Hélas, il n’était pas difficile de comprendre ce qui épouvantait la pauvre bête.

Le cavalier lui-même pâlit, cessa de vouloir imposer sa volonté à sa monture et regarda autour de lui.

Autour de lui, c’était une odeur âcre et puissante qui montait d’une légère fumée blanche aux flocons infimes dès le début de leur apparition, mais qui ne tarda pas à gonfler.

Puis, dans le silence, s’éleva un petit crépitement, très significatif.

Un peu de tous les coins des docks surgirent alors des lueurs sinistres.

Il n’y avait pas à en douter, c’était l’incendie qui s’éveillait, le feu qui commençait à prendre.

Un terrible malheur, un effroyable désastre, non seulement menaçait, mais s’abattait soudain sur les immenses magasins gorgés de marchandises.

L’instant, toutefois, n’était propice ni aux hésitations ni aux commentaires.

Avant de se demander le pourquoi des choses, il fallait se prémunir contre elles.

Le cheval refusait toujours d’avancer.

Il s’y décida néanmoins à l’invitation impérative d’une double pression des jambes, aggravée de violents coups de cravache. La bête, en poussant un hennissement douloureux, bondit en avant, l’écume aux lèvres, et le cavalier dut s’arc-bouter sur ses étriers pour empêcher le malheureux animal, qui s’élançait droit devant lui, à demi emballé, d’aller se briser la tête sur un obstacle.

Mais soudain, alors que le cavalier et sa monture débouchaient des docks et venaient en pleine lumière dans une cour déserte, un coup de feu retentit.

***

À ce même instant, suffoqué, à demi-mort, les yeux révulsés, les mains en sang, les genoux déchirés, la poitrine haletante, un homme ou pour mieux dire un spectre humain s’arrachait avec une peine infinie de l’immense caisse, dont les parois noircies par l’incendie étaient en train de se calciner.

L’homme hurlait.

Les flammes couraient sur ses vêtements en loques, mais l’individu n’avait cure du danger.

Il aspirait de larges bouffées d’un air saturé de poussière et de fumée âcre. Il fit encore un effort suprême, sortit définitivement de la caisse dans laquelle il semblait avoir été enfermé, prit contact avec le sol… Aussitôt ses jambes fléchirent… il tomba les genoux contre terre, puis se releva, ouvrant des yeux fous, hagards.

Brusquement, il dut faire un bond de côté pour éviter d’être écrasé par une pyramide de caisses, qui, rongées par l’incendie, s’abattaient dans un fracas épouvantable.

L’homme se comprima la tête de ses deux mains décharnées, il gronda comme un fauve, comme une bête traquée, aux abois.

Ce malheureux, cette loque humaine, cet être affolant, aux allures fantasmagoriques, ce rescapé de l’incendie, ce pseudo-cadavre évadé d’une quasi-bière… c’était Jérôme Fandor.

Jérôme Fandor, le célèbre journaliste, l’ami intime du célèbre policier Juve, Jérôme Fandor, qui, aux côtés de l’inspecteur de la Sûreté, s’acharnait depuis de si nombreuses années à la poursuite de l’insaisissable Fantômas.

Était-ce possible que ce fût lui, était-ce possible qu’il se trouvât dans cette situation critique ?

Quelles étaient donc les aventures qui avaient pu le mettre en aussi fâcheuse posture ?

Un mois auparavant, Jérôme Fandor se trouvait à Londres, dans la modeste chambre qu’il occupait dans un hôtel du quartier français.

C’était un soir du mois d’avril. Jérôme Fandor venait de télégraphier à son ami Juve, lequel se trouvait à Paris, qu’il venait de faire une découverte sensationnelle, c’est-à-dire tout simplement qu’il venait de retrouver la trace de Fantômas. Fandor était en train d’écrire une lettre à son ami, dans laquelle il lui confirmait et lui détaillait l’information de sa dépêche, lorsque soudain il avait été assailli, étroitement ligoté par un audacieux bandit qui ensuite, lui avait révélé sa personnalité.

Fandor avait été fait prisonnier par l’effroyable Fantômas.

Le monstre toutefois ne l’avait pas mis à mort.

Avec l’ironie gouailleuse qui le caractérisait lorsqu’il venait de remporter une victoire, sur des adversaires tels que Juve ou Fandor, Fantômas avait informé le journaliste que, s’il épargnait son existence, c’était afin de le conserver comme otage et de pouvoir, à l’occasion, obtenir de Juve une certaine discrétion.

Fantômas avait alors conduit Fandor dans une sorte de cellule hermétiquement fermée, dont l’éclairage et l’aération étaient assurés par un ingénieux dispositif de lumière électrique et d’air sous pression.

Cette cellule était assez confortablement aménagée pour que l’on pût y vivre, Fantômas n’avait d’ailleurs pas dissimulé à Fandor que ce local constituerait son domicile pendant plusieurs semaines, et qu’il n’y serait pas abandonné, que chaque jour – pour le distraire sans doute – il recevrait la visite de son terrible geôlier.

Fandor n’avait eu qu’à acquiescer aux ordres de Fantômas.

Mais contrairement à la promesse du monstre, celui-ci n’était plus jamais venu revoir le journaliste.

Que s’était-il passé ? Pourquoi Fantômas n’avait-il pas tenu promesse ?

Fandor l’ignorait.

Mais ce qu’il savait, c’est qu’au bout de quarante-huit heures à dater de son incarcération, la cellule dans laquelle il se trouvait s’était mise à remuer, avait été agitée, secouée dans tous les sens.

Aux secousses violentes avait succédé l’immobilité complète, puis étaient venus des balancements, de longues oscillations écœurantes et berceuses, qui rendaient Fandor malade et lui laissaient supposer qu’il subissait les terribles atteintes du mal de mer.

Fandor, tout d’abord, avait cru que sa cellule était fixée sur un châssis d’automobile, ou montée dans un wagon de chemin de fer. Il avait ensuite compris qu’elle se trouvait à bord d’un bateau.

Des jours interminables s’étaient alors succédés.

Fandor avait dans cette cellule les provisions nécessaires. L’aération et l’éclairage, d’autre part, étaient si bien compris, que le journaliste n’avait à souffrir ni de l’obscurité, ni du manque d’air.

Mais ses tortures morales déjà suffisantes devaient s’aggraver, au bout de trois semaines environ, de tortures physiques… des tortures que, dès le début, il avait appréhendées.

À de nouvelles secousses avaient succédé, une fois encore, une immobilité complète, mais, peu à peu, la lumière avait diminué, Fandor avait vu ses provisions s’épuiser, il lui fallait rationner sa nourriture et enfin, chose plus grave, l’air avait commencé à s’alourdir, l’atmosphère à se raréfier.

— Coûte que coûte, s’était alors dit Fandor, il faut sortir de là ou se résigner à mourir.

Le journaliste était brave et audacieux.

Encore qu’épuisé et affaibli, déprimé par les effroyables heures qui avaient succédé à son incarcération, il avait, au cours de ses longues semaines de détention, minutieusement étudié les clôtures de sa cellule.

Et Fandor avait à peu près découvert le secret de la fermeture, qui le séparait du monde des vivants.

Avec une patience et une énergie extraordinaire, Fandor s’était évertué à se frayer une issue dans ce local, véritablement blindé de tous les côtés, et au fur et à mesure que ses forces s’affaiblissaient, il sentait le succès se rapprocher.

Réussirait-il à s’évader avant de s’évanouir de faiblesse ?

Un nouvel élément, une dernière épreuve accroissait encore les forces, décuplées par l’émotion, de la malheureuse victime de Fantômas.

Fandor allait réussir à ouvrir et déjà, par les interstices, les fentes qu’il avait provoquées, il apercevait des rayons lumineux… mais par ces mêmes fentes, pénétrait soudain dans sa cellule un air brûlant, irrespirable, un air de feu.

Fandor, véritablement surhumain cette fois, avait néanmoins triomphé du dernier obstacle.

Il avait renversé la paroi la moins résistante de son effroyable prison et, sortant le corps à l’extérieur, promenant ses regards de tous côtés, il avait regardé… Il avait vu.


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