— Madame, commença-t-il, je suis fort étonné, j’avais rendez-vous avec M mede Brémonval.
— Et vous regrettez beaucoup, monsieur, de ne point pouvoir joindre M mede Brémonval ?
Mais sans doute, tout en parlant, la vieille femme se rendait compte de ce que sa question avait d’étrange, car elle se hâta d’ajouter :
— Vous pouvez me répondre en toute franchise, monsieur. Si vous connaissez bien M mede Brémonval, elle a dû vous dire que Dame Brigitte était un peu plus auprès d’elle qu’une simple dame de compagnie. Je prétends à son amitié.
— En effet, madame, je regrette infiniment de ne pas rencontrer M mede Brémonval. Je regrette même à un tel point que, si j’osais me permettre de douter de vos paroles, j’insisterais pour que vous m’assuriez encore une fois que M mede Brémonval est absente.
— Mais monsieur, je vous l’ai déjà dit.
— Je demande une simple confirmation.
— Ah ?
— Madame, madame, reprit le prince Nikita, dites à M mede Brémonval… qui n’est pas là… que je lui serais mille fois reconnaissant de bien vouloir, pour moi, consentir à être là.
— Vous demandez l’impossible, monsieur, répondit Dame Brigitte, mais vous le demandez si bien que je ne puis vous résister plus longtemps. Veuillez attendre quelques instants.
Et elle sortit. Le lieutenant se prit à songer.
Soudain, Mathilde de Brémonval elle-même entra dans le salon, mais, à vrai dire, elle ne paraissait pas le moins du monde en colère. Plus jolie que jamais, plus blonde qu’un rayon de soleil, elle fit son apparition dans la pièce, souriante, bien que gardant une attitude un peu hautaine et fière, une attitude séduisante autant que mystérieuse.
— Monsieur, déclara-t-elle en saluant l’officier, qui, très bas, s’inclinait devant elle, vous faites vraiment un avocat extraordinaire. Je n’étais ici pour personne, vous avez su convaincre ma gouvernante que j’y étais pour vous. C’est un véritable succès d’éloquence.
— Laissons ce succès, madame, il n’ajoute rien au bonheur que j’ai à me trouver devant vous.
— Cela vous fait donc bien plaisir ?
— En doutez-vous, madame ?
— Mon Dieu…
Le prince Nikita se leva. Quittant le fauteuil où il était assis, il s’avança de deux pas vers le canapé sur lequel M mede Brémonval venait de se jeter :
— Vous êtes cruelle, madame, vous savez fort bien quel bonheur j’ai à pouvoir, comme je le fais en ce moment, prendre votre petite main mignonne et…
Mais, au même moment, tandis que le lieutenant Nikita voulait saisir la main de Mathilde de Brémonval, et peut-être la porter jusqu’à ses lèvres, celle-ci se levait, l’air subitement devenu hautain :
— Je vous en prie, dit-elle.
Et, sans affectation, la jeune femme allait s’asseoir sur un siège plus éloigné du prince Nikita.
Comme il n’apparaissait cependant pas que son audace eût exagérément déplu à celle qu’il courtisait, le prince Nikita ne fut nullement troublé.
— Madame, reprit-il, vous êtes très méchante aujourd’hui. Voulez-vous donc que je pense réellement avoir forcé votre porte et que ma présence vous désoblige ?
Cette fois, un sourire passa sur le visage gracieux de M mede Brémonval.
— Là, là, vous employez tout de suite les grands mots. Et d’abord, pourquoi voulez-vous que j’ajoute foi à vos déclarations ? Vous prétendez que vous avez plaisir à me voir, c’est fort galant à vous, mais qui me prouve que vous m’êtes réellement dévoué ?
— Oh, oh, songea le jeune homme, me serais-je donc réellement fourvoyé ? Vais-je avoir discrètement une invitation à passer chez le bijoutier ?
Voulant pousser l’aventure jusqu’au bout, le prince n’hésita pas :
— Vous n’avez pas de preuves, madame, de mon dévouement, je le reconnais, répondait-il en souriant, mais il ne tient qu’à vous d’en avoir autant qu’il vous sera agréable ; parlez donc : votre chevalier servant vous écoute et, soyez-en certaine, vous obéira.
— Je me contenterai de savoir qu’il ne m’a pas désobéi.
Cette phrase, le prince Nikita ne la comprit pas :
— Vous avoir désobéi, madame ? en quoi ? mon Dieu, vous m’aviez autorisé à me présenter chez vous, j’espère…
— Il ne s’agit pas de cela.
— De quoi donc, alors ?
— Je vous ai demandé, monsieur, de renoncer à chercher le portefeuille rouge que vous étiez venu reprendre en Bretagne. Vous occupez-vous encore de cette affaire ?
— Madame, répondit le prince Nikita, mon devoir est de m’occuper de cette affaire, je n’y saurais faillir. Je m’en occuperai donc encore, croyez-le bien, sauf…
— Sauf quoi, monsieur, quelles conditions mettriez-vous à abandonner une recherche qui me fait peur pour vous ?
— Une condition, madame, que sans doute vous ne sauriez imaginer. Je dois aller m’occuper du portefeuille rouge, gardez-moi prisonnier près de vous, je n’irai pas.
Et, en achevant cette réponse, précise à en être insolente, le prince Nikita, qui savait qu’une femme pardonne toujours qu’on lui manque de respect parce qu’elle en est toujours flattée, leva les yeux, cherchant à deviner sur le visage de M mede Brémonval la réponse qu’elle allait lui faire et qui, sans doute, allait être décisive.
Or, la jolie femme, loin de l’écouter, maintenant, prêtait l’oreille, l’air fort inquiète.
— Qu’avez-vous donc, madame ?
— Ne bougez pas, monsieur, ne bougez pas, je reviens dans deux minutes.
Resté seul, Nikita tendit l’oreille.
De la galerie voisine, des bruits de voix arrivaient jusqu’à lui, des bruits de voix qu’il ne parvenait pas à comprendre nettement, mais où il démêlait néanmoins, par moments, des intonations qui trahissaient l’organe de dame Brigitte, puis encore des accents masculins.
— Bigre, pensa l’officier, assez inquiet de la suite des événements ; qui diable peut survenir si malencontreusement ? Dame Brigitte n’a point l’air satisfaite. Oh, oh, aurais-je la mauvaise fortune d’être sur le chemin d’un mari peu complaisant ?
Quelques secondes, le prince s’efforçait encore d’écouter les conversations voisines, puis, subitement, il tressaillit.
Brusquement la porte du salon s’ouvrit. Un homme entra dans la pièce, d’une quarantaine d’années, élégamment vêtu, que dame Brigitte suivait à distance respectueuse.
— Que désirez-vous, monsieur ? demanda le visiteur.
Le prince Nikita s’inclina, avec une nuance d’impertinence :
— Pardon, mais à qui ai-je l’honneur de parler ?
— Peu importe. Vous ne me connaissez pas. Veuillez me dire tout bonnement, je vous en prie, la cause de votre visite ici. Vous étiez venu voir M meBrigitte ?
Était-ce un quelconque M. de Brémonval ?
— Mille grâces, monsieur, répondit le prince Nikita. J’ai eu le plaisir d’être reçu par madame, en effet, mais j’ai eu le bonheur, ensuite, de voir M mede Brémonval, et je serais encore avec elle, j’imagine, si, pour échapper à vos importunités, je suppose, elle n’avait cru bon de me demander de l’attendre deux minutes.
— Impossible, dit l’autre, M mede Brémonval n’est pas à Paris.
Et c’était là une phrase, en vérité, extraordinaire pour le prince Nikita.
— Je vous le répète, je causais avec elle quelques secondes avant votre arrivée.
L’inconnu alors se retourna vers Dame Brigitte :
— Je suppose, lui demanda-t-il d’une voix que la rage faisait trembler, qu’il ment ? Répondez, Brigitte.
Dame Brigitte n’eut pas à répondre.
Avant même qu’elle eût pu ouvrir la bouche, le prince Nikita, d’un geste furieux, venait de tirer son portefeuille, d’y prendre une poignée de cartes de visite qu’il jetait à la figure de l’inconnu qui osait le soupçonner de mensonge, en hurlant.
— Vous me rendrez raison.
L’inconnu eut un sourire froid et très calme :
— Vous rendre raison ? Me battre avec vous ? Vous êtes fou, monsieur. Je n’en ai nul motif et nulle envie. Vous êtes grotesque. Sortez. N’éternisez pas une scène ridicule. Sortez donc vous dis-je. Puisque vous êtes familier de la maison, vous devez connaître le chemin.