— En effet. C’est ce que m’a dit le portier. Il n’y avait pas de voiture devant la porte…

— Elle pouvait être plus loin. Est-ce que vous pouvez me dire à quoi ressemble le jeune garçon ?

— Pas moi, grogna Adalbert. Je ne l’ai pas vu…

— J’ai eu tout le temps de le voir, fit Aldo, mais pour le décrire…

— Tu sais dessiner, coupa Mme de Sommières. Fais son portrait.

Aldo fit la grimace :

— Je me débrouille assez bien avec un paysage, un joyau ou des bâtiments mais je ne vaux rien en portrait… N’est pas Titien qui veut !

— Moi si ! affirma Marie-Angéline avec sérénité en tirant de l’espèce de cabas en cuir fauve qui ne la quittait jamais un carnet à dessin et des crayons. À nous deux on devrait y arriver.

Et on y arriva. Aldo ayant réussi à tracer la silhouette et le contour du visage, « Plan-Crépin » se mit en devoir de les meubler selon ses indications mais avec un art saisissant. En peu de temps, Ézéchiel surgit du papier, parfaitement fidèle au souvenir qu’en gardait Morosini.

— C’est prodigieux ! exhala celui-ci. Vous avez même saisi le regard avec cette expression à la fois avide et orgueilleuse qui m’a frappé. Décidément la liste de vos talents cachés s’allonge chaque jour un peu plus !

— Ne va pas me la rendre vaniteuse ! grogna Mme de Sommières Et maintenant que nous savons à quoi il ressemble, que faisons-nous ?

— Si j’ai bien compris, dit Marie-Angéline qui reprenait peu à peu sa couleur normale, ces messieurs doivent aller explorer… un certain lieu dont j’ai mal saisi le nom…

— Massada ! maugréa Morosini. Une plateforme rocheuse en forme de fuseau de quelque sept cents mètres de long sur environ trois cent cinquante dans sa plus grande largeur. La moindre des choses à fouiller ! De quoi y passer le reste de sa vie. En admettant qu’il y ait une chance d’y retrouver les pierres, ce que je me refuse à croire. Songez que le drame dont Massada a été le théâtre remonte à l’an 73 de l’ère chrétienne ! Si ces damnés « sorts sacrés » y sont allés, ils doivent en être sortis depuis belle lurette !

— On n’en sait rien du tout ! affirma Vidal-Pellicorne. Si ton rabbin pense qu’il y a là une piste, il faut l’explorer…

— S’il en est si sûr, pourquoi n’explore-t-il pas lui-même ?

— Parce qu’on ne s’improvise pas archéologue, mon bon, et qu’il le sait. En outre, il a peut-être d’autres raisons. De toute façon, il ne faut pas en faire une montagne…

— C’est une montagne !

— Mais non. Tout juste un haut lieu.

— Vaste, très vaste ! fit Aldo dont la mauvaise humeur augmentait d’instant en instant.

— Tu me laisses parler ?… Ce matin, pendant que tu étais à la synagogue, je suis retourné chez sir Percival Clark, mon hôte d’hier soir qui est ici le correspondant du British Muséum. Il est déjà âgé mais il n’en reste pas moins attaché à la Palestine où il compte finir ses jours. C’est, tu ne l’ignores pas, le grand spécialiste de l’époque hérodienne. Il connaît parfaitement Massada où il a beaucoup travaillé sur les ruines du palais d’Hérode le Grand qui s’étageait sur la proue de ce navire immobile au bord de la mer Morte. Il dit que c’est l’un des plus beaux endroits du monde et que…

— Passons les considérations touristiques, si tu veux bien. On n’est pas là pour ça !

— Hélas ! En attendant, il m’a donné tous les renseignements que je pouvais souhaiter sur le siège mené par Flavius Silva et, surtout, sur l’endroit où vivaient les Esséniens. Cela réduit de beaucoup notre périmètre de recherches…

— Pourquoi les pierres ne seraient-elles pas cachées ailleurs ?

— Mais parce qu’on en revient toujours au même point : ce sont des objets sacrés et ils ne peuvent être que dans un endroit sacré. Surtout pas dans l’ancien palais d’un tyran ou Dieu sait quel édifice public. De deux choses l’une : s’ils étaient encore aux mains du chef des Esséniens au moment du suicide général, celui-ci les aura dissimulés de son mieux sur place, dans son logis ou dans la synagogue. On a une chance de les retrouver. Sinon, c’est qu’on les a emportés ailleurs ou simplement volés… et on ne retrouvera rien.

— Je parierais pour la seconde éventualité mais tu as raison : il faut tout de même aller voir. À toi de dire à présent ce que nous devons nous procurer pour cette expédition : un véritable matériel de siège, je suppose ?

— Écoute, intervint la marquise, nous savons bien que tu es malade d’angoisse mais cela ne sert à rien de te montrer hargneux.

— Pardonnez-moi ! J’enrage d’être obligé d’aller perdre sur ce maudit caillou un temps que je devrais consacrer exclusivement à la recherche de Lisa…

— Dis-toi que tu contribueras au moins à ce que sa captivité soit douce. Peut-être ne serait-ce pas le cas si l’on te voyait fouiner, chercher à Jérusalem même. Nous, nous ferons cela très bien…

— Nous ?

— Je veux dire surtout Plan-Crépin ! Souviens-toi de la messe de six heures à Saint-Augustin et des informations qu’elle en tirait ! Personne ne se méfiera d’elle. C’est bien ça que vous aviez dans l’idée en demandant un portrait, « Angélina » ?

— C’est bien ça. Nous avons tout à fait raison, fit, avec un grand sourire, la demoiselle qui ne s’adressait jamais à sa patronne et néanmoins cousine qu’à la première personne du pluriel.

— Quant au matériel « de siège », reprit Adalbert avec bonne humeur, on a besoin surtout d’une automobile solide et de tout ce qu’il faut pour camper. Pour le reste, sir Percy m’a recommandé d’aller voir un certain Khaled, depuis toujours son chef d’équipe. Il habite l’oasis d’Ein Guedi à une vingtaine de kilomètres de Massada et il connaît le rocher comme sa poche. On trouvera chez lui ce qui pourrait nous manquer…

— J’ajoute que c’est une bonne chose mais comment as-tu présenté notre future expédition à ton hôte ? Tu ne lui as tout de même pas parlé…

— Des émeraudes ? À un archéologue, même à la retraite ? Pas fou ! Officiellement, je me suis pris d’un intérêt passionné pour les peuples des bords de la mer Morte et, singulièrement les Esséniens. Khaled nous montrera leurs emplacements et ce sera du temps gagné…

Pour la première fois depuis des heures, un sourire vint détendre le visage crispé de Morosini :

— Qui suis-je, dit-il, pour oser te donner des conseils dans une profession que tu connais si bien ? Puis revenant aux deux femmes : Grâce à vous trois, je me sens un peu moins mal. Peut-être arriverai-je même à penser clairement…

— Si l’on veut penser clairement, il faut bien se nourrir, coupa Marie-Angéline doctorale. Et moi je meurs de faim. Si on allait déjeuner ?

On passa sur la terrasse ombragée où le ballet des Soudanais en gants blancs avait déjà commencé. Les deux hommes firent asseoir les deux dames et Aldo allait prendre sa place quand un jeune géant aux cheveux de paille sur une longue figure recuite par le soleil, vêtu d’un impeccable uniforme kaki, vint se planter devant lui, claqua des talons en saluant :

— Je demande pardon si je suis indiscret…, fit-il en anglais.

— Je ne le sais pas encore. Qui êtes-vous ?

— Lieutenant Douglas Mac Intyre, de l’état-major. Je… je dînais ici hier soir avec des camarades…

— Je vous avais remarqué, fit Morosini sèchement. Vous sembliez vous intéresser beaucoup à la princesse Morosini, mon épouse, et…

Le visage tanné s’empourpra : mais les yeux d’un bleu candide ne se baissèrent pas :

— Nous l’admirions tous les quatre mais… moi surtout. Je demande pardon… je voudrais savoir si… si… si rien n’est arrivé de fâché ?…

— Fâcheux ! rectifia Aldo machinalement. Qu’est-ce qui pourrait vous faire croire ça ?

— Eh bien… je suis surpris de vous voir sans elle. Je pensais qu’elle vous avait rejoint dans la vieille maison.

— La vieille maison ?… Venez par ici ! Commencez sans moi ! ajouta Aldo pour ses compagnons en entraînant l’officier vers les jardins où il le coinça contre un palmier.


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