EtJuve, se tournant vers la reine, ajoutait :

— QueVotre Majesté oublie notre angoisse ! Votre Majestése doit à son peuple. Qu’elle daigne regagner sesappartements ; Fandor et moi nous lui demandons de ne points’exposer inutilement. La reine de Hollande n’a pas àsavoir qu’il y a guerre et guerre à mort entre nous etle Génie du crime.

Wilhemine,cependant, refusait tout d’abord de s’éloigner. Lareine ne pouvait pas se résoudre à abandonner ainsicelle qui ne l’avait pas abandonnée et qui au périlde sa vie, lui avait gardé son trône.

Malgrétout, cependant, Juve finissait par la convaincre.

Lepolicier trouvait des phrases persuasives.

Àcoup sûr, Fantômas était vaincu. À coupsûr, l’émeute hollandaise était matée.Toutefois, il convenait de ne pas prêter le flanc à cesterribles attaques. Cela ne serait en rien utile à Hélène,et cela simplement compliquerait la situation.

Lareine s’inclina devant la volonté formelle de Juve. Ellequitta le salon orange. Fandor et Juve, restés seuls,échangèrent une étreinte et, sans mot dire,quittèrent la pièce, eux aussi.

— Ilfaut enquêter, disait Juve.

EtFandor approuvait :

— Ilfaut savoir si nul n’a vu sortir Fantômas, si nul n’aremarqué le départ du Grand Éclusier.

Or,à l’instant où Juve et Fandor, prêts àrecommencer la lutte, abandonnaient le salon orange, Hélèneet Fantômas, à quelques mètres d’euxseulement, éprouvaient des sentiments bien divers.

Derrièrela tenture du salon, la femme de Fandor, terrifiée par lesmenaces de Fantômas, par le revolver qu’il braquaitcontinuellement sur Fandor, vivait mille morts.

Elleconnaissait trop celui qui avait passé pour son père,pour oser un geste, pour tenter un cri.

Sielle révélait leur présence, Fantômasn’hésiterait pas…

Certes,s’il s’était agi d’elle, si le revolvers’était braqué sur sa poitrine, Hélènen’aurait pas tardé une seconde à s’élanceren avant. Mais Fantômas l’aimait. Fantômas segardait bien de la menacer, elle, c’était Fandor qu’ilvisait, c’était Fandor qui tomberait sous ses yeux,c’était Fandor qu’elle assassinerait en criant ausecours !

Etc’est pourquoi, libre entièrement, point mêmebâillonnée, Hélène demeurait muette,immobile, prisonnière de la peur, prisonnière deFantômas, prête à suivre docilement ses ordres etses impulsions.

Fantômas,surpris de l’attitude de la jeune femme, quelques minutes plustôt, lorsque Hélène avait osé le braver,se rassurait désormais au contraire.

— Jela tiens, murmurait-il. Tant que j’aurai Fandor à madisposition, Hélène fera ce que je voudrai.

Et àl’instant même, tandis que Juve, la reine et Fandor sedésespéraient dans le salon orange, Fantômas,braquant toujours le canon de son revolver sur le journaliste,combinait un plan infernal.

Certes,ce rapt d’Hélène, qu’il avait décidéen raison sans doute de motifs impérieux que nul nesoupçonnait, ce rapt n’était pas encore achevéet offrait encore de grandes difficultés.

Fantômas,avec sa prisonnière, sa prisonnière enchaînéepar la peur, était en somme au centre même du palais dela reine. Dans les couloirs, les courtisans s’empressaient ;dans la salle du trône, les dignitaires de la couronnes’entassaient, et c’était dans tout le palaisroyal, à l’occasion de la solennité constituéepar l’ouverture du Parlement, un remue-ménage continuel,des allées et venues perpétuelles.

Ilfallait traverser cette foule ; il fallait, en dépit desdifficultés, sortir de ce palais, prendre le large, et en mêmetemps, entraîner Hélène sans que celle-ci pûtfaire un geste, ou prononcer un mot compromettant.

Unautre eût renoncé à un projet si fou. Fantômas,en sa témérité coutumière, n’hésitaitpas, tout au contraire, à décider de l’accomplir.

— Noussortirons ! murmurait-il.

Etcomme Fandor et Juve quittaient le salon orange, brusquement la maindu bandit se posait sur l’épaule d’Hélène.

— Unmot, répétait-il, et Fandor est mort… Songes-y.

CommeHélène, terrifiée, le regardait, Fantômasentraînait la jeune femme hors de l’embrasure de fenêtrequi, si opportunément, venait de leur servir d’abri.

Fantômas,en quelques gestes, se dépouillait du maillot noir qui tout àl’heure moulait son corps. Il portait, en dessous, un costumede cour, bas de soie, culotte de satin, habit à la française.

Fantômastirait de sa poche une perruque qu’il coiffait. Il avait sibien l’art de se maquiller que quelques secondes luisuffisaient à changer son visage.

Alors,le bandit métamorphosé se tournait vers Hélène :

— Jesuis, murmurait-il, méconnaissable, et nous allons enprofiter. Une voiture m’attend dans la cour du château.C’est dans la cour que Juve et Fandor vont aller enquêter.Ils me croient devant eux, parti déjà ; tout aucontraire, nous allons les suivre…

Etcomme Hélène le regardait sans comprendre, Fantômasreprenait :

— C’estFandor, Hélène, qui va nous ouvrir la route. C’estFandor qui me garantira de ta sagesse. Tu sais quel tireur je suis.Or, nous ne le perdrons pas de vue ; j’ai mon revolverdans ma poche : rappelle-toi qu’un mot, un seul motimprudent échappé à tes lèvres, et Fandorest un homme mort…

Fantômasavait parlé d’un ton rude et brusque. D’une voixsoudainement devenue aimable il demandait :

— Tonbras, Hélène ? Nous allons fuir, mais fuirensemble…

Etil fallut bien alors qu’Hélène s’inclinât.La main gantée de blanc de la jeune femme, sa main tremblante,s’appuya sur le bras de Fantômas. Ils quittèrentle salon orange ; ils furent dans le couloir encombré decourtisans, de gentilshommes de la chambre, d’officiers etd’huissiers.

Ilspassèrent au milieu de cette foule. Sur l’ordre deFantômas, Hélène avait jeté sur sesépaules un grand manteau qui traînait sur un meuble oùsans doute le bandit l’avait déposé, et qu’ilavait été prendre mystérieusement. Ce manteau,vaste et lourd, cachait la toilette de la jeune femme. Nul ne pouvaitla reconnaître, et Fantômas, de son côté,grâce à sa perruque, grâce à sonmaquillage, était impossible à identifier.

Lafoule des courtisans s’écartait sur leur passage. On lesprenait sans doute pour quelques hauts personnages de la bourgeoisieinvités par la reine à la cérémonie de lasignature des brefs parlementaires. On s’écartait devanteux, ils passaient…

Hélènedut se composer un visage souriant. Tandis que son cœur battaità se rompre dans sa poitrine, tandis que le désespoirfaisait glacer son sang dans ses veines, elle trouvait la force d’âmede sourire, de s’incliner lorsqu’on la saluait, defeindre de s’appuyer galamment au bras de son cavalier.

Faireun geste ? Oser un mot ? Crier au secours ? Ah !pour rien au monde, en cet instant, Hélène ne l’eûtosé.

Fantômasavait toujours la main dans la poche de son habit. Il feignait d’ychercher quelque chose, un mouchoir, une boîte à poudrede riz, peut-être ; son geste était naturel,ordinaire, mais Hélène, hélas ! ne pouvaits’y tromper. Ce que Fantômas tenait, c’étaitson revolver. Le Maître de l’effroi avait eu raison, elleétait en son pouvoir, elle se tairait… elle ne diraitrien… car Fandor était à cinquante mètresdevant eux, Fandor qui ne se doutait point qu’un revolver lemenaçait, Fandor qu’une imprudence de sa part pouvaitirrévocablement condamner.

EtHélène, crispée par l’effort moral qu’elledevait s’imposer, se disait :

— Jene puis rien tenter. Je ne puis rien essayer… Fantômastirerait, Fandor serait mort, et certainement, à la faveur duscandale, Fantômas s’échapperait.

Lecouple tragique traversa de la sorte les vastes galeries du palaisroyal.

Fandoret Juve, comme l’avait deviné Fantômas, serendaient, en effet, à la cour du château où sansdoute ils voulaient, en interrogeant les factionnaires, essayer deretrouver la piste du bandit, qu’ils supposaient logiquementparti devant eux.

Ladémarche même de Fandor et de Juve servait Fantômas.Le bandit les accompagnant de loin, en effet, parvenait ainsi toutnaturellement dans cette cour du château où, comme ill’avait annoncé à Hélène, unevoiture l’attendait. C’était une superbeautomobile, une limousine puissante, que conduisait un chauffeur aumasque énergique.


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