— Non, je ne sais pas.
— Allons donc.
— Allez, Charley intervint alors Cheviron, faites-nous l’invitation à la valse qu’Irma nous montre ses talents, je me charge de la musique.
On rit, on applaudit, Charley se leva pour inviter Irma de Steinkerque, l’enlaça et la fit tournoyer, tandis qu’avec un accord touchant, les autres convives bourdonnaient la valse lente.
Tandis que Rosalie murmurait :
— Si c’est pas honteux. C’est des orgies qu’ils font.
Or, au moment précis où Charles Charley, que l’on n’aurait pas cru si vigoureux, faisait pirouetter une Irma de Steinkerque tenue à bout de bras, un vacarme surprenant s’éleva dans l’appartement du courtier maritime. Comme si le plafond se fût écroulé. Comme si les meubles eussent dansé la polka. Comme si… Une seconde, deux secondes… Puis le silence.
— Hein ? Qu’est-ce qu’il y a ? Vous avez entendu ?
— Mes amis, commença Hervé Martel, excusez-moi quelques secondes, je vais voir…
— On vous suit.
***
— Qu’est-ce qui se passe, Rosalie ? qu’est-ce que c’est ?
Rosalie était à l’abri, derrière la silhouette bedonnante d’un superbe maître queux.
— Je ne sais pas, monsieur, répondait Rosalie, mais bien sûr que c’est le diable ou un démon, la maison en a tremblé.
— Vous savez, dit Martel, ne vous attendez pas à une surprise, ça ne fait nullement partie du programme des fêtes. Ah ça, par exemple, la porte est donc fermée ?
Mais Hervé Martel se trompait. Devant la résistance imprévue de la porte du cabinet de travail, il avait fait un violent effort et soudain elle s’ouvrit :
Le cabinet de travail si bien rangé il y a un moment, offrait un spectacle de champ de bataille.
L’étagère, chargée de petits vases précieux, était écroulée sur le sol, les coussins du canapé gisaient, éventrés, près de la cheminée, les chaises étaient renversées, les fauteuils crevés montraient le crin. Sur le bureau, les papiers en tas, en traînée, jonchant la pièce. Les tableaux arrachés, jetés sur le sol. Un rideau de la fenêtre accroché aux candélabres de la cheminée. La bibliothèque avait sa vitre lamentablement brisée. La corbeille à papiers était vidée de son contenu répandu à travers la pièce. Sur la petite table où d’ordinaire la dactylographe travaillait, le pot de colle perdait son liquide nauséabond.
Il semblait vraiment qu’on se fût battu dans la pièce, qu’on y eût cambriolé, qu’on l’eût mise au pillage, à sac.
— Nom d’un chien de nom d’un chien, disait le maître de maison.
Et il appela :
— Baptiste. Rosalie. Qui est entré ici ?
— Personne, monsieur.
— Personne ? Allons donc. Ça ne s’est pas fait tout seul tout de même.
— Non, monsieur, mais enfin…
— Enfin, quoi ? vous voyez bien que tout est cassé.
— C’est des esprits, dit la vieille Rosalie, le plus sérieusement du monde.
— C’est pas ordinaire, disait Irma de Steinkerque, dont le gros bon sens n’était qu’à demi rassuré, c’est pas ordinaire, qu’est-ce qui a pu flanquer tout ça par terre ?
Charley, les mains derrière le dos, méditait :
— Bougre, c’est qu’il y en a pour des sous dans le dommage causé. On a certainement voulu vous cambrioler, mon cher Hervé.
— En une minute ?
Charles Charley ne répondit point.
C’était exact, en effet. De la salle à manger ils avaient tous entendu le fracas causé par le bouleversement de la pièce. Ce fracas n’avait duré que quelques secondes. C’est en quelques secondes seulement que tout avait été bouleversé, mis sens dessus dessous.
Mais comment ? Cela dépassait vraiment les forces humaines.
Maurice de Cheviron, qui jusqu’alors n’avait rien dit, interloqué par ce qu’il voyait, essaya le premier d’apporter un peu de clarté dans les mystères présents :
— Ma foi, commençait-il, il faut bien pourtant que ce soit quelqu’un qui ait fait cela. Seulement comment a-t-il pu le faire ?
L’agent de change se tourna vers la vieille bonne :
— Dites-moi, Rosalie, vous êtes arrivée combien de temps après le bruit, devant la porte du cabinet de travail ?
— Monsieur, quand le bruit s’est fait, j’étais justement là, dans la galerie, je passais pour aller chercher les cigares dans le cabinet de monsieur.
— Vous étiez devant la porte ?
— Oui, monsieur, j’allais entrer quand ça s’est produit, j’en ai encore les sangs tout retournés.
— Mais alors, personne n’est sorti ?
— Ce n’est pas possible, commença M. de Cheviron, se tournant vers Hervé Martel, ce n’est pas possible, mon vieux, ce qu’elle dit, ta cuisinière. Tu entends ?
— C’est bizarre, c’est absolument bizarre et totalement incompréhensible. Voilà la deuxième chose extraordinaire qui se passe dans cette pièce, car, tu te rappelles, Maurice, ce que je t’ai dit au sujet du vol dont j’ai été victime ?
De la cuisine, un homme à figure de fournisseur s’approchait, accompagné d’un gilet rayé :
— Monsieur Martel, s’il vous plaît ?
— Hein ? quoi ?
Énervé, le maître de maison allait se fâcher. Non. Il éclatait de rire :
— Allons bon, s’écriait-il, c’est vous, monsieur Nalorgne ? c’est vous, monsieur Pérouzin ?
Le fournisseur et le domestique n’étaient autres en effet que les deux « gérants ».
Ils étaient ravis, fiers, triomphants :
— Parfaitement, monsieur Martel, répondait Pérouzin, jetant des regards satisfaits sur l’assistance qui se demandait qui pouvait bien être ce nouvel arrivant, parfaitement, c’est bien moi Pérouzin, détective, et voici mon associé Nalorgne, détective aussi. Cher monsieur, vous nous avez priés, il y a quelques jours, de nous occuper d’une affaire mystérieuse qui s’est produite chez vous, vous voyez que notre sollicitude est grande et que nous n’épargnons rien pour vous donner satisfaction. Nous savions que vous receviez du monde aujourd’hui, nous avons pensé qu’il était possible que quelque événement fâcheux intervint, et, vous le voyez, nous sommes venus pour vous garantir de tout danger.
— Je vous remercie beaucoup, Messieurs, mais que savez-vous ? que s’est-il passé ? vous avez vu ce qui est arrivé ?
— Nous ne savons rien du tout, nous n’avons rien vu, rien entendu, nous nous tenions dans la cuisine, pour ne pas nous faire remarquer.
— Mais alors votre surveillance ?
— Elle n’a pas lieu de s’exercer tant qu’il ne se passe rien.
— Hé fichtre de bon Dieu, il est bien temps d’arriver quand tout est fini. Au moins vous comprenez quelque chose à ce qui s’est passé ? Vous allez nous donner une explication ?
Nalorgne, à son tour, s’avança :
— Nous vous demanderons une huitaine de jours pour l’enquête, Monsieur.
Le mot de la fin, ce fut Charley qui l’eut :
— Il doit y avoir des maisons hantées.
Mais là-dessus, Irma de Steinkerque poussa de tels cris, que Charley se tut.
Seuls Nalorgne et Pérouzin, qui s’estimaient très forts d’avoir pensé à se déguiser pour arriver après tout le monde sur les lieux, gardaient le sourire. Ces deux garçons étaient des esprits forts.
4 – SUR LA PENTE SAVONNÉE
Dans leur modeste cabinet de la rue Saint-Marc, Nalorgne et Pérouzin se promenaient de long en large, se frottant les mains, échangeant des clins d’yeux satisfaits, des sourires entendus.
Nalorgne et Pérouzin exultaient. Quelques instant auparavant, en effet, il était près de huit heures du matin, ils avaient échangé une dernière poignée de main avec leur excellent ami Prosper, l’ancien cocher d’Hervé Martel. Prosper avait dû leur parler d’affaires importantes et, en tout cas, leur donner de bonnes nouvelles. L’ex-cocher était ce matin-là revêtu d’un uniforme d’encaisseur des grandes banques.
— Mon cher, disait Nalorgne, arrêtant, en le prenant par le pan de sa jaquette, son associé qui frénétiquement déambulait dans le cabinet de travail, mon cher, plus de doute.
— Et par conséquent notre devoir est ?