« Allégés en outre de leurs valises, ils ont déposé une plainte contre Arsène Lupin. »
« Arsène Lupin qui, pour cette fois, s’est contenté de leur infliger une petite leçon, les supplie de ne pas le contraindre à des mesures plus graves. »
– Bah ! fit Herlock Sholmès, en froissant le journal, des gamineries ! C’est le seul reproche que j’adresse à Lupin… un peu trop d’enfantillages… la galerie compte trop pour lui… il y a du gavroche dans cet homme !
– Ainsi donc, Herlock, toujours le même calme ?
– Toujours le même calme répliqua Sholmès avec un accent où grondait la plus effroyable colère. À quoi bon m’irriter ? JE SUIS TELLEMENT SÛR D’AVOIR LE DERNIER MOT !
Chapitre 4 – Quelques lueurs dans les ténèbres
Si bien trempé que soit le caractère d’un homme – et Sholmès est de ces êtres sur qui la mauvaise fortune n’a guère de prises – il y a cependant des circonstances où le plus intrépide éprouve le besoin de rassembler ses forces avant d’affronter de nouveau les chances d’une bataille.
– Je me donne vacances aujourd’hui, dit-il.
– Et moi ?
– Vous, Wilson, vous achèterez des vêtements et du linge pour remonter notre garde-robe. Pendant ce temps je me repose.
– Reposez-vous, Sholmès. Je veille.
Wilson prononça ces deux mots avec toute l’importance d’une sentinelle placée aux avant-postes et par conséquent exposée aux pires dangers. Son torse se bomba. Ses muscles se tendirent. D’un œil aigu, il scruta l’espace de la petite chambre d’hôtel où ils avaient élu domicile.
– Veillez, Wilson. J’en profiterai pour préparer un plan de campagne mieux approprié à l’adversaire que nous avons à combattre. Voyez-vous, Wilson, nous nous sommes trompés sur Lupin. Il faut reprendre les choses à leur début.
– Avant même si possible. Mais avons-nous le temps ?
– Neuf jours, vieux camarade ! C’est cinq de trop.
Tout l’après-midi, l’Anglais le passa à fumer et à dormir. Ce n’est que le lendemain qu’il commença ses opérations.
– Wilson, je suis prêt, maintenant nous allons marcher.
– Marchons, s’écria Wilson, plein d’une ardeur martiale. J’avoue que pour ma part j’ai des fourmis dans les jambes.
Sholmès eut trois longues entrevues – avec Maître Detinan d’abord, dont il étudia l’appartement dans ses moindres détails ; avec Suzanne Gerbois à laquelle il avait télégraphié de venir et qu’il interrogea sur la Dame blonde ; avec la sœur Auguste enfin, retirée au couvent des Visitandines depuis l’assassinat du Baron d’Hautrec.
À chaque visite, Wilson attendait dehors, et chaque fois il demandait :
– Content ?
– Très content.
– J’étais certain, nous sommes sur la bonne voie. Marchons.
Ils marchèrent beaucoup. Ils visitèrent les deux immeubles qui encadrent l’hôtel de l’avenue Henri-Martin, puis s’en allèrent jusqu’à la rue Clapeyron, et tandis qu’il examinait la façade du numéro 25, Sholmès continuait :
– Il est évident qu’il existe des passages secrets entre toutes ces maisons… mais ce que je ne saisis pas…
Au fond de lui, et pour la première fois, Wilson douta de la toute-puissance de son génial collaborateur. Pourquoi parlait-il tant et agissait-il si peu ?
– Pourquoi ? s’écria Sholmès, répondant aux pensées intimes de Wilson, parce que, avec ce diable de Lupin, on travaille dans le vide, au hasard, et qu’au lieu d’extraire la vérité de faits précis, on doit la tirer de son propre cerveau, pour vérifier ensuite si elle s’adapte bien aux événements.
– Les passages secrets pourtant ?
– Et puis quoi ! Quand bien même je les connaîtrais, quand je connaîtrais celui qui a permis à Lupin d’entrer chez son avocat, ou celui qu’a suivi la Dame blonde après le meurtre du Baron d’Hautrec, en serais-je plus avancé ? Cela me donnerait-il des armes pour l’attaquer ?
– Attaquons toujours, s’exclama Wilson.
Il n’avait pas achevé ces mots qu’il recula, avec un cri. Quelque chose venait de tomber à leurs pieds, un sac à moitié rempli de sable, qui eût pu les blesser grièvement.
Sholmès leva la tête au-dessus d’eux, des ouvriers travaillaient sur un échafaudage accroché au balcon du cinquième étage.
– Eh bien ! Nous avons de la chance, s’écria-t-il, un pas de plus et nous recevions sur le crâne le sac d’un de ces maladroits. On croirait vraiment…
Il s’interrompit, puis bondit vers la maison, escalada les cinq étages, sonna, fit irruption dans l’appartement, au grand effroi du valet de chambre, et passa sur le balcon. Il n’y avait personne.
– Les ouvriers qui étaient là ?… dit-il au valet de chambre.
– Ils viennent de s’en aller.
– Par où ?
– Mais par l’escalier de service.
Sholmès se pencha. Il vit deux hommes qui sortaient de la maison, leurs bicyclettes à la main. Ils se mirent en selle et disparurent.
– Il y a longtemps qu’ils travaillent sur cet échafaudage ?
– Ceux-là ? depuis ce matin seulement. C’étaient des nouveaux.
Sholmès rejoignit Wilson.
Ils rentrèrent mélancoliquement et cette seconde journée se termina dans un mutisme morne.
Le lendemain, programme identique. Ils s’assirent sur le même banc de l’avenue Henri-Martin, et ce fut, au grand désespoir de Wilson qui ne s’amusait nullement, une interminable station vis-à-vis des trois immeubles.
– Qu’espérez-vous, Sholmès ? Que Lupin sorte de ces maisons ?
– Non.
– Que la Dame blonde apparaisse ?
– Non.
– Alors ?
– Alors j’espère qu’un petit fait se produira, un tout petit fait quelconque, qui me servira de point de départ.
– Et s’il ne se produit pas ?
– En ce cas, il se produira quelque chose en moi, une étincelle qui mettra le feu aux poudres.
Un seul incident rompit la monotonie de cette matinée, mais de façon plutôt désagréable.
Le cheval d’un Monsieur, qui suivait l’allée cavalière située entre les deux chaussées de l’avenue, fit un écart et vint heurter le banc où ils étaient assis, en sorte que sa croupe effleura l’épaule de Sholmès.
– Eh ! Eh ! ricana celui-ci, un peu plus j’avais l’épaule fracassée !
Le Monsieur se débattait avec son cheval. L’Anglais tira son revolver et visa. Mais Wilson lui saisit le bras vivement.
– Vous êtes fou, Herlock ! Voyons… quoi … vous allez tuer ce gentleman !
– Lâchez-moi donc, Wilson… lâchez-moi.
Une lutte s’engagea, pendant laquelle le Monsieur maîtrisa sa monture et piqua des deux.
– Et maintenant tirez dessus, s’exclama Wilson, triomphant, lorsque le cavalier fut à quelque distance.
– Mais, triple imbécile, vous ne comprenez donc pas que c’était un complice d’Arsène Lupin ?
Sholmès tremblait de colère. Wilson, piteux, balbutia :
– Que dites-vous ? Ce gentleman ?…
– Complice de Lupin, comme les ouvriers qui nous ont lancé le sac sur la tête.
– Est-ce croyable ?
– Croyable ou non, il y avait là un moyen d’acquérir une preuve.
– En tuant ce gentleman ?
– En abattant son cheval, tout simplement. Sans vous, je tenais un des complices de Lupin. Comprenez-vous votre sottise ?
L’après-midi fut morose. Ils ne s’adressèrent pas la parole. À cinq heures, comme ils faisaient les cent pas dans la rue de Clapeyron, tout en ayant soin de se tenir éloignés des maisons, trois jeunes ouvriers qui chantaient et se tenaient par le bras les heurtèrent et voulurent continuer leur chemin sans se désunir. Sholmès, qui était de mauvaise humeur, s’y opposa. Il y eut une courte bousculade. Sholmès se mit en posture de boxeur, lança un coup de poing dans une poitrine, un coup de poing sur un visage et démolit deux des trois jeunes gens qui, sans insister davantage, s’éloignèrent ainsi que leur compagnon.
– Ah ! s’écria-t-il, ça me fait du bien… J’avais justement les nerfs tendus… excellente besogne…