— Elle était fermée et on l’a retrouvée fermée, déclara nettement M. de Dreux.

— Pour cela, continua Floriani sans relever l’interruption, il n’a eu besoin que d’établir un pont, planche ou échelle, entre le balcon de la cuisine et le rebord de la fenêtre, et dès que l’écrin…

— Mais je vous répète que la fenêtre était fermée ! s’écria le comte avec impatience.

Cette fois Floriani dut répondre. Il le fit avec la plus grande tranquillité, en homme qu’une objection aussi insignifiante ne trouble point.

— Je veux croire qu’elle l’était, mais n’y a-t-il pas un vasistas ?

— Comment le savez-vous ?

— D’abord c’est presque une règle dans les hôtels de cette époque. Et ensuite il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque, autrement, le vol est inexplicable.

— En effet, il y en a un, mais il était clos, comme la fenêtre. On n’y a même pas fait attention.

— C’est un tort. Car si on y avait fait attention, on aurait vu évidemment qu’il avait été ouvert.

— Et comment ?

— Je suppose que, pareil à tous les autres, il s’ouvre au moyen d’un fil de fer tressé, muni d’un anneau à son extrémité inférieure ?

— Oui.

— Et cet anneau pendait entre la croisée et le bahut ?

— Oui, mais je ne comprends pas…

— Voici. Par une fente pratiquée dans le carreau, on a pu, à l’aide d’un instrument quelconque, mettons une baguette de fer pourvue d’un crochet, agripper l’anneau, peser et ouvrir.

Le comte ricana :

— Parfait ! parfait ! vous arrangez tout cela avec une aisance ! seulement vous oubliez une chose, cher Monsieur, c’est qu’il n’y a pas eu de fente pratiquée dans le carreau.

— Il y a eu une fente.

— Allons donc ! on l’aurait vue.

— Pour voir il faut regarder, et l’on n’a pas regardé. La fente existe, il est matériellement impossible qu’elle n’existe pas, le long du carreau, contre le mastic… dans le sens vertical, bien entendu…

Le comte se leva. Il paraissait très surexcité. Il arpenta deux ou trois fois le salon d’un pas nerveux, et, s’approchant de Floriani :

— Rien n’a changé là-haut depuis ce jour… personne n’a mis les pieds dans ce cabinet.

— En ce cas, Monsieur, il vous est loisible de vous assurer que mon explication concorde avec la réalité.

— Elle ne concorde avec aucun des faits que la justice a constatés. Vous n’avez rien vu, vous ne savez rien, et vous allez à l’encontre de tout ce que nous avons vu et de tout ce que nous savons.

Floriani ne sembla point remarquer l’irritation du comte, et il dit en souriant :

— Mon Dieu, Monsieur, je tâche de voir clair, voilà tout. Si je me trompe, prouvez-moi mon erreur.

— Sans plus tarder… J’avoue qu’à la longue votre assurance…

M. de Dreux mâchonna encore quelques paroles, puis, soudain, se dirigea vers la porte et sortit.

Pas un mot ne fut prononcé. On attendait anxieusement, comme si, vraiment, une parcelle de la vérité allait apparaître. Et le silence avait une gravité extrême.

Enfin, le comte apparut dans l’embrasure de la porte. Il était pâle et singulièrement agité. Il dit à ses amis d’une voix tremblante :

— Je vous demande pardon… les révélations de Monsieur sont si imprévues… je n’aurais jamais pensé…

Sa femme l’interrogea avidement :

— Parle… je t’en supplie… qu’y a-t-il ?

Il balbutia :

— La fente existe… à l’endroit même indiqué… le long du carreau…

Il saisit brusquement le bras du chevalier et lui dit d’un ton impérieux :

— Et maintenant, Monsieur, poursuivez… je reconnais que vous avez raison jusqu’ici, mais maintenant… Ce n’est pas fini… répondez… que s’est-il passé selon vous ?

Floriani se dégagea doucement et après un instant prononça :

— Eh bien, selon moi, voilà ce qui s’est passé. L’individu, sachant que Mme de Dreux allait au bal avec le collier, a jeté sa passerelle pendant votre absence. Au travers de la fenêtre il vous a surveillé et vous a vu cacher le bijou. Dès que vous êtes parti, il a coupé la vitre et a tiré l’anneau.

— Soit, mais la distance est trop grande pour qu’il ait pu, par le vasistas, atteindre la poignée de la fenêtre.

— S’il n’a pu l’ouvrir, c’est qu’il est entré par le vasistas lui-même.

— Impossible ; il n’y a pas d’homme assez mince pour s’introduire par là.

— Alors ce n’est pas un homme.

— Comment !

— Certes. Si le passage est trop étroit pour un homme, il faut bien que ce soit un enfant.

— Un enfant !

— Ne m’avez-vous pas dit que votre amie Henriette avait un fils !

— En effet… un fils qui s’appelait Raoul.

— Il est infiniment probable que c’est ce Raoul qui a commis le vol.

— Quelle preuve en avez-vous ?

— Quelle preuve !… il n’en manque pas de preuves… Ainsi par exemple…

Il se tut et réfléchit quelques secondes. Puis il reprit :

— Ainsi, par exemple, cette passerelle, il n’est pas à croire que l’enfant l’ait apportée du dehors et remportée sans que l’on s’en soit aperçu. Il a dû employer ce qui était à sa disposition. Dans le réduit où Henriette faisait sa cuisine, il y avait, n’est-ce pas, des tablettes accrochées au mur où l’on posait les casseroles ?

— Deux tablettes, autant que je m’en souvienne.

— Il faudrait s’assurer si ces planches sont réellement fixées aux tasseaux de bois qui les supportent. Dans le cas contraire nous serions autorisés à penser que l’enfant les a déclouées, puis attachées l’une à l’autre. Peut-être aussi, puisqu’il y avait un fourneau, trouverait-on le crochet à fourneau dont il a dû se servir pour ouvrir le vasistas.

Sans mot dire le comte sortit, et cette fois les assistants ne ressentirent même point la petite anxiété de l’inconnu qu’ils avaient éprouvée la première fois. Ils savaient, ils savaient de façon absolue, que les prévisions de Floriani étaient justes. Il émanait de cet homme une impression de certitude si rigoureuse qu’on l’écoutait non point comme s’il déduisait des faits les uns des autres, mais comme s’il racontait des événements dont il était facile de vérifier au fur et à mesure l’authenticité.

Et personne ne s’étonna lorsqu’à son retour le comte déclara :

— C’est bien l’enfant, c’est bien lui, tout l’atteste.

— Vous avez vu les planches… le crochet ?

— J’ai vu… les planches ont été déclouées… le crochet est encore là.

Mais Mme de Dreux-Soubise s’écria :

— C’est lui… Vous voulez dire plutôt que c’est sa mère. Henriette est la seule coupable. Elle aura obligé son fils…

— Non, affirma le chevalier, la mère n’y est pour rien.

— Allons donc ! ils habitaient la même chambre, l’enfant n’aurait pu agir à l’insu d’Henriette.

— Ils habitaient la même chambre, mais tout s’est passé dans la pièce voisine, la nuit, tandis que la mère dormait.

— Et le collier ? fit le comte, on l’aurait trouvé dans les affaires de l’enfant.

— Pardon ! il sortait, lui. Le matin même où vous l’avez surpris devant sa table de travail, il venait de l’école, et peut-être la justice, au lieu d’épuiser ses ressources contre la mère innocente, aurait-elle été mieux inspirée en perquisitionnant là-bas, dans le pupitre de l’enfant, parmi ses livres de classe.

— Soit, mais ces deux mille francs qu’Henriette recevait chaque année, n’est-ce pas le meilleur signe de sa complicité ?

— Complice, vous eût-elle remerciés de cet argent ? Et puis, ne la surveillait-on pas ? Tandis que l’enfant est libre, lui, il a toute facilité pour courir jusqu’à la ville voisine, pour s’aboucher avec un revendeur quelconque et lui céder à vil prix un diamant, deux diamants, selon le cas… sous la seule condition que l’envoi d’argent sera effectué de Paris, moyennant quoi on recommencera l’année suivante.

Un malaise indéfinissable oppressait les Dreux-Soubise et leurs invités. Vraiment il y avait dans le ton, dans l’attitude de Floriani, autre chose que cette certitude qui, dès le début, avait si fort agacé le comte. Il y avait comme de l’ironie, et une ironie qui semblait plutôt hostile que sympathique et amicale ainsi qu’il eût convenu.


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