Enfin on franchit ce qui avait été l’une des deux portes de la forteresse et l’on déboucha sur une immense étendue de terre jaune et de pierraille d’où émergeaient des ruines encore imposantes mais qui eurent le don de plonger instantanément Aldo dans le découragement :

— Tu vas dire que je me répète mais c’est une entreprise insensée. Comment retrouver deux cailloux gros comme un doigt dans ce paysage de fin du monde ? ajouta-t-il entre ses dents. En admettant qu’ils y soient toujours.

— Un peu de confiance, que diable ! Grâce à sir Percy j’ai une idée de l’endroit où l’on peut chercher.

Il tira d’une poche de poitrine une sorte de plan qu’il étala sur une pierre :

— Voilà où nous sommes ! Comme tu peux le voir, c’est la pointe nord, à notre droite, qui présente le plus d’intérêt. Là s’élevait le palais d’Hérode le Grand, bâti sur trois terrasses successives posées sur des à-pics, reliées entre elles par des escaliers taillés dans le roc à flanc de montagne et des plus faciles à défendre. Les traditions rapportent qu’il était d’une grande magnificence et possédait de nombreuses annexes. Il y a un autre palais, celui d’occident, qui doit être là-bas, juste en face de nous…

— Non, corrigea Khaled. Ça église byzantine. Le palais plus à gauche…

— Quant à l’ancienne synagogue et le quartier des Esséniens…

— Là-bas… juste au bord du vide…

On remit au lendemain le tour complet de l’étrange cité-palais où, après le sac de Jérusalem par Titus, les quelque neuf cents Zélotes d’Éléazar ben Yaïr avaient vécu retranchés pendant trois ans et résisté pendant plusieurs mois à la Xe Légion romaine pour finir par un suicide général, décidé en toute liberté quand, la rampe achevée et l’hélépole portant un gigantesque bélier amenée à pied d’œuvre, il fut évident qu’il n’y avait plus d’espoir. La nuit qui précéda le dernier assaut, les Zélotes et ceux qui les avaient rejoints se partagèrent en groupes de dix comprenant femmes et enfants. Le chef de ce groupe devait les égorger. Ensuite de nouveaux groupes seraient formés jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul homme, Éléazar, qui, alors, se donnerait la mort.

Ainsi fut fait et quand Flavius Silva enjamba les vantaux et les pierres de la ville éventrée, il ne trouva sur son chemin que des cadavres au-dessus desquels tournoyaient déjà les vautours du désert…

— On dit, acheva Adalbert qui venait de retracer à haute voix en anglais ce drame exemplaire de la fierté et du courage, que deux femmes et cinq enfants réussirent à s’échapper, sans doute grâce à des pères incapables de supporter l’idée de les voir morts. Je ne sais pas si c’était une bonne idée : ils devinrent esclaves du consul…

— On dit aussi, fit Khaled avec un petit rire, qu’une des femmes était très belle et que le consul l’aima… Maintenant, il est temps de choisir l’endroit où vous allez vous établir…

Le soleil, en effet, baissait en faisant flamboyer le désert et en glaçant la mer Morte d’une curieuse teinte de violet pourpre. Les deux hommes firent choix d’une ancienne casemate des murailles croulantes qui était encore couverte et leur offrait un abri assez bien protégé.

Khaled regarda ceux qui étaient pour lui des scientifiques venus repérer un futur chantier de fouilles déposer leurs sacs et commencer à s’installer. Maintenant qu’il les avait conduits à bon port, il avait l’air un peu encombré de son personnage :

— Vous ne voulez vraiment pas que je reste avec vous ? Je ne quittais jamais sir Percy…

— Parce que tu avais une équipe à diriger mais nous n’en sommes pas là, dit Vidal-Pellicorne. Nous avons des vivres, tu nous as montré un point d’eau et même une citerne encore en bon état. Tu reviendras dans deux jours voir où nous en sommes et nous rapporter de la nourriture. Nous allons pouvoir travailler tranquilles sans être gênés par qui que ce soit. Il n’y a pas foule sur ce plateau.

L’Arabe haussa les épaules avec un soupir :

— Personne depuis sir Percy… sauf les djinns qui habitent les mauvais vents…

— On dirait pourtant qu’il y a quelqu’un ? fit Morosini qui regardait par l’ouverture. Je viens de voir quelque chose bouger entre les pierres…

Pour s’en assurer, il sortit suivi des deux autres en se dirigeant vers les ruines byzantines. Dans la lumière frisante du soleil en train de disparaître, les trois hommes aperçurent une silhouette qui, dans ses draperies bleu sombre, semblait issue du crépuscule mais qui n’avait rien d’un fantôme car on la vit soudain détaler à toutes jambes, des jambes dont l’œil aigu d’Aldo remarqua la finesse au-dessus des sandales poudreuses : une femme ! Khaled alors prévint sa question avec un soupir excédé :

— Allah ! Elle est revenue !

— Tu la connais ? dit Morosini. Qui est-elle ?

— Une folle ! De temps en temps elle apparaît ici comme un oiseau de malheur. Elle retourne les pierres, elle cherche on ne sait quoi. Un jour, un de mes fils a réussi à l’approcher mais elle parle une langue qu’il ne comprend pas. Tout ce qu’il a pu savoir c’est son nom. Elle s’appellerait Kypros… Drôle de nom !

— Kypros ! reprit Adalbert songeur. C’était le nom de la mère d’Hérode le Grand qui construisit ces palais… Elle appartenait à un peuple nomade de la région : les Nabatéens… Nomades parce que leurs caravanes sillonnaient le désert entre la mer Rouge et la Méditerranée. Avec leurs dromadaires qu’ils avaient été le premiers, je crois, à domestiquer, ils transportaient d’une mer à l’autre les épices venues des Indes, la myrrhe d’Arabie et même la soie que les marchands chinois des royaumes Han apportaient jusque chez les Parthes…

— Les Nabatéens n’existent plus depuis longtemps et Petra, leur capitale, est une ville morte habitée seulement par les bêtes sauvages, fit Khaled avec dédain…

— À moins d’avoir été exterminé jusqu’au dernier, un peuple ne disparaît jamais tout à fait, coupa Morosini. La nuit va tomber et Ein Guedi est là-bas… Tu devrais rentrer, Khaled ! Merci de ton aide.

La femme avait disparu maintenant derrière la pointe formée par l’étage supérieur du palais septentrional. L’Arabe salua sans insister et s’en alla rejoindre, par le sentier du Serpent, ses fils et ses dromadaires mais, avant d’avoir atteint la porte dans le rempart, Aldo le vit soudain ramasser une pierre et la jeter de toute sa force dans la direction des ruines en criant quelque chose qu’il ne comprit pas. Songeur, il revint vers Adalbert occupé à allumer un feu sur trois pierres qui avaient déjà servi à cet usage et lui apprit ce qu’il venait de voir :

— Je ne sais pas qui est cette femme mais ton Khaled la déteste…

— Ça, c’est évident. Mais ce n’est pas « mon » Khaled, c’est celui de sir Percy et je le lui laisse bien volontiers.

— Il ne te plaît pas ?

— Pas vraiment. Et nous ne lui plaisons pas davantage. Si nous n’étions en quelque sorte les invités de sir Percy, il n’aurait jamais accepté de nous guider et de nous aider…

— Tu vois à cela une raison ?

— Et une bonne : il fouille pour son propre compte ! Et je vais te dire mieux je parie qu’il cherche la même chose que cette femme-fantôme.

— On dirait que tu as une idée de ce que ça peut être ?

— Bien sûr. Sir Percy m’en a parlé d’ailleurs, mais comme d’une légende amusante à l’usage du petit peuple : le trésor d’Hérode le Grand !

Morosini se mit à rire en se laissant tomber, assis en tailleur devant le feu qui flambait bien à présent alimenté par du bois mort qui ne manquait pas sur le site :

— J’aurais dû m’en douter. C’est toujours la même histoire dès qu’un grand personnage a fait construire une quelconque forteresse et, de préférence dans un endroit inaccessible et sauvage, ça ne peut pas être pour autre chose que pour défendre un trésor…

— En l’occurrence, le trésor pour Hérode, c’était lui-même. Il faut comprendre : il était une pièce rapportée dans la dynastie asmonéenne dont il avait épousé une fille, Mariamne, en secondes noces – il a eu cinq femmes ! Alors il a fait le ménage parmi les descendants réels. C’était un homme cruel, d’une horrible méfiance et ce palais du désert en est la meilleure preuve.


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: