«Mon fils, commença-t-il à me dire, suis-moi!

Revenons sur nos pas: c’est par là que la plaine

descend et nous conduit du côté le plus bas.»

L’aube chassait déjà les ombres du matin

qui fuyaient devant elle, en sorte que de loin

je croyais deviner le long frisson des vagues.

Nous allions tout au long de la plaine déserte,

comme celui qui cherche un bon chemin perdu

et ne croit pas marcher tant qu’il n’a pas trouvé.

À la fin, arrivés au point où la rosée

lutte avec le soleil et lui résiste mieux,

car la fraîcheur du lieu la défend des rayons,

mon seigneur, doucement, vint poser ses deux mains

ouvertes largement sur ce joli gazon;

et moi, qui devinais quelle était sa pensée,

je tendis mon visage encor baigné de larmes:

c’est de cette façon qu’il mit à découvert

les couleurs que l’Enfer m’avait comme embuées.

Puis, nous vînmes au bord de la plage déserte

dont les flots n’ont jamais ballotté de navire

d’un marin qui connût le chemin du retour [9].

C’est là qu’il me ceignit, comme l’autre avait dit.

Miracle! au même instant qu’il l’arrachait de terre,

un autre rejeton, pareil à l’humble plante,

apparut aussitôt à l’endroit dévasté [10].

CHANT II

Déjà l’astre du jour touchait cet horizon

dont le méridien, dans son point le plus haut,

passe au-dessus du site où gît Jérusalem,

cependant que la nuit, tournant à l’opposé,

sortait des eaux du Gange avec cette Balance

qui lui tombe des mains lorsqu’elle a trop vieilli; [11]

en sorte qu’à l’endroit où je restais alors

le beau visage blanc et vermeil de l’aurore

prenait, avec le temps, des tons de feuille morte.

Nous nous trouvions toujours au bord de cette mer,

comme qui pense tant à son prochain visage,

qu’il chemine en esprit dès avant le départ,

quand voici que soudain, comme au seuil du matin

on voit Mars rougeoyer sous une brume épaisse

qui s’élève des flots au-dessus du Ponant,

j’ai vu (puissé-je encor le voir!) un grand éclat

qui s’approchait de nous si vite sur la mer,

que nul vol ne saurait ressembler à sa course.

J’en détournai les yeux, l’espace d’un moment,

afin d’interroger mon guide, et je le vis,

lorsque j’y retournai, plus grand et plus brillant.

De chacun des côtés luisait autour de lui

je ne sais quoi de blanc; et comme il s’approchait,

une blancheur pareille apparut sous ses pieds.

Mon maître cependant attendait sans broncher

et, dans les blancs premiers distinguant les deux ailes

il reconnut enfin quel était le nocher

et me dit aussitôt: «Vite, vite, à genoux!

Voici l’ange de Dieu: tu dois joindre les mains.

Tu reverras souvent, ici, de tels ministres.

Vois comment, dédaignant les moyens des humains,

il se passe de rame et ne veut d’autre voile,

pour venir de si loin, que celle de ses ailes.

Tu vois comme il les tend vers le ciel, battant l’air

de la plume éternelle et qui ne connaît pas

ce que c’est que muer comme un mortel plumage!»

Plus cet oiseau divin se rapprochait de nous,

plus on lui distinguait clairement le visage,

mais l’œil pouvait à peine supporter son éclat.

Je baissai le regard; et lui, venant au bord,

toujours sur son bateau si rapide et léger,

il effleurait à peine la surface de l’eau.

Le céleste nocher se tenait à la poupe;

on lisait dans ses traits son état bienheureux,

et plus de cent esprits remplissaient son esquif.

In exit Israël de Ægypto [12]

chantaient-ils tous en chœur, d’une commune voix,

avec tout ce qui fait la suite de ce psaume.

puis de la sainte croix il fit sur eux le signe

et dès qu’ils prirent pied sur le rivage, l’ange

s’éloigna promptement, comme il était venu.

Les nouveaux arrivants semblaient tout ignorer

je l’endroit: leurs regards se promenaient partout,

comme de gens qui vont de surprise en surprise.

Le soleil nous dardait ses rayons de partout,

et il avait déjà, de l’éclat de ses flèches,

chassé le Capricorne à l’autre bout du ciel [13],

quand cette gent nouvelle leva les yeux vers nous,

nous disant: «Si jamais vous pouvez nous le dire,

montrez-nous le chemin pour gravir la montagne!»

«Sans doute pensez-vous, leur répondit Virgile,

que nous connaissons bien cet endroit où nous sommes:

nous sommes, comme vous, de simples pèlerins.

Nous venons d’arriver, peu d’instants avant vous,

par un autre chemin, si rude et si terrible

qu’à présent le monter va nous paraître un jeu.»

Cependant les esprits, qui s’étaient rendu compte,

à me voir respirer, que je n’étais pas mort,

pâlirent de surprise et tremblèrent d’effroi.

Comme on court au-devant du messager qui porte

le rameau d’olivier, pour avoir des nouvelles,

sans que personne pense aux hasards de la presse,

ainsi rivaient alors leurs regards dans les miens

les esprits bienheureux qui se trouvaient là-bas,

Presque oubliant le soin de leur félicité.

Entre autres, j’en vis un qui s’approchait de moi

et qui vint m’embrasser avec tant d’amitié,

que j’aurais bien voulu lui rendre la pareille.

Ombres, où l’on ne voit qu’une vaine apparence!

Par trois fois je ceignis son corps avec mes bras,

et ne fis que croiser mes bras sur ma poitrine.

Je crois que dans mes yeux on lisait ma surprise,

car l’ombre eut un sourire et recula d’un pas,

et moi, le poursuivant, je voulus le rejoindre.

Il me dit doucement de ne plus m’avancer;

et, l’ayant reconnu, je lui dis la prière

de s’arrêter un peu pour causer avec moi [14].

Alors il répondit: «Autant que je t’aimais

avec mon corps mortel, je t’aime, délivré,

et je vais m’arrêter; mais toi, que fais-tu là?»

Je dis: «Cher Casella, j’entrepris ce voyage

afin de retourner plus tard à cet endroit;

mais toi, qui t’a donc fait si longuement tarder?»

Et sa réponse fut: «Je n’ai pas à me plaindre,


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: