– Monsieur Ganimard, vous avez trop ri pour m’en vouloir beaucoup du petit dérangement que je vous ai causé…

– Oh je ne vous en veux nullement.

– N’est-ce pas ? Mais les meilleures plaisanteries n’ont qu’un temps, et je suis d’avis qu’il faut en finir.

– Je le partage.

– Nous voici au septième jour. Dans trois jours il est indispensable que je sois à Londres.

– Oh ! Oh !

– J’y serai, Monsieur, et je vous prie de vous tenir prêt dans la nuit de mardi à mercredi.

– Pour une expédition du même genre ? fit Ganimard, gouailleur.

– Oui, Monsieur, du même genre.

– Et qui se terminera ?

– Par la capture de Lupin.

– Vous croyez ?

– Je vous le jure sur l’honneur, Monsieur.

Sholmès salua et s’en fut prendre un peu de repos dans l’hôtel le plus proche ; après quoi, ragaillardi, confiant en lui-même, il retourna rue Chalgrin, glissa deux louis dans la main de la concierge, s’assura que les frères Leroux étaient partis, apprit que la maison appartenait à un M. Harmingeat, et, muni d’une bougie, descendit à la cave par la petite porte auprès de laquelle il avait ramassé le grenat.

Au bas de l’escalier il en ramassa un autre de forme identique.

– Je ne me trompais pas, pensa-t-il, c’est par là qu’on communique… voyons, ma clef passe-partout ouvre-t-elle le caveau réservé au locataire du rez-de-chaussée ? Oui.., parfait… examinons ces casiers de vin. Oh ! Oh ! Voici des places où la poussière a été enlevée… et, par terre, des empreintes de pas…

Un bruit léger lui fit prêter l’oreille. Rapidement il poussa la porte, souffla sa bougie et se dissimula derrière une pile de caisses vides. Après quelques secondes, il nota qu’un des casiers de fer pivotait doucement, entraînant avec lui tout le morceau de muraille auquel il était accroché. La lueur d’une lanterne fut projetée. Un bras apparut. Un homme entra.

Il était courbé en deux comme quelqu’un qui cherche. Du bout des doigts il remuait la poussière, et plusieurs fois il se releva et jeta quelque chose dans une boîte en carton qu’il tenait de la main gauche. Ensuite il effaça la trace de ses pas, de même que les empreintes laissées par Lupin et la Dame blonde, et il se rapprocha du casier.

Il eut un cri rauque et s’effondra. Sholmès avait bondi sur lui. Ce fut l’affaire d’une minute, et, de façon la plus simple du monde, l’homme se trouva étendu sur le sol, les chevilles attachées et les poignets ficelés.

L’Anglais se pencha.

– Combien veux-tu pour parler ?… pour dire ce que tu sais ?

L’homme répondit par un sourire d’une telle ironie que Sholmès comprit la vanité de sa question.

Il se contenta d’explorer les poches de son captif, mais ses investigations ne lui valurent qu’un trousseau de clefs, un mouchoir, et la petite boîte en carton dont l’individu s’était servi, et qui contenait une douzaine de grenats pareils à ceux que Sholmès avait recueillis. Maigre butin !

En outre, qu’allait-il faire de cet homme ? Attendre que ses amis vinssent à son secours et les livrer tous à la police ? À quoi bon ? Quel avantage en tirerait-il contre Lupin ?

Il hésitait, quand l’examen de la boîte le décida. Elle portait cette adresse : « Léonard, bijoutier, rue de la Paix. »

Il résolut tout simplement d’abandonner l’homme. Il repoussa le casier, ferma la cave, et sortit de la maison. D’un bureau de poste, il avertit M. Destange, par petit bleu, qu’il ne pourrait venir que le lendemain. Puis il se rendit chez le bijoutier, auquel il remit les grenats.

– Madame m’envoie pour ces pierres. Elles se sont détachées d’un bijou qu’elle a acheté ici.

Sholmès tombait juste. Le marchand répondit :

– En effet… Cette dame m’a téléphoné. Elle passera tantôt elle-même.

Ce n’est qu’à cinq heures que Sholmès, posté sur le trottoir, aperçut une dame enveloppée d’un voile épais, et dont la tournure lui sembla suspecte. À travers la vitre il put la voir qui déposait sur le comptoir un bijou ancien orné de grenats.

Elle s’en alla presque aussitôt, fit des courses à pied, monta du côté de Clichy, et tourna par des rues que l’Anglais ne connaissait pas. À la nuit tombante, il pénétrait derrière elle, et sans que la concierge l’avisât, dans une maison à cinq étages, à deux corps de bâtiment, et par conséquent à innombrables locataires. Au deuxième étage elle s’arrêta et entra. Deux minutes plus tard, l’Anglais tentait la chance, et, les unes après les autres, essayait avec précaution les clefs du trousseau dont il s’était emparé. La quatrième fit jouer la serrure.

À travers l’ombre qui les emplissait, il aperçut des pièces absolument vides comme celles d’un appartement inhabité, et dont toutes les portes étaient ouvertes. Mais au bout d’un couloir, la lueur d’une lampe filtra, et s’étant approché sur la pointe des pieds, il vit, par la glace sans tain qui séparait le salon d’une chambre contiguë, la dame voilée qui ôtait son vêtement et son chapeau, les déposait sur l’unique siège de cette chambre et s’enveloppait d’un peignoir de velours.

Et il la vit aussi s’avancer vers la cheminée et pousser le bouton d’une sonnerie électrique. Et la moitié du panneau qui s’étendait à droite de la cheminée s’ébranla, glissa selon le plan même du mur, et s’insinua dans l’épaisseur du panneau voisin.

Dès que l’entrebâillement fut assez large, la dame passa… et disparut, emportant la lampe.

Le système était simple. Sholmès l’employa.

Il marcha dans l’obscurité, à tâtons, mais tout de suite sa figure heurta des choses molles. À la flamme d’une allumette, il constata qu’il se trouvait dans un petit réduit encombré de robes et de vêtements qui étaient suspendus à des tringles. Il se fraya un passage et s’arrêta devant l’embrasure d’une porte close par une tapisserie ou du moins par l’envers d’une tapisserie. Et son allumette s’étant consumée, il aperçut de la lumière qui perçait la trame lâche et usée de la vieille étoffe.

Alors il regarda.

La Dame blonde était là, sous ses yeux, à portée de sa main.

Elle éteignit la lampe et alluma l’électricité. Pour la première fois Sholmès put voir son visage en pleine lumière. Il tressaillit. La femme qu’il avait fini par atteindre après tant de détours et de manœuvres n’était autre que Clotilde Destange.

Clotilde Destange, la meurtrière du Baron d’Hautrec et la voleuse du diamant bleu ! Clotilde Destange, la mystérieuse amie d’Arsène Lupin !

La Dame blonde enfin !

« Eh oui, parbleu, pensa-t-il, je ne suis qu’un âne bâté. Parce que l’amie de Lupin est blonde et Clotilde brune, je n’ai pas songé à rapprocher les deux femmes l’une de l’autre ! Comme si la Dame blonde pouvait rester blonde après le meurtre du Baron et le vol du diamant ! »

Sholmès voyait une partie de la pièce, élégant boudoir de femme, orné de tentures claires et de bibelots précieux. Une méridienne d’acajou s’allongeait sur une marche basse. Clotilde s’y était assise, et demeurait immobile la tête entre ses mains. Et, au bout d’un instant, il s’aperçut qu’elle pleurait. De grosses larmes coulaient sur ses joues pâles, glissaient vers sa bouche, tombaient goutte à goutte sur le velours de son corsage. Et d’autres larmes les suivaient indéfiniment, comme surgies d’une source inépuisable. Et c’était le spectacle le plus triste qui fût que ce désespoir morne et résigné qui s’exprimait par la lente coulée des larmes.

Mais une porte s’ouvrit derrière elle. Arsène Lupin entra.

Ils se regardèrent longtemps, sans dire une parole, puis il s’agenouilla près d’elle, lui appuya la tête sur sa poitrine, l’entoura de ses bras, et il y avait dans le geste dont il enlaçait la jeune fille une tendresse profonde et beaucoup de pitié. Ils ne bougeaient pas. Un doux silence les unit, et les larmes coulaient moins abondantes.

– J’aurais tant voulu vous rendre heureuse ! murmura-t-il.

– Je suis heureuse.

– Non, puisque vous pleurez… vos larmes me désolent, Clotilde.


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