– Je note votre réponse, madame. Il est bien établi que c’est Mme de Réal qui vous a parlé la première de cette bague, et qui vous a engagée à l’acheter.

– Cependant… mon amie est incapable…

– Pardon, pardon, Mme de Réal n’est que votre amie occasionnelle, et non votre amie intime, comme les journaux l’ont imprimé, ce qui a écarté d’elle les soupçons. Vous ne la connaissez que depuis cet hiver. Or, je me fais fort de vous démontrer que tout ce qu’elle vous a raconté sur elle, sur son passé, sur ses relations, est absolument faux, que Mme Blanche de Réal n’existait pas avant de vous avoir rencontrée, et qu’elle n’existe plus à l’heure actuelle.

– Et après ?

– Après ? fit Ganimard.

– Oui, toute cette histoire est très curieuse, mais en quoi s’applique-t-elle à notre cas ? Si tant est que Mme de Réal ait pris la bague, ce qui n’est nullement prouvé, pourquoi l’a-t-elle cachée dans la poudre dentifrice de M. Bleichen ? Que diable ! Quand on se donne la peine de dérober le diamant bleu, on le garde. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

– Moi, rien, mais Mme de Réal y répondra.

– Elle existe donc ?

– Elle existe… sans exister. En quelques mots, voici. Il y a trois jours, en lisant le journal que je lis chaque jour, j’ai vu en tête de la liste des étrangers, à Trouville, « Hôtel Beaurivage : Mme de Réal, etc. » Vous comprendrez que le soir même j’étais à Trouville, et que j’interrogeais le directeur de Beaurivage. D’après le signalement et d’après certains indices que je recueillis, cette Mme de Réal était bien la personne que je cherchais, mais elle avait quitté l’hôtel, laissant son adresse à Paris, 3, rue du Colisée. Avant-hier je me suis présenté à cette adresse, et j’appris qu’il n’y avait point de Mme de Réal, mais tout simplement une dame Réal, qui habitait le deuxième étage, qui exerçait le métier de courtière en diamants, et qui s’absentait souvent. La veille encore, elle arrivait de voyage. Hier j’ai sonné à sa porte, et j’ai offert à Mme Réal, sous un faux nom, mes services comme intermédiaire auprès de personnes en situation d’acheter des pierres de valeur. Aujourd’hui nous avons rendez-vous ici pour une première affaire.

– Comment ! Vous l’attendez ?

– À cinq heures et demie.

– Et vous êtes sûr ?…

– Que c’est la Mme de Réal du château de Crozon ? J’ai des preuves irréfutables. Mais… écoutez… le signal de Folenfant…

Un coup de sifflet avait retenti, Ganimard se leva vivement.

– Il n’y a pas de temps à perdre. Monsieur et madame de Crozon, veuillez passer dans la pièce voisine. Vous aussi, Monsieur d’Hautrec… et vous aussi Monsieur Gerbois… la porte restera ouverte et, au premier signal, je vous demanderai d’intervenir. Restez, chef, je vous en prie.

– Et s’il arrive d’autres personnes ? observa M. Dudouis.

– Non. Cet établissement est nouveau, et le patron qui est un de mes amis ne laissera monter âme qui vive… sauf la Dame blonde.

– La Dame blonde ! Que dites-vous ?

– La Dame blonde elle-même, chef, la complice et l’amie d’Arsène Lupin, la mystérieuse Dame blonde, contre qui j’ai des preuves certaines, mais contre qui je veux en outre, et devant vous, réunir les témoignages de tous ceux qu’elle a dépouillés.

Il se pencha par la fenêtre.

– Elle approche… elle entre… plus moyen qu’elle s’échappe : Folenfant et Dieuzy gardent la porte… la Dame blonde est à nous, chef !

Presque aussitôt, une femme s’arrêtait sur le seuil, grande, mince, le visage très pâle et les cheveux d’un or violent.

Une telle émotion suffoqua Ganimard qu’il demeura muet, incapable d’articuler le moindre mot. Elle était là, en face de lui, à sa disposition !

Quelle victoire sur Arsène Lupin ! Et quelle revanche ! Et en même temps cette victoire lui semblait remportée avec une telle aisance qu’il se demandait si la Dame blonde n’allait pas lui glisser entre les mains grâce à quelques-uns de ces miracles dont Lupin était coutumier.

Elle attendait cependant, surprise de ce silence, et regardait autour d’elle sans dissimuler son inquiétude.

– Elle va partir ! Elle va disparaître ! pensa Ganimard effaré.

Brusquement il s’interposa entre elle et la porte. Elle se retourna et voulut sortir.

– Non, non, fit-il, pourquoi vous éloigner ?

– Mais enfin, Monsieur, je ne comprends rien à ces manières. Laissez-moi…

– Il n’y a aucune raison pour que vous vous en alliez, madame, et beaucoup au contraire pour que vous restiez.

– Cependant…

– Inutile. Vous ne sortirez pas.

Toute pâle, elle s’affaissa sur une chaise et balbutia :

– Que voulez-vous ?…

Ganimard était vainqueur. Il tenait la Dame blonde. Maître de lui, il articula :

– Je vous présente cet ami, dont je vous ai parlé, et qui serait désireux d’acheter des bijoux… et surtout des diamants. Vous êtes-vous procuré celui que vous m’aviez promis ?

– Non… non… je ne sais pas… je ne me rappelle pas.

– Mais si… cherchez bien… une personne de votre connaissance devait vous remettre un diamant teinté… « Quelque chose comme le diamant bleu », ai-je dit en riant, et vous m’avez répondu : « Précisément, j’aurai peut-être votre affaire. » Vous souvenez-vous ?

Elle se taisait. Un petit réticule qu’elle tenait à la main tomba. Elle le ramassa vivement et le serra contre elle. Ses doigts tremblaient un peu.

– Allons, dit Ganimard, je vois que vous n’avez pas confiance en nous, madame de Réal, je vais vous donner le bon exemple, et vous montrer ce que je possède, moi.

Il tira de son portefeuille un papier qu’il déplia, et tendit une mèche de cheveux.

– Voici d’abord quelques cheveux d’Antoinette Bréhat, arrachés par le Baron et recueillis dans la main du mort. J’ai vu Mlle Gerbois : elle a reconnu positivement la couleur des cheveux de la Dame blonde… la même couleur que les vôtres d’ailleurs… exactement la même couleur.

Mme Réal l’observait d’un air stupide, et comme si vraiment elle ne saisissait pas le sens de ses paroles. Il continua :

– Et maintenant voici deux flacons d’odeur, sans étiquette, il est vrai, et vides, mais encore assez imprégnés de leur odeur, pour que Mlle Gerbois ait pu, ce matin même, y distinguer le parfum de cette Dame blonde qui fut sa compagne de voyage durant deux semaines. Or l’un de ces flacons provient de la chambre que Mme de Réal occupait au château de Crozon, et l’autre de la chambre que vous occupiez à l’hôtel Beaurivage.

– Que dites-vous !… La Dame blonde… le château de Crozon…

Sans répondre, l’inspecteur aligna sur la table quatre feuilles.

– Enfin ! dit-il, voici, sur ces quatre feuilles, un spécimen de l’écriture d’Antoinette Bréhat, un autre de la dame qui écrivit au Baron Herschmann lors de la vente du diamant bleu, un autre de Mme de Réal, lors de son séjour à Crozon, et le quatrième… de vous-même, madame, … c’est votre nom et votre adresse, donnés par vous, au portier de l’hôtel Beaurivage à Trouville. Or, comparez les quatre écritures. Elles sont identiques.

– Mais vous êtes fou, Monsieur ! Vous êtes fou ! Que signifie tout cela ?

– Cela signifie, madame, s’écria Ganimard dans un grand mouvement, que la Dame blonde, l’amie et la complice d’Arsène Lupin, n’est autre que vous.

Il poussa la porte du salon voisin, se rua sur M. Gerbois, le bouscula par les épaules, et l’attirant devant Mme Réal :

– Monsieur Gerbois, reconnaissez-vous la personne qui enleva votre fille, et que vous avez vue chez Maître Detinan ?

– Non.

Il y eut comme une commotion dont chacun reçut le choc. Ganimard chancela.

– Non ?… Est-ce possible… voyons, réfléchissez…

– C’est tout réfléchi… madame est blonde comme la Dame blonde… pâle comme elle… mais elle ne lui ressemble pas du tout.

– Je ne puis croire… une pareille erreur est inadmissible… Monsieur d’Hautrec, vous reconnaissez bien Antoinette Bréhat ?

– J’ai vu Antoinette Bréhat chez mon oncle… ce n’est pas elle.


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