– Oh! et puis peu m’importe. Ne dites rien si vous voulez…
– Ne vous fâchez pas, jeune homme… Je ne sais plus ce que je dis… Simplement je… il y a là certainement quelque raison mystérieuse qui fait… que vous… Mais qui êtes-vous jeune homme? Évidemment, un inconnu… mais enfin qui êtes-vous? Dieu, je ne sais plus ce que je dis…
– Oh! je vous en prie… suffit, coupa le jeune homme.
– Je vais tout vous raconter, tout. Peut-être vous dites-vous que je ne raconterai rien, que je vous en veux? Non. C’est tout simplement que je suis déprimé, voilà tout… Mais au nom du ciel, apprenez-moi tout, vous aussi, depuis le début: comment êtes-vous tombé ici? Par quel miracle? Quant à moi, je ne me fâche pas, je vous le jure… Voici ma main. Seulement il y a beaucoup de poussière ici et je l’ai salie, mais cela n’empêche pas la sincérité des sentiments.
– Fichez-moi la paix avec votre main! Pas moyen de faire un mouvement, et il m’embête avec sa main!
– Cher Monsieur, vous me parlez comme si…, comme si j’étais une vieille semelle, dit Ivan Andreievitch dans un accès d’humilité désespérée. Sa voix était suppliante. Soyez plus poli, un tout petit peu plus aimable, et je vous raconterai tout, je suis prêt à vous inviter à dîner, vraiment. Nous serions des amis. Mais impossible de rester ici couchés tous deux. Vous vous trompez, jeune homme. Vous ignorez…
– Quand donc l’a-t-il rencontrée? bégaya le jeune homme qui paraissait bouleversé. Elle m’attend peut-être maintenant… Décidément, je sors d’ici…
– Elle? Qui elle? Seigneur! De qui parlez-vous, jeune homme? Vous pensez que là-bas, en haut… Seigneur, Seigneur.» Pourquoi suis-je ainsi puni?
Ivan Andreievitch essaya de se tourner sur le dos en signe de désespoir.
– Que vous importe de savoir qui elle est? Zut, qu’il arrive ce qui doit arriver, je fiche le camp…
– Cher Monsieur, que faites-vous? Et moi, moi que deviendrai-je? chuchota Ivan Andreievitch, se cramponnant dans sa détresse aux pans du frac de son voisin.
– Que voulez-vous que cela me fasse? Eh bien, vous resterez seul… Et si vous ne le voulez pas, je puis dire à la rigueur que vous êtes mon oncle… qui s’est ruiné… le vieux ne pourra penser que je suis l’amant de sa femme.
– C’est impossible, jeune homme, être votre oncle, ce n’est pas naturel. Personne ne vous croira. Un petit enfant comme ça ne vous croirait pas. Ivan Andreievitch murmurait avec désespoir ces paroles.
– Alors ne bavardez plus et restez là immobile comme un mort. Restez toute la nuit et, au matin, vous sortirez d’une manière ou d’une autre. Personne ne vous remarquera… Puisque l’un a déguerpi, on ne pensera pas qu’un autre se cache encore… Vous ne nous voyez tout de même pas une dizaine ici? Du reste vous en valez douze à vous tout seul… Avancez ou je sors.
– Vous vous fichez de moi, jeune homme… Et si je toussais? Il faut tout prévoir.
– Chut!
– Que se passe-t-il donc? Il me semble entendre un tapage là-haut, balbutia le vieillard, qui, semble-t-il, s’était un instant assoupi.
– Vous entendez?
– En haut?
– Vous entendez, jeune homme, c’est en haut…
– Oui, j’entends.
– Mon Dieu, je vais sortir, jeune homme.
– Soit, Je reste. Cela m’est égal. Que m’importe que tout se gâte. Tenez, je présume que vous êtes un mari trompé et voilà toute l’histoire.
– Dieu, quel cynisme! Vous le supposez vraiment? Mais pourquoi, justement, un mari… Je ne suis pas marié…
– Pas marié, quelle blague!
– Je suis peut-être l’amant?
– Il est joli, l’amant!
– Mon cher Monsieur, mon cher Monsieur… Allons soit, je vous raconte tout. Vous comprendrez ma détresse. Ce n’est pas moi, je ne suis pas marié. Je suis célibataire, comme vous. C’est mon ami, un camarade d’enfance… Donc il me dit: «Je suis un homme malheureux, je bois le calice car je soupçonne ma femme.» Alors moi raisonnablement: «Pourquoi la soupçonnes-tu?» Mais vous ne m’écoutez pas. Écoutez donc, écoutez! «La jalousie est chose ridicule, lui dis-je, la jalousie est un vice.» «Non, répondit-il. Je suis un homme malheureux! Le calice, tu comprends!» Alors, moi: «Tu fus le compagnon de ma tendre enfance. Ensemble nous cueillîmes les fleurs du plaisir.» Mon Dieu, je ne sais plus ce que je dis! Vous riez toujours, jeune homme. Vous me ferez perdre la raison.
– Vous l’êtes déjà, fou!
– Je sentais que vous alliez le dire… Riez, riez, jeune homme. Moi aussi, dans ma jeunesse, j’avais mes conquêtes, et je savais séduire aussi. Oh! cela finira par une congestion cérébrale.
– Mais dites-moi petite chérie, il me semble qu’on éternue chez nous? balbutia le vieillard. C’est toi mon trésor, qui éternues?
– Oh! mon Dieu, murmura l’épouse.
– Chut! dit-on sous le lit.
– On cogne certainement là-haut, remarqua la femme épouvantée. En effet, le bruit devenait plus fort sous le lit.
– En effet, là-haut, acquiesça le mari. Là-haut. Je te disais que ce gandin… khi, khi. Ce gandin aux petites moustaches. Oh! mon Dieu, mon dos… Je venais de rencontrer ce gandin aux petites moustaches…
– Petites moustaches! Seigneur! Mais c’est vous, peut-être? murmura Ivan Andreievitch.
– Quel homme, grand Dieu! Tonnerre! Mais je suis là, là près de vous! Comment a-t-il pu me rencontrer? Mais laissez donc mon visage tranquille.
– Je vais avoir une attaque, c’est sûr.
À ce moment, en effet, on entendit un vacarme à l’étage supérieur.
– Qu’est-ce qui se passe? chuchota le jeune homme.
– Mon cher Monsieur… je meurs d’effroi… de terreur. Venez à mon secours.
– Chut!
– Écoute, ma chérie, mais c’est un vrai tapage… un potin d’enfer. Et juste au-dessus de ta chambre à coucher. Si j’envoyais quelqu’un leur dire?
– Il ne manquait plus que cette invention.
– Oh! comme tu veux. Tu es bien nerveuse ce soir.
– Mon Dieu, vous feriez mieux d’aller dormir.
– Lisa, tu ne m’aimes plus.
– Mais si, je t’aime. Mais Dieu, je suis très fatiguée.
– Allons, allons, je m’en vais.
– Oh! non, non, ne partez pas! s’écria l’épouse. Ou plutôt si, partez, partez donc!
– Mais qu’as-tu donc vraiment? Partez, ne partez pas?… khi, khi. Du reste, je m’en vais dormir… khi, khi. Ah! ces petites filles des Panafidine… khi, khi. Ces fillettes… khi. J’ai vu chez l’une des petites, une poupée de Nuremberg… khi, khi…