***

— Chauffeur, vous me mènerez à la porte de Saint-Ouen.

Juve qui venait de sauter dans un fiacre et de donner cette adresse vague, s’enfonça sur la banquette de la voiture, s’accouda, parut profondément réfléchir.

— De plus en plus bizarre, murmurait le policier, d’un air préoccupé, c’est à n’y rien comprendre, et je me demande si jamais je renouerai les fils rompus de cet extraordinaire écheveau. Où est le portefeuille ? Nikita m’écrit qu’il ne trouve rien. Diable, cela c’est le plus grave de tout. Mais il y a mieux. Qu’est devenu Fandor ? Lui me télégraphie que la fille de Fantômas est arrêtée, puis ne me donne plus de nouvelles. Pourquoi ? Qu’est devenue même la fille de Fantômas ? «  Détenue dans la prison de Brest », m’a télégraphié Fandor. Je t’en fiche, à la prison de Brest, il y a bien eu, en effet, une jeune fille répondant au signalement d’Hélène, mais elle a trouvé le moyen de s’enfuir, avec l’aide probable d’un jeune chirurgien-dentiste. Un complice de Fantômas ? C’est possible, mais ce n’est pas certain. Et puis où a été Hélène ? Ah, nom d’un chien de nom d’un chien, il faudrait pourtant que j’arrive à comprendre quelque chose avant que ça commence à se gâter.

Juve avait raison de s’inquiéter.

Non seulement il n’avait pas de nouvelles de Fandor, ce qui, étant donné leurs conventions, ne devait pas le tourmenter outre mesure, mais encore il n’avait pas la moindre idée de ce qu’avait pu devenir le portefeuille.

Quand Fandor et lui l’avaient caché dans le creux de la falaise, se rendant compte qu’ils n’avaient aucun moyen de l’emporter en sécurité jusqu’à Paris et qu’il valait mieux le laisser en lieu sûr pour détourner sur eux l’attention de Fantômas et laisser au lieutenant Nikita le temps de venir le chercher, Juve avait été persuadé que nul n’avait pu le voir dissimuler le précieux document. Nikita cependant n’avait rien trouvé dans la cachette. Quelqu’un l’avait donc pris ?

— Fantômas, songeait Juve, nous a attaqués, Fandor et moi, à la petite gendarmerie, où il a tué le malheureux Pancrace. C’est la preuve certaine que Fantômas ne se doutait pas, ne pouvait pas se douter de ce qu’était devenu le portefeuille. Il croyait à ce moment-là que nous l’emportions, Fandor et moi. Il ne soupçonnait nullement que nous avions caché l’objet. Rien n’a pu le faire changer d’opinion. Rien n’a pu lui faire découvrir notre cachette. Or, l’explication est la même pour Sonia Danidoff et Ellis Marshall. Ils nous poursuivaient, donc ils croyaient que nous possédions le portefeuille. Donc ce ne sont pas eux comme ce n’est pas lui qui sont allés le reprendre. Qui, alors ?

Juve, de réflexion en réflexion, de déduction en déduction, en était arrivé à se demander s’il ne fallait pas croire qu’une seule personne avait pu voler le portefeuille rouge, une personne qui n’était autre que la fille de Fantômas.

— Elle, songeait Juve, ne nous a jamais poursuivis. J’ignore ce qu’elle a fait depuis le naufrage du Skobeleff. Ne serait-il pas à supposer qu’embusquée derrière un rocher, elle ait pu nous voir, Fandor et moi, en train de dissimuler le portefeuille ? Dès lors, pourquoi ne l’aurait-elle pas retiré de sa cachette ? pourquoi ne l’aurait-elle pas volé, soit pour le remettre à son père, soit par haine de la police, soit encore pour s’en faire une arme terrible contre quiconque – agents russes ou agents français – voudrait attenter à sa liberté ?

Donc, il fallait le retrouver. Comment ? Fandor le bec dans l’eau, Hélène évadée, restaient les Zizi.

La fille de Fantômas a été bouclée par surprise, elle n’a pas dû avoir le temps de prendre ses précautions, se disait Juve, n’est-il pas possible qu’ayant le portefeuille rouge en main, l’ayant caché à l’intérieur de la roulotte quelque temps avant son arrestation, elle n’ait pas eu le loisir depuis de revenir le prendre ?

***

Il faisait nuit noire, quand le policier parvint en vue de la roulotte.

— Ah, ah, s’écria Juve, qui, mal vêtu, grimé en terrassier avec un pantalon de velours bouffant maintenu par une ceinture rouge, dont le pan flottait derrière une petite veste bleue courte de compagnon, ne paraissait nullement déplacé dans le quartier, oh, oh, je crois que le hasard me favorise. On jurerait qu’il n’y a personne.

Personne, en effet, dans la roulotte, puisque le père et la mère Zizi, tout heureux du succès de leurs affaires au marché aux oiseaux, s’étaient rendus chez un mastroquet voisin.

Sans le moindre scrupule, Juve s’introduisit dans la roulotte par une des petites fenêtres mal close, et immédiatement il se livra à une perquisition des plus minutieuse.

Cela dura une bonne heure. Juve, hélas, ne trouva rien. Le policier, toutefois, ne se décourageait pas pour si peu.

— Eh bien, monologuait-il, je n’ai véritablement pas de chance. Tout me dit que le portefeuille doit être là, à côté de moi, et je ne peux pas mettre la main dessus.

— Si le portefeuille n’est pas dans la roulotte, se répétait-il, où peut-il être ?

Juve, après avoir minutieusement examiné le voisinage et n’avoir rien aperçu dans l’ombre propice qui fût de nature à l’inquiéter, sortit de la roulotte. Il jeta un regard indifférent à Papillon, qui, tranquille, ruminait le nez dans sa mangeoire, puis se glissa sous la roulotte.

Juve ne s’était pas trompé.

Entre les quatre roues du pauvre véhicule se trouvait une grande caisse de bois. Elle était remplie des matériaux les plus extraordinaires. Là voisinaient de vieilles assiettes cassées et des piquets destinés à la tente de toile. Une cage démolie s’enfonçait sous le poids d’un fourneau portatif de cuisine. Des monceaux de vieux journaux, des bouteilles vides voisinaient avec de vieilles couvertures de lit. Cette caisse en bois était le débarras de la famille Zizi.

Accroupi sous la roulotte, le policier commença à perquisitionner dans la caisse. Il se passionna même tellement à sa besogne, qu’il finit par enjamber les parois de la caisse en bois, entra dedans, il s’y coucha presque. Or, Juve s’était à peine introduit de la sorte dans cette grande caisse qu’avec une inquiétude soudaine il releva la tête, écouta.

— Sapristi, murmura-t-il, on a marché. J’ai entendu marcher. Pourvu que ça ne soit pas le père et la mère Zizi qui reviennent. Je serais frais, s’ils me trouvaient là.

Juve jeta autour de lui un regard soupçonneux. La nuit très noire ne lui permettait pas de voir bien en détail ce qui l’entourait. Il pouvait tout juste distinguer un horizon restreint, et cet horizon apparaissait parfaitement désert. Devant lui, entre les deux roues constituant l’avant-train de la roulotte, Juve aperçut d’abord les quatre pattes du cheval, puis un peu d’herbe descendant en pente roide, enfin le fossé des fortifications. À droite, entre la roue avant et la roue arrière, Juve apercevait toute la plaine de Saint-Ouen, mais il n’en distinguait rien de précis : il la devinait plutôt, aux lumières clignotantes qui scintillaient par moments dans les baraques voisines des chiffonniers.

Juve se retourna sur lui-même, voulant examiner ce qui se passait à gauche de la roulotte et ce qui se passait en arrière. Or, le policier n’eut pas le temps de se livrer à cet examen. Alors que rien n’avait pu lui faire deviner la chose, soudain ce fut la catastrophe.

Juve, abasourdi, sentit la roulotte s’ébranler, elle avança un peu, lentement d’abord. Juve vit le cheval reculer en se cabrant, puis soudain la roulotte augmentait l’allure, Juve avait tout juste le temps de s’accroupir au fond de la boîte, miraculeusement détachée de la roulotte, pour n’être pas guillotiné par l’essieu arrière qui lui frôlait la nuque. Le véhicule dévalait la pente, entraîné par sa masse, pour se jeter, écrasant sous lui le malheureux Papillon, au fond du fossé des fortifications.

Juve sorti comme un diable de sa boîte, la pluie des invectives s’abattit sur lui. Appelés dehors par le fracas de l’accident, les chiffonniers avaient aperçu le policier et ils s’étaient précipités sur lui qui ne les attendit pas pour détaler, franchir une haie, sauter le fossé.


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