Relevant la tête, la jeune femme parla de nouveau. On put voir qu’elle serrait contre sa poitrine un objet entouré d’un tissu sombre.
— Que dit-elle ?
— Elle t’implore d’épargner l’empereur et t’offre en échange ce qui a été le plus grand trésor de son père et le talisman dont il ne se séparait jamais. Quand il a compris que tu étais l’homme envoyé par les dieux et qu’il ne pouvait te combattre, il le lui a offert au moment de son mariage avec Cuauhtémoc afin qu’il lui apporte le bonheur.
— On dirait qu’il n’a guère de pouvoir ? ricana le conquistador.
— Tu te trompes. C’est parce qu’elle vivait avec lui un amour absolu qu’elle te l’apporte en échange de sa vie ! Parce que sans lui…
— Voyons cela !
Doña Marina prit le paquet de tissu et en sortit une cassette d’or qui, ouverte, révéla un vrai trésor en effet. La lumière d’une torche fit scintiller les cinq plus belles émeraudes que l’on eût jamais vues. De la taille d’un abricot et d’une eau verte sans défaut, elles étaient ciselées avec un art admirable. L’une en forme de rose, une autre en forme de cloche avec une grosse perle en guise de battant, une troisième en forme de poisson, la quatrième en forme d’étoile et la dernière représentant une coupe, avec un rebord en or. Entre chacune d’elles alternaient des feuillages d’or où de minuscules perles figuraient la rosée. La beauté du joyau coupa le souffle aux Espagnols quand, avec un respect infini, Doña Marina le prit entre ses mains et l’éleva tandis qu’elle s’agenouillait comme si elle en faisait hommage à la nuit.
— C’est une merveille ! murmura Cortés en l’enlevant à la jeune femme tandis que son œil sombre s’illuminait. Il ne ressemble à aucun des bijoux que nous ayons trouvés ici…
Le trésorier royal se précipitait déjà pour s’en emparer, en disant qu’il le réclamait au nom de l’empereur Charles, seul digne de posséder un objet aussi rare, mais Doña Marina l’escamota sous son nez pour le remettre dans sa cassette.
— C’est surtout un objet sacré que seules des mains pures peuvent toucher. Ce sont les émeraudes de Quetzalcóatl. Nul ne sait si elles sont son œuvre ou si le dieu les avait apportées avec lui. Dans notre langue, d’ailleurs, émeraude se dit quetzalitzli.
Les yeux allumés, Alderte voulut passer outre mais, brutalement, Cortés lui ordonna de se tenir tranquille :
— Si elles doivent aller à notre empereur, c’est à moi qu’appartient l’honneur de les lui remettre !
— De toute façon, grogna Alderte, cela ne saurait constituer la totalité du trésor de Montezuma ! Active ton feu, bourreau ! Nous allons reprendre…
— Non. C’est terminé. Pour ce soir, du moins… Ce ne sera peut-être plus nécessaire. En menaçant cette femme de brûler son époux à petit feu, on aura une chance qu’elle nous indique où est le reste.
Cependant, la petite princesse s’était traînée sur les genoux jusqu’à Cuauhtémoc devant lequel elle était à présent prosternée, murmurant d’incompréhensibles paroles au milieu de ses sanglots. De toute évidence, elle implorait son pardon. Suivi de Marina, Cortés s’approcha. Le visage de granit aux yeux clos du jeune empereur ressemblait à un gisant de cathédrale mais, soudain, il s’anima :
— Tu as obtenu d’une faible femme ce que tu n’aurais jamais obtenu de moi. Mais ne te réjouis pas. Un crime t’a mis en possession des pierres sacrées. Avant toi, l’empire d’Anahuac était heureux et puissant. À toi et à ceux qui s’en empareront par force, les émeraudes de Quetzalcóatl n’apporteront désormais que la ruine et la mort. Au nom de tous les miens, je les maudis et te maudis avec elles… Seul le retour aux dieux pourrait faire cesser la malédiction. À présent, écartez-vous ! Je veux parler à Tahena.
On lui obéit et, pendant de brèves minutes, ils purent s’entretenir à voix basse mais c’était surtout Cuauhtémoc qui parlait. Penchée sur lui, Tahena ne pleurait plus. Elle avait pris la main de son époux et la tenait appuyée sur ses lèvres et si jamais visage avait exprimé l’amour, c’était bien le sien. Celui de Cuauhtémoc fut empreint un instant d’une étrange douceur. Puis il referma les yeux et reprit son immobilité de statue tandis que Doña Marina emmenait la jeune femme dont les larmes coulaient encore sur un visage que maintenant une lumière intérieure pacifiait…
Quelques jours plus tard, après avoir demandé en vain de mourir sur la pierre des sacrifices, son cœur arraché offert au dieu solaire, le jeune empereur était vilainement pendu à la face de son peuple… Tahena vite baptisée Isabel était donnée en mariage à un familier de Cortés qui la convoitait. Quant au trésor de Montezuma, son père, il fut enfin retrouvé dans le petit lac du palais où sa fille avait connu un court bonheur…
PREMIÈRE PARTIE
CINQ SIÈCLES PLUS TARD…
1
UN BEAU MARIAGE
La basilique Sainte-Clotilde, rue Las-Cases, n’était pas – et de loin – la plus réussie de Paris. Un assez mauvais pastiche du style ogival tardif, bâtie par Ballu sur les instances de la reine Marie-Amélie qui, si elle avait posé la première pierre, ne devait jamais voir sceller la dernière en 1857. Cette église avait un petit quelque chose d’à la fois frivole et protocolaire dû, sans doute, à ce qu’elle était l’une des plus mondaines de la capitale, battant d’une courte tête ses voisines, Saint-Germain-des-Prés et Saint-Sulpice, ainsi que la Madeleine, Saint-Philippe-du-Roule ou Saint-Honoré-d’Eylau, la cathédrale Notre-Dame se situant naturellement au-dessus de la mêlée. Pour ceux que l’on y enterrait, c’était le dernier salon où l’on cause, et pour ceux que l’on y unissait, l’antichambre d’une existence de faste et d’élégance. Elle voisinait avec l’Archevêché et ses organistes, de César Franck à Charles Tournemire, étaient de ceux que l’on écoute avec dévotion.
Ce matin d’hiver, Sainte-Clotilde avait revêtu ses atours de fête en l’honneur d’un grand mariage. Un dais blanc protégeait les marches d’entrée et le tapis rouge coulait jusqu’au ruisseau.
Peu avant midi, de longues voitures brillantes déversèrent aux pieds de deux suisses rouge et or, coiffés de bicornes à plumes et armés de lourdes hallebardes, belles dames et messieurs rivalisant d’élégance. Un festival de fourrures précieuses, de robes de couturiers en vogue, de jaquettes coupées par des artistes, de chapeaux huit-reflets et de bijoux plus ou moins vrais peut-être mais tous magnifiques. On se saluait, on échangeait paroles et sourires avant d’entrer avec solennité dans l’église brasillant de mille cierges allumés et fleurie comme pour la Fête-Dieu. Ce mariage était l’événement de ce mois de février et y assister représentait une sorte de privilège, les invités ayant été triés sur le volet, donc moins nombreux qu’on ne s’y attendait. D’où un agréable sentiment d’importance. Sous le dais, un maître de cérémonie se faisait montrer les invitations. Quant à la presse, elle était parquée avec le menu peuple derrière les grilles protégeant la façade de l’église. Il faisait un froid de gueux mais l’air était sec et un soleil pâlot faisait ce qu’il pouvait.
La dernière voiture à déposer son monde fut une antique mais superbe Panhard & Levassor brillant de tous ses cuivres et de sa carrosserie qui semblait faite de laque noire. Un chauffeur âgé mais d’une tenue admirable la conduisait en majesté. Le valet de pied commis à cet effet se précipita pour ouvrir la portière mais déjà l’un des trois occupants avait sauté à terre et se retournait pour aider ses compagnes à descendre. Il y eut un frémissement chez les journalistes :
— Tiens ! fit l’un d’eux. Voilà Aldo Morosini !
— Le prince expert en joyaux anciens ? Tu es sûr ? s’exclama, excitée, une très jeune femme qui accomplissait son premier stage au Matinsous la houlette de Jacques Mathieu.