– C’est eux sans doute que nous avons entendus, fit Wilson. Peut-être sont-ils en train de surveiller la grille.

Un second coup de sifflet, plus discret encore.

– Je ne comprends pas, je ne comprends pas, dit Sholmès, agacé.

– Moi non plus, confessa Wilson.

Sholmès tourna la clef de la porte, ôta le verrou et poussa doucement le battant.

Un troisième coup de sifflet, un peu plus fort celui-ci, et modulé d’autre sorte. Et au-dessus de leur tête, le bruit s’accentua, se précipita.

– On croirait plutôt que c’est sur la terrasse du boudoir, souffla Sholmès.

Il passa la tête dans l’entrebâillement, mais aussitôt recula en étouffant un juron. À son tour, Wilson regarda. Tout près d’eux, une échelle se dressait contre le mur, appuyée au balcon de la terrasse.

– Eh parbleu, fit Sholmès, il y a quelqu’un dans le boudoir ! Voilà ce qu’on entendait. Vite, enlevons l’échelle.

Mais à cet instant, une forme glissa du haut en bas, l’échelle fut enlevée, et l’homme qui la portait courut en toute hâte vers la grille, à l’endroit où l’attendaient ses complices. D’un bond, Sholmès et Wilson s’étaient élancés. Ils rejoignirent l’homme alors qu’il posait l’échelle contre la grille. De l’autre côté, deux coups de feu jaillirent.

– Blessé ? cria Sholmès.

– Non, répondit Wilson.

Il saisit l’homme par le corps et tenta de l’immobiliser. Mais l’homme se retourna, l’empoigna d’une main, et de l’autre lui plongea son couteau en pleine poitrine. Wilson exhala un soupir, vacilla et tomba.

– Damnation ! hurla Sholmès, si on me l’a tué, je tue.

Il étendit Wilson sur la pelouse et se rua sur l’échelle. Trop tard… l’homme l’avait escaladée et, reçu par ses complices, s’enfuyait parmi les massifs.

– Wilson, Wilson, ce n’est pas sérieux, hein ? Une simple égratignure.

Les portes de l’hôtel s’ouvrirent brusquement. Le premier, M. d’Imblevalle survint, puis des domestiques, munis de bougies.

– Quoi ! Qu’y a-t-il, s’écria le Baron, M. Wilson est blessé ?

– Rien, une simple égratignure, répéta Sholmès, cherchant à s’illusionner.

Le sang coulait en abondance, et la face était livide.

Le docteur, vingt minutes après, constatait que la pointe du couteau s’était arrêtée à quatre millimètres du cœur.

– Quatre millimètres du cœur ! Ce Wilson a toujours eu de la chance, conclut Sholmès d’un ton d’envie.

– De la chance… de la chance… grommela le docteur.

– Dame ! Avec sa robuste constitution, il en sera quitte…

– Pour six semaines de lit et deux mois de convalescence.

– Pas davantage ?

– Non, à moins de complications.

– Pourquoi diable voulez-vous qu’il y ait des complications ?

Pleinement rassuré, Sholmès rejoignit le Baron au boudoir. Cette fois le mystérieux visiteur n’y avait pas mis la même discrétion. Sans vergogne, il avait fait main basse sur la tabatière enrichie de diamants, sur le collier d’opales et, d’une façon générale, sur tout ce qui pouvait prendre place dans les poches d’un honnête cambrioleur.

La fenêtre était encore ouverte, un des carreaux avait été proprement découpé, et, au petit, jour, une enquête sommaire, en établissant que l’échelle provenait de l’hôtel en construction, indiqua la voie que l’on avait suivie.

– Bref, dit M. d’Imblevalle avec une certaine ironie, c’est la répétition exacte du vol de la lampe juive.

– Oui, si l’on accepte la première version adoptée par la justice.

– Vous ne l’adoptez donc pas encore ? Ce second vol n’ébranle pas votre opinion sur le premier ?

– Il la confirme, Monsieur.

– Est-ce croyable ! Vous avez la preuve irréfutable que l’agression de cette nuit a été commise par quelqu’un du dehors, et vous persistez à soutenir que la lampe juive a été soustraite par quelqu’un de notre entourage ?

– Par quelqu’un qui habite cet hôtel.

– Alors comment expliquez-vous ?…

– Je n’explique rien, Monsieur, je constate deux faits qui n’ont l’un avec l’autre que des rapports d’apparence, je les juge isolément, et je cherche le lien qui les unit.

Sa conviction semblait si profonde, ses façons d’agir fondées sur des motifs si puissants, que le Baron s’inclina :

– Soit. Nous allons prévenir le commissaire…

– À aucun prix ! s’écria vivement l’Anglais, à aucun prix ! J’entends ne m’adresser à ces gens que quand j’ai besoin d’eux.

– Cependant, les coups de feu ?…

– Il n’importe !

– Votre ami ? …

– Mon ami n’est que blessé… obtenez que le docteur se taise. Moi, je réponds de tout du côté de la justice.

Deux jours s’écoulèrent, vides d’incidents, mais où Sholmès poursuivit sa besogne avec un soin minutieux et un amour-propre qu’exaspérait le souvenir de cette audacieuse agression, exécutée sous ses yeux, en dépit de sa présence, et sans qu’il en pût empêcher le succès. Infatigable, il fouilla l’hôtel et le jardin, s’entretint avec les domestiques, et fit de longues stations à la cuisine et à l’écurie. Et bien qu’il ne recueillît aucun indice qui l’éclairât, il ne perdait pas courage.

– Je trouverai, pensait-il, et c’est ici que je trouverai. Il ne s’agit pas, comme dans l’affaire de la Dame blonde, de marcher à l’aventure, et d’atteindre, par des chemins que j’ignorais, un but que je ne connaissais pas. Cette fois, je suis sur le terrain même de la bataille. L’ennemi n’est plus seulement l’insaisissable et invisible Lupin, c’est le complice en chair et en os qui vit et qui se meut dans les bornes de cet hôtel. Le moindre petit détail, et je suis fixé.

Ce détail, dont il devait tirer de telles conséquences, et avec une habileté si prodigieuse que l’on peut considérer l’affaire de la lampe juive comme une de celles où éclate le plus victorieusement son génie de policier, ce détail, ce fut le hasard qui le lui fournit.

L’après-midi du troisième jour, comme il entrait dans une pièce située au-dessus du boudoir, et qui servait de salle d’études aux enfants, il trouva Henriette, la plus petite des sœurs. Elle cherchait ses ciseaux.

– Tu sais, dit-elle à Sholmès, j’en fais aussi des papiers comme celui que t’as reçu l’autre soir.

– L’autre soir ?

– Oui, à la fin du dîner. Tu as reçu un papier avec des bandes dessus… tu sais, un télégramme… eh bien, j’en fais aussi, moi.

Elle sortit. Pour tout autre, ces paroles n’eussent rien signifié que l’insignifiante réflexion d’un enfant, et Sholmès, lui-même, les écouta d’une oreille distraite et continua son inspection. Mais tout à coup il se mit à courir après l’enfant dont la dernière phrase le frappait subitement. Il la rattrapa au haut de l’escalier et lui dit :

– Alors, toi aussi, tu colles des bandes sur papier ?

Henriette, très fière, déclara :

– Mais oui, je découpe des mots et je les colle.

– Et qui t’a montré ce petit jeu ?

– Mademoiselle… ma gouvernante… je lui en ai vu faire autant. Elle prend des mots sur des journaux et les colle…

– Et qu’est-ce qu’elle en fait ?

– Des télégrammes, des lettres qu’elle envoie.

Herlock Sholmès rentra dans la salle d’études, singulièrement intrigué par cette confidence et s’efforçant d’en extraire les déductions qu’elle comportait.

Des journaux, il y en avait un paquet sur la cheminée. Il les déplia, et vit en effet des groupes de mots ou des lignes qui manquaient, régulièrement et proprement enlevés. Mais il lui suffit de lire les mots qui précédaient ou qui suivaient, pour constater que les mots qui manquaient avaient été découpés au hasard des ciseaux, par Henriette évidemment. Il se pouvait que, dans la liasse des journaux, il y en eût un que Mademoiselle eût découpé elle-même. Mais comment s’en assurer ?

Machinalement, Herlock feuilleta les livres de classe empilés sur la table, puis d’autres qui reposaient sur les rayons d’un placard. Et soudain il eut un cri de joie. Dans un coin de ce placard, sous de vieux cahiers amoncelés, il avait trouvé un album pour enfants, un alphabet orné d’images, et, à l’une des pages de cet album, un vide lui était apparu.


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