi une abondante projection de chlorure d’éthyle. Je ne me soucie pas que l’on entende crier encore ici et que demain il y ait dans le Phare de Brest un article affirmant que l’on torture les malades à la prison. Allons, dépêchez-vous mon ami, je reviens tout de suite.
Pour plus de rapidité, en effet, l’usage était, pendant les consultations dentaires, que plusieurs malades fussent, dans des cabinets contigus, livrées aux mains des aides. Tandis que l’on en pansait une, le dentiste allait en soigner une autre. Et c’est pourquoi le médecin-chef livrait Hélène aux mains de son praticien. Le jeune homme, qui jusqu’alors, avait paru s’occuper très activement de menus soins à donner aux instruments disposés sur une tablette, aux paroles du dentiste, se retourna :
— Vous pouvez compter sur moi, Docteur.
Or, le docteur n’avait pas plutôt disparu, que le jeune aide littéralement, bondissait vers le fauteuil.
— Vite, criait-il à Hélène, ne perdez pas une seconde, voici un grand manteau d’infirmière, prenez le couloir droit devant vous. Marchez avec assurance, le concierge ne vous dira rien. C’est le moment où les infirmières changent de service. Fuyez, fuyez, vous trouverez une voiture sur la place, le cocher est prévenu, il sait où il doit vous conduire, je vous rejoindrai. Allez, allez.
— Mais qui êtes-vous donc ? qui êtes-vous donc ?
— Qui je suis ? Fandor, parbleu. Mais sapristi, ce n’est pas le moment de bavarder, fichez donc le camp.
Et Hélène, enveloppée en un tournemain dans un grand manteau d’infirmière, fut hors de la petite pièce.
Déjà, elle était dans le couloir. Bon gré mal gré. Il lui fallut suivre les instructions du journaliste, marcher, droit devant elle, l’air assuré.
***
Fandor, sachant qu’Hélène était détenue à la prison de Brest, n’avait pas été long à décider en effet qu’il fallait faire évader la jeune fille.
Restait à trouver le moyen de réaliser un projet aussi périlleux.
Après avoir expédié une dépêche fort laconique à Juve, dépêche dans laquelle Fandor notifiait tout simplement au policier qu’Hélène était arrêtée, il avait quitté Morlaix, il était arrivé à Brest. Le soir même on le voyait dans tous les beuglants de la ville, devenu l’ami intime des jeunes gens faisant leur stage à l’École Dentaire.
Si bien qu’il y avait eu souper au champagne, prolongé. Sur quatre convives deux durent être ramenés à domicile sur les genoux.
Le lendemain il y avait visite dentaire à la prison. Les deux autres jeunes gens encore debout, croyaient appendre la chose à Fandor et s’effrayaient fort de leur équipée :
— Jamais les copains ne vont être en état, demain matin, déclaraient-ils en montrant leurs compagnons affalés sur les coussins de la voiture qui les emmenait, de se rendre à la visite. Diable, cela va faire du grabuge.
Et, benoîtement, alors, Fandor avait proposé :
— Bah ! ne pourrais-je pas les remplacer ? J’ai des notions d’art dentaire. Vous diriez au médecin-chef que vos amis sont malades et que l’un de vos camarades s’est spontanément offert à venir à la prison.
Ce plan savamment ourdi, perfectionné par les jeunes étudiants eux-mêmes, avait parfaitement réussi.
Qu’allait faire Fandor, Hélène une fois partie ?
Le journaliste, avec la même prestesse qu’il avait mise à déguiser la jeune fille du manteau d’infirmière, se dévêtit lui-même.
Il envoya sa longue blouse dans un coin de la petite pièce où il se trouvait. D’un revers, il décolla les moustaches postiches, les sourcils d’emprunt qu’il s’était composés, il dépouilla enfin sa perruque, il redevint lui-même, alors que, quelques minutes auparavant, il était méconnaissable, si méconnaissable qu’il avait dû se nommer à la fille de Fantômas.
— Cela marche comme sur des roulettes, murmura-t-il.
Et moins de quatre minutes après le départ du médecin-chef, par le même couloir où il avait fait passer la fille de Fantômas, tenant un sac d’instruments dentaires à la main, – ce qui constituait pour le portier une sorte de passeport, – Fandor s’enfuyait, non sans avoir, pour compliquer les choses, bouclé à double tour la porte du petit local où il venait de jouer son rôle d’aide-dentiste.
Il sortit sans la moindre difficulté de la prison… même, tout joyeux, il s’apprêtait à se moquer de la facilité avec laquelle on pouvait faire évader une prisonnière quand on savait s’y prendre, lorsque, soudain, au détour de la place sur laquelle était construite la prison, il s’arrêta, un cri de rage aux lèvres :