– «Qui vive?»

– Ami! cria Maurice; ami! Avance ici, Lorin.

Celui auquel cette injonction était adressée se remit en marche et, prenant la tête, s’approcha vivement, suivi de huit hommes.

– Eh! c’est toi, Maurice, dit le caporal. Ah! libertin! que fais-tu dans les rues à cette heure?

– Tu le vois, je sors de la section des Frères et Amis.

– Oui, pour te rendre dans celle des sœurs et amies; nous connaissons cela.

Apprenez, ma belle,

Qu’à minuit sonnant,

Une main fidèle,

Une main d’amant,

Ira doucement,

Se glissant dans l’ombre,

Tirer les verrous,

Qui, dès la nuit sombre

Sont poussés sur vous.

» Hein! n’est-ce pas cela?

– Non, mon ami, tu te trompes; j’allais rentrer directement chez moi lorsque j’ai trouvé la citoyenne qui se débattait aux mains des citoyens volontaires; je suis accouru et j’ai demandé pourquoi on la voulait arrêter.

– Je te reconnais bien là, dit Lorin.

Des cavaliers français tel est le caractère.

Puis, se retournant vers les enrôlés:

– Et pourquoi arrêtiez-vous cette femme? demanda le poétique caporal.

– Nous l’avons déjà dit au lieutenant, répondit le chef de la petite troupe: parce qu’elle n’avait point de carte de sûreté.

– Bah! bah! dit Lorin, voilà un beau crime!

– Tu ne connais donc pas l’arrêté de la Commune? demanda le chef des volontaires.

– Si fait! si fait! mais il est un autre arrêté qui annule celui-là.

– Lequel?

– Le voici:

Sur le Pinde et sur le Parnasse,

Il est décrété par l’Amour

Que la Beauté, la Jeunesse et la Grâce

Pourront, à toute heure du jour,

Circuler sans billet de passe.

» Hé que dis-tu de cet arrêté, citoyen? Il est galant, ce me semble.

– Oui; mais il ne me paraît pas péremptoire. D’abord, il ne figure pas dans le Moniteur, puis nous ne sommes ni sur le Pinde ni sur le Parnasse; ensuite, il ne fait pas jour; enfin, la citoyenne n’est peut-être ni jeune, ni belle, ni gracieuse.

– Je parie le contraire, dit Lorin. Voyons, citoyenne, prouve-moi que j’ai raison, baisse ta coiffe et que tout le monde puisse juger si tu es dans les conditions du décret.

– Ah! monsieur, dit la jeune femme en se pressant contre Maurice, après m’avoir protégée contre vos ennemis, protégez-moi contre vos amis, je vous en supplie.

– Voyez-vous, voyez-vous, dit le chef des enrôlés, elle se cache. M’est avis que c’est quelque espionne des aristocrates, quelque drôlesse, quelque coureuse de nuit.

– Oh! monsieur, dit la jeune femme en faisant faire un pas en avant à Maurice et en découvrant un visage ravissant de jeunesse, de beauté et de distinction, que la clarté du réverbère éclaira. Oh! regardez-moi; ai-je l’air d’être ce qu’ils disent?

Maurice demeura ébloui. Jamais il n’avait rien rêvé de pareil à ce qu’il venait de voir. Nous disons à ce qu’il venait de voir, car l’inconnue avait voilé de nouveau son visage presque aussi rapidement qu’elle l’avait découvert.

– Lorin, dit tout bas Maurice, réclame la prisonnière pour la conduire à ton poste; tu en as le droit, comme chef de patrouille.

– Bon! dit le jeune caporal, je comprends à demi-mot.

Puis, se retournant vers l’inconnue:

– Allons, allons, la belle, continua-t-il, puisque vous ne voulez pas nous donner la preuve que vous êtes dans les conditions du décret, il faut nous suivre.

– Comment, vous suivre? dit le chef des enrôlés volontaires.

– Sans doute, nous allons conduire la citoyenne au poste de l’hôtel de ville, où nous sommes de garde, et là nous prendrons des informations sur elle.

– Pas du tout, pas du tout, dit le chef de la première troupe. Elle est à nous, et nous la gardons.

– Ah! citoyens, citoyens, dit Lorin, nous allons nous fâcher.

– Fâchez-vous ou ne vous fâchez pas, morbleu, cela nous est bien égal. Nous sommes de vrais soldats de la République, et tandis que vous patrouillez dans les rues, nous allons verser notre sang à la frontière.

– Prenez garde de le répandre en route, citoyens, et c’est ce qui pourra bien vous arriver, si vous n’êtes pas plus polis que vous ne l’êtes.

– La politesse est une vertu d’aristocrate, et nous sommes des sans-culottes, nous, repartirent les enrôlés.

– Allons donc, dit Lorin, ne parlez pas de ces choses-là devant madame. Elle est peut-être Anglaise. Ne vous fâchez point de la supposition, mon bel oiseau de nuit, ajouta-t-il en se retournant galamment vers l’inconnue.

Un poète l’a dit, et nous, échos indignes,

Nous allons après lui tout bas le répétant:

L’Angleterre est un nid de cygnes

Au milieu d’un immense étang.

– Ah! tu te trahis, dit le chef des enrôlés; ah! tu avoues que tu es une créature de Pitt, un stipendié de l’Angleterre, un…

– Silence, dit Lorin, tu n’entends rien à la poésie, mon ami; aussi je vais te parler en prose. Écoute, nous sommes des gardes nationaux doux et patients, mais tous enfants de Paris, ce qui veut dire que, lorsqu’on nous échauffe les oreilles, nous frappons dru.

– Madame, dit Maurice, vous voyez ce qui se passe et vous devinez ce qui va se passer; dans cinq minutes, dix ou onze hommes vont s’égorger pour vous. La cause qu’ont embrassée ceux qui veulent vous défendre mérite-t-elle le sang qu’elle va faire couler?

– Monsieur, répondit l’inconnue en joignant les mains, je ne puis vous dire qu’une chose, une seule: c’est que, si vous me laissez arrêter, il en résultera pour moi et pour d’autres encore des malheurs si grands, que, plutôt que de m’abandonner, je vous supplierai de me percer le cœur avec l’arme que vous tenez dans la main et de jeter mon cadavre dans la Seine.

– C’est bien, madame, répondit Maurice, je prends tout sur moi.

Et laissant retomber les mains de la belle inconnue qu’il tenait dans les siennes:

– Citoyens, dit-il aux gardes nationaux, comme votre officier, comme patriote, comme Français, je vous ordonne de protéger cette femme. Et toi, Lorin, si toute cette canaille dit un mot, à la baïonnette!

– Apprêtez… armes! dit Lorin.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria l’inconnue en enveloppant sa tête de son capuchon et en s’appuyant contre une borne. Oh! mon Dieu! protégez-le.


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