– Eh bien! Parju, quand est-ce que vous me le coffrerez, ce mauvais gars-là?
– Je l’voudrais bien, monsieur le maire, mais c’est qu’il est malin comme le diable!
– Je le sais, mon ami, je le sais. Ah! si c’était lui qui fût garde champêtre et que vous fussiez Blaireau, il y a belle lurette qu’il vous aurait pincé, mon pauvre Parju!
– Ah! pour ça, monsieur le maire, riait bêtement Parju, y a des chances.
Aussi, quand, dès l’aurore, Parju s’en vint conter à M. Dubenoît sa mésaventure de la nuit, tentative d’arrestation d’un malfaiteur, résistance de ce dernier qui s’enfuit sans laisser d’adresse, mais en emportant la plaque sacrée, M. Dubenoît s’écria de suite:
– Ça, c’est du Blaireau tout pur. Coffrez-moi Blaireau.
– Mais, monsieur le maire…
– Il n’y a pas de monsieur le maire. Coffrez-moi Blaireau au plus vite.
Parju tenta encore quelques timides observations car, enfin, arrêter un homme contre lequel ne se dresse aucune charge sérieuse, c’était grave.
M. Dubenoît reprit avec autorité:
– Suis-je le maire de Montpaillard? Ou si c’est vous, Parju?
– C’est vous monsieur le maire, qui êtes le maire.
– Eh bien alors! Coffrez-moi illico Blaireau, vous dis-je. Il n’y a que Blaireau dans la commune capable d’avoir fait ce mauvais coup.
– Bien, monsieur le maire.
– Allez, Parju, faites votre devoir. Je me charge du reste.
Et M. Dubenoît se chargea, en effet, si bien du reste, comme il disait, que ce pauvre diable de Blaireau fut, avec une incroyable prestesse, mis en état d’arrestation et condamné à trois mois de prison.
Ajoutons que M. le maire fut puissamment aidé dans cette œuvre de haute justice par son ami M. Lerechigneux, président du tribunal de Montpaillard.
Quant à Parju, convenablement stylé par le maire, il affirma, sans sourciller reconnaître positivement son agresseur. (Parju, répétons-le, ne connaît que sa consigne.) Blaireau, oubliant un instant sa vieille philosophie, se démena comme un diable dans un bénitier offrit d’établir un alibi, protesta sauvagement de son innocence, rien n’y fit.
– Les protestations d’innocence et les alibis, déclara M. le président, voilà à quoi nous reconnaissons les coupables de profession. Blaireau, le tribunal vous condamne à trois mois de prison.
– N… de D… de bon D… de tonnerre de D…! c’est trop fort, à la fin!
– Votre mauvaise humeur, Blaireau, ne perdrait rien à s’exhaler en termes moins blasphématoires. Un mot encore, Blaireau…
– Quoi? Qu’est-ce qu’il y a?
– Le tribunal aurait été heureux de vous faire bénéficier de la loi Bérenger mais il a pensé que, de vous-même, et depuis trop longtemps, vous vous étiez appliqué plus de sursis que la magistrature tout entière de notre pays ne saurait vous en accorder
– Comment cela?… Qu’est-ce que vous voulez dire?
– Je m’explique: malgré tous vos méfaits antérieurs, c’est la première fois que vous vous trouvez en réel contact avec la justice…
– Des méfaits! j’ai commis des méfaits, moi! Jamais de la vie!
– Ce n’est pas à moi, mon cher Blaireau, qu’il faut venir raconter ces sornettes! À moi, qui plus de vingt fois vous ai acheté du gibier en temps prohibé. Gendarmes, emmenez le condamné.
Et, ricanant stupidement, les gendarmes emmenèrent Blaireau ivre de rage.
CHAPITRE VI
La maison d’arrêt de Montpaillard est ce qu’on peut appeler une bonne prison.
Son directeur M. Bluette, homme jeune encore, quoique ayant beaucoup vécu, en est à son premier poste dans cette carrière administrative et ses chefs sont unanimes à ne lui prédire aucun avancement, tant il apporte d’indulgence et d’humanité à l’exercice de ses fonctions.
M. Bluette a eu beau faire, il n’a pu s’entraîner à considérer ses détenus comme des gens dangereux ou même méprisables; pour lui, ce sont des malchanceux, des guignards, et il connaît, sur l’asphalte parisien, maintes fripouilles en liberté autrement redoutables que tous ses pauvres diables de pensionnaires.
Comme tous les gens vraiment bien élevés, M. Bluette est poli envers tout le monde, que ce soit le plus déjeté de ses prisonniers ou le plus général de ses inspecteurs, et même s’il y avait une petite différence, elle serait plutôt en faveur du détenu.
Aussi est-il adoré de tous ses administrés qui se mettraient en quatre pour lui faire plaisir.
Son grand système consiste à occuper ses hommes aux travaux qu’ils exerçaient avant leur incarcération.
(Nous ne parlons pas, naturellement, des besognes extra-légales qui leur valurent d’être condamnés par la justice de leur pays.)
À la prison de Montpaillard, les ex-menuisiers font de la menuiserie, les ex-cordonniers confectionnent ou réparent des chaussures.
Il y eut même pendant quelque temps un ancien concierge qui ouvrait la porte de la prison.
Indélicat, malheureusement, comme beaucoup d’anciens concierges, un soir cet individu ouvrit la porte pour son propre compte et négligea de rentrer bien que son temps de prison ne fût pas intégralement accompli.
Cette petite mésaventure n’exerça aucune influence sur M. Bluette qui continua l’application de son système, dans les limites du possible, bien entendu, car souvent surgissaient des difficultés. Exemple:
– Que faisiez-vous, mon ami, avant votre condamnation?
– J’étais aéronaute, monsieur je montais en ballon dans les foires.
– Diable! Je ne vois guère le moyen de vous utiliser dans cette branche, pour le moment.
– Le fait est que c’est un peu bas de plafond ici.
Et l’homme ajouta, non sans toupet:
– Dans votre jardin, là… vous ne pourriez pas?… Je me contenterais d’un ballon captif, bien entendu.
– J’y songerai.
Quand Blaireau fit son entrée, ou plutôt sa rentrée dans l’établissement de M. Bluette, ce dernier fut tout de suite conquis par la physionomie pittoresque de son nouveau pensionnaire, lequel était un homme maigre, osseux, avec de longs bras de singe, et, en somme, un air «très bon garçon» qu’il devait à des yeux souriants et à une grande bouche grillagée de dents magnifiques.