— Et l’autre ?

— L’autre vient d’être dérobée à M. Tissot.

C’était au tour du censeur de la Banque, d’expliquer à Juve le vol dont il venait d’être victime.

— Que croire ? conclut-il, que penser ? Il me semble que je deviens fou.

Juve, jusqu’alors, avait tranquillement écouté les explications qu’on lui donnait. Soudain, il sortit du silence indifférent, en apparence, qu’il avait jusqu’alors observé, et la déclaration qu’il fit jeta les deux hommes qui l’écoutaient dans une profonde stupeur, dans un effroi abominable aussi.

— Messieurs, déclarait Juve, si vous voulez que je vous parle franchement, je ne vous cacherai pas que pour moi, il n’y a aucune illusion à se faire. Le vol est manifeste dans les deux cas, et son auteur est, ne peut être que Fantômas.

— Fantômas ? Que Fantômas ?

— J’en suis certain.

Et, avec cette précision rigoureuse qu’il apportait toujours dans les affaires les plus complexes, il expliqua :

— Fantômas seul est capable, messieurs, de connaître d’abord les détails intérieurs de la Banque de France. Lui seul, enfin, peut rêver le vol prodigieux de ces caves. Lui seul serait capable de le réussir. Mieux même, je vous avouerai que seul Fantômas et personne d’autre, à mon avis, peut avoir eu l’audace nécessaire pour s’être emparé comme il l’a fait, de la clef de M. Tissot. Le stratagème des faux infirmiers, vous le reconnaîtrez, était merveilleux.

— Il est incompréhensible, surtout, dit le malheureux M. Tissot. Comment Fantômas pouvait-il savoir où je cache ma clef ?

— Vous avez dû le lui dire, répondit Juve en se levant.

Et, tandis que le censeur de la Banque, abasourdi par cette réponse, considérait Juve, le visage empourpré de colère, le policier, souriant, reprenait :

— Mais oui, vous avez dû le lui dire. Soyez sûr que si Fantômas s’est servi des faux infirmiers qui ne pouvaient que vous éloigner quelques instants et, par conséquent, lui laisser quelques minutes à peine pour effectuer le vol, c’est qu’il avait la certitude qu’il n’aurait point beaucoup de difficultés à trouver votre clef.

— Donc ?

— Donc, s’il savait où était votre clef, c’est que vous le lui aviez dit.

— Ah non par exemple ! Monsieur !

Cette fois, en dépit de la gravité du moment, le censeur de la Banque protesta avec fureur.

— Calmez-vous, monsieur. Loin de moi la pensée de vous accuser. Vous avez certainement renseigné Fantômas sans vous en douter.

Tout en parlant, Juve s’était levé, avait traversé le cabinet de travail, puis, était venu s’agenouiller devant le bureau-ministre de M. Tissot.

Juve examina attentivement le meuble. Il finit par demander :

— Où était votre clef, monsieur ? Dans cette bibliothèque, n’est-ce pas ?

— Oui, comment le devinez-vous ?

— Un peu de patience.

Juve continuait à inspecter le meuble puis, avec un petit claquement de langue marquant sa satisfaction :

— M me Tissot est brune ou blonde ?

— Très brune, répondit M. Tissot. Mais pourquoi ? Ma femme ?

— Vous aimez M me Tissot ? interrogeait encore Juve.

— Monsieur, les plaisanteries de cette nature…

— Je ne plaisante pas, reprit Juve, répondez-moi : vous êtes fidèle à M me Tissot ?

— Assurément.

— Alors, monsieur, vous ne recevez point ici de femme blonde ?

— De femme blonde ?

Juve eût parlé chinois au censeur de la Banque qu’il eût sans doute été mieux compris.

Que venait faire l’histoire d’une femme blonde compliquant le vol, si complexe déjà, de la fameuse clef ?

— Monsieur, reprenait Juve, j’avais raison de le dire, c’est bien vous qui avez renseigné Fantômas.

— Mais comment, nom d’un chien ?

— De la façon la plus simple : voyez ce cheveu.

Juve, se relevant, tendait entre deux doigts un cheveu blond à M. Tissot.

— C’est un cheveu de femme, expliqua-t-il. Le cheveu d’une femme blonde, il est intact.

— Eh bien ?

M. Châtel-Gérard, à son tour, s’était rapproché, il interrogeait en fronçant les sourcils. Peut-être n’était-il pas éloigné de supposer qu’une affaire de femme allait venir s’ajouter encore aux embarras de la minute.

— Eh bien, faisait constater Juve, ce cheveu est intact, mais penchez-vous, regardez au bas de votre bibliothèque. Vous allez voir qu’à chacun des battants adhère la moitié d’un autre cheveu.

— Je ne vous comprends pas.

— Vous allez me comprendre. Fantômas, déclara Juve, du ton doctoral qu’il affectait parfois, s’est introduit, monsieur, chez vous, peu de temps avant votre retour de la Banque. Sachant que M. de Roquevaire devait s’être aperçu ce matin de la disparition de sa clef, Fantômas, fin psychologue, se doutait bien que, de façon toute naturelle, en rentrant chez vous, vous iriez vérifier si la vôtre était toujours en votre possession. Je suis persuadé d’ailleurs que vous avez visité la cachette ? Est-ce exact ?

— C’est exact, monsieur.

— Naturellement ! Donc, Fantômas, se doutant que votre premier souci en arrivant chez vous serait de mettre ou de prendre votre clef dans sa cachette, a imaginé ceci : il a collé, dans votre cabinet de travail, de longs cheveux de femme au travers de tous les meubles pouvant vous servir de cachette. Il lui suffisait alors d’être seul quelques instants dans votre cabinet, pour deviner, en voyant le cheveu rompu et les cheveux intacts, le meuble ouvert par vous, ouvert, je le répète, lorsque vous avez visité la cachette. Autrement dit, Fantômas avait scellé vos meubles et c’est en constatant qu’un de ses scellés était rompu qu’il a appris que votre bibliothèque vous servait de coffre-fort.

— Mais, même si vous avez raison, M. Juve, comment Fantômas aurait-il deviné quel livre me servait à cacher la clef ?

— Comme je vais le deviner moi-même.

Le policier se leva, alla vers la bibliothèque, puis déclara d’une voix triomphante :

— Votre clef, monsieur, est dans le tome VI ou plutôt était dans le tome VI de l’ Histoire de Francede Michelet.

La déclaration de Juve était si précise, et pourtant il n’avait touché aucun volume, que M. Tissot portait la main à son front d’un geste égaré.

— Expliquez-moi comment ?

— Mais monsieur, c’est enfantin. Voyez plutôt. Si bien close que soit votre bibliothèque, il y a toujours un peu de poussière qui y pénètre et qui laisse une trace bleuâtre sur le vernis des rayons d’acajou. En prenant le tome VI de l’ Histoire de Francede Michelet, vous avez tiré le volume et laissé une empreinte dans la poussière. Il n’en fallait pas plus pour renseigner Fantômas.

La merveilleuse habileté dont Juve faisait preuve en dénouant ainsi, en l’espace de quelques minutes, une intrigue pourtant embrouillée, en reconstituant avec une autorité souveraine la mystérieuse scène du vol, acheva d’ébahir le gouverneur de la Banque aussi bien que M. Tissot.

— Hélas, gémit le gouverneur, tout cela ne nous sert à rien, puisqu’il est trop tard. Qu’allons-nous faire ? Fantômas ! C’est le terrifiant Fantômas qui vient d’agir. Ah malédiction ! Comment éviter le scandale désormais ?

Juve cependant, ayant cessé de parler, semblait s’absorber dans une méditation anxieuse.

— Monsieur le gouverneur, appela-t-il soudain.

— Oui, quoi ?

— Avez-vous besoin d’aller aux coffres ?

— Aux caves, vous voulez dire ?

— C’est cela même.

— Non, faisait-il, aujourd’hui, je n’ai pas besoin de descendre aux réserves secrètes, mais demain sans doute, cela sera nécessaire, après-demain, certain. Ah, c’est abominable, monsieur Juve !

Or Juve secoua la tête en souriant.

— Mais non, mais non, fit le policier, il ne faut pas désespérer ainsi.

— Mais vous ne vous rendez pas compte des conséquences terribles que vont avoir ces vols ?

— Je m’en rends très bien compte.

— Nous ne pouvons pas pénétrer jusqu’aux coffres de réserve d’abord, et c’est déjà quelque chose. En outre, si les clefs ne se retrouvent pas, il va falloir faire changer les serrures secrètes des quatre portes qui barrent l’accès des caves. Or, il faut une loi pour cela. De plus…


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