J'y consens. Il faut agir et ne point tarder.
Il faut voir. En effet, c'est ainsi qu'ils commencent, ceux qui aspirent à la tyrannie.
Nous perdons le temps; mais eux, ils foulent aux pieds le mérite de la prudence, et leur main ne dort pas!
Je ne sais quel conseil vous donner. Je pense, cependant, qu'il vaut mieux délibérer qu'agir.
Je le pense aussi, car il n'est pas en ma puissance de faire par des paroles que les morts se tiennent debout.
Mais faut-il sacrifier toute notre vie aux violateurs de cette maison, et seront-ils nos maîtres?
Cela n'est pas supportable. Mieux vaut mourir. La mort vaut mieux que la soumission à la tyrannie.
Mais quelle preuve avons-nous, autre que ce cri poussé, pour affirmer que le roi a été tué?
Certes, il ne faut affirmer qu'en toute certitude. Il y a loin de la certitude à la conjecture.
Je le pense aussi. Il faut attendre que nous sachions sûrement ce qui est arrivé à l'Atréide.
Je n'aurai point honte de démentir maintenant les nombreuses paroles que j'ai dites déjà, comme il convenait dans le moment. De quelle façon, en effet, préparer la perte de celui qu'on hait et qu'on semble aimer, afin de l'envelopper dans un filet dont il ne puisse se dégager? A la vérité, il y a bien longtemps que je songe à livrer ce combat. J'ai tardé, mais le temps est venu. Me voici debout, je l'ai frappé, la chose est faite. Certes, je n'ai point agi avant qu'il ne lui fût impossible de se défendre contre la mort et de l'éviter. Je l'ai enveloppé entièrement d'un filet sans issue, à prendre les poissons, d'un voile très-riche, mais mortel. Je l'ai frappé deux fois, et il a poussé deux cris, et ses forces ont été rompues, et, une fois tombé, je l'ai frappé d'un troisième coup, et le Hadès, gardien des morts, s'en est réjoui! C'est ainsi qu'en tombant il a rendu l'âme. En râlant, il m'a arrosée d'un jaillissement de sa blessure, noire et sanglante rosée, non moins douce pour moi que ne l'est la pluie de Zeus pour les moissons, quand l'épi ouvre l'enveloppe. Voici où en sont les choses, vieillards Argiens qui êtes ici. Réjouissez-vous, si cela vous plaît; moi, je m'applaudis. S'il était convenable de faire des libations sur un mort, certes, on pourrait en faire à bon droit sur celui-ci. Il avait empli le kratèr de cette maison de crimes exécrables, et lui-même y a bu à son retour.
J'admire l'insolence de ta langue. Tu te glorifies de parler ainsi de ton mari!
Tu me prends pour une femme irrésolue, et moi, je vous le dis, d'un cœur inébranlable, afin que vous le sachiez: louez ou blâmez-moi, peu importe. Celui-ci est Agamemnôn, mon mari. Il est mort, et c'est ma main qui l'a justement frappé. C'est un travail bien fait. La chose est dite.
Strophe I.
Ô femme! quel fruit maudit de la terre as-tu mangé? Quel poison sorti de la mer as-tu bu, pour amasser ainsi sur toi, avec ce crime horrible, les exécrations du peuple? Tu as renversé, tu as égorgé. En horreur aux citoyens, tu seras chassée d'ici!
Maintenant, tu veux que je sois chassée de la ville, bannie, chargée de la haine des citoyens et des exécrations du peuple, et tu ne reproches rien à cet homme, lui qui a sacrifié sa fille sans plus de souci d'elle que d'une des brebis qui abondaient dans les pâturages, elle, la très chère enfant que j'avais mise au monde, et afin d'apaiser les vents Thrèkiens! N'est-ce pas lui qu'il eût fallu chasser d'ici en expiation de cette impiété? Mais, sachant ce que j'ai fait, tu m'es un juge inexorable. Certes, je te le dis, tu peux menacer, je suis prête. Celui qui aura la victoire commandera. Si un dieu a résolu ta défaite, du moins la sagesse t'aura été enseignée.
Antistrophe I.
Tu parles, pleine d'audace et d'orgueil, et ton esprit furieux est ivre du sang du meurtre! Cette tache de sang sur ta face est non vengée; et il te faut, abandonnée des tiens, expier la mort par la mort.
Écoute ce serment sacré: Par la juste vengeance de ma fille, par Atè, par Érinnys, à qui j'ai offert le sang de cet homme, je ne crains pas d'entrer jamais dans la maison de la terreur, aussi longtemps qu'Aigisthos, qui m'aime, allumera le feu de mon foyer, comme il l'a fait déjà avant ce jour. En effet, il est le large bouclier qui abrite mon audace. Le voilà gisant celui qui m'a outragée, les délices des Khrysèis qui ont vécu devant Ilios! Et la voici, la captive, la divinatrice fatidique, qui partageait son lit, venue avec lui sur les nefs. Ils n'ont point été frappés injustement, et, quant à lui, tu sais comment. Pour elle, pareille au cygne, elle a chanté son chant de mort. Elle gît, la bien-aimée! Et les voluptés de mon lit en sont accrues!
Strophe II.
Hélas! puisse la destinée, sans de trop grandes douleurs, sans que nous languissions sur un lit, nous donner promptement le sommeil éternel et sans fin, puisqu'il est mort celui qui nous protégeait et nous aimait, lui qui, après avoir tant souffert pour la cause d'une femme, a perdu la vie par le crime d'une femme!
Strophe III.
Ah! insensée Héléna! Seule, que d'innombrables âmes tu as perdues sous Troia! Et voici que tu avais aussi marqué d'une ineffaçable tache de sang la vie glorieuse de celui qui vient de mourir! Dès lors, Éris, enfermée dans les demeures, a médité le meurtre de l'homme.
N'invoquez pas la Moire de la mort en vous lamentant sur ce que j'ai fait; ne vous irritez pas contre Héléna, parce qu'elle a détruit les guerriers. Elle n'a point perdu seule tant d'âmes Danaennes, ni causé seule ces intolérables douleurs.