Le comte affecta de rire.
— Tout cela est d’un ingénieux qui me ravit, mes compliments. Quelle imagination brillante !
— Mais non, mais non, s’écria Floriani avec plus de gravité, je n’imagine pas, j’évoque des circonstances qui furent inévitablement telles que je les montre.
— Qu’en savez-vous ?
— Ce que vous-même m’en avez dit. Je me représente la vie de la mère et de l’enfant, là-bas, au fond de la province, la mère qui tombe malade, les ruses et les inventions du petit pour vendre les pierreries et sauver sa mère ou tout au moins adoucir ses derniers moments. Le mal l’emporte. Elle meurt. Des années passent. L’enfant grandit, devient un homme. Et alors — et pour cette fois, je veux bien admettre que mon imagination se donne libre cours — supposons que cet homme éprouve le besoin de revenir dans les lieux où il a vécu son enfance, qu’il les revoie, qu’il retrouve ceux qui ont soupçonné, accusé sa mère… pensez-vous à l’intérêt poignant d’une telle entrevue dans la vieille maison où se sont déroulées les péripéties du drame ?
Ses paroles retentirent quelques secondes dans le silence inquiet, et sur le visage de M. et Mme de Dreux, se lisait un effort éperdu pour comprendre, en même temps que la peur, que l’angoisse de comprendre. Le comte murmura :
— Qui êtes-vous donc, Monsieur ?
— Moi ? mais le chevalier Floriani que vous avez rencontré à Palerme, et que vous avez été assez bon de convier chez vous déjà plusieurs fois.
— Alors que signifie cette histoire ?
— Oh ! mais rien du tout ! C’est un simple jeu de ma part. J’essaie de me figurer la joie que le fils d’Henriette, s’il existe encore, aurait à vous dire qu’il fut le seul coupable, et qu’il le fut parce que sa mère était malheureuse, sur le point de perdre la place de… domestique dont elle vivait, et parce que l’enfant souffrait de voir sa mère malheureuse.
Il s’exprimait avec une émotion contenue, à demi levé et penché vers la comtesse. Aucun doute ne pouvait subsister. Le chevalier Floriani n’était autre que le fils d’Henriette. Tout, dans son attitude, dans ses paroles, le proclamait. D’ailleurs n’était-ce point son intention évidente, sa volonté même d’être reconnu comme tel ?
Le comte hésita. Quelle conduite allait-il tenir envers l’audacieux personnage ? Sonner ? Provoquer un scandale ? Démasquer celui qui l’avait dépouillé jadis ? Mais il y avait si longtemps ! Et qui voudrait admettre cette histoire absurde d’enfant coupable ? Non, il valait mieux accepter la situation, en affectant de n’en point saisir le véritable sens. Et le comte, s’approchant de Floriani, s’écria avec enjouement :
— Très amusant, très curieux, votre roman. Je vous jure qu’il me passionne. Mais, suivant vous, qu’est-il devenu ce bon jeune homme, ce modèle des fils ? J’espère qu’il ne s’est pas arrêté en si beau chemin.
— Oh ! certes, non.
— N’est-ce pas ! Après un tel début ! Prendre le Collier de la Reine à six ans, le célèbre collier que convoitait Marie-Antoinette !
— Et le prendre, observa Floriani, se prêtant au jeu du comte, le prendre sans qu’il lui en coûte le moindre désagrément, sans que personne ait l’idée d’examiner l’état des carreaux ou s’avise que le rebord de la fenêtre est trop propre, ce rebord qu’il avait essuyé pour effacer les traces de son passage sur l’épaisse poussière… Avouez qu’il y avait de quoi tourner la tête d’un gamin de son âge. C’est donc si facile ? Il n’y a donc qu’à vouloir et à tendre la main ?… Ma foi, il voulut…
— Et il tendit la main.
— Les deux mains, reprit le chevalier en riant.
Il y eut un frisson. Quel mystère cachait la vie de ce soi-disant Floriani ? Combien extraordinaire devait être l’existence de cet aventurier, voleur génial à six ans, et qui, aujourd’hui, par un raffinement de dilettante en quête d’émotion, ou tout au plus pour satisfaire un sentiment de rancune, venait braver sa victime chez elle, audacieusement, follement, et cependant avec toute la correction d’un galant homme en visite !
Il se leva et s’approcha de la comtesse pour prendre congé. Elle réprima un mouvement de recul. Il sourit.
— Oh ! Madame, vous avez peur ! aurais-je donc poussé trop loin ma petite comédie de sorcier de salon !
Elle se domina et répondit avec la même désinvolture un peu railleuse :
— Nullement, Monsieur. La légende de ce bon fils m’a au contraire fort intéressée, et je suis heureuse que mon collier ait été l’occasion d’une destinée aussi brillante. Mais ne croyez-vous pas que le fils de cette… femme, de cette Henriette, obéissait surtout à sa vocation ?
Il tressaillit, sentant la pointe, et répliqua :
— J’en suis persuadé, et il fallait même que cette vocation fût sérieuse pour que l’enfant ne se rebutât point.
— Et comment cela ?
— Mais oui, vous le savez, la plupart des pierres étaient fausses. Il n’y avait de vrais que les quelques diamants rachetés au bijoutier anglais, les autres ayant été vendus un à un selon les dures nécessités de la vie.
— C’était toujours le Collier de la Reine, Monsieur, dit la comtesse avec hauteur, et voilà, me semble-t-il, ce que le fils d’Henriette ne pouvait comprendre.
— Il a dû comprendre, Madame, que, faux ou vrai, le collier était avant tout un objet de parade, une enseigne.
M. de Dreux fit un geste. Sa femme aussitôt le prévint.
— Monsieur, dit-elle, si l’homme auquel vous faites allusion a la moindre pudeur…
Elle s’interrompit, intimidée par le calme regard de Floriani.
Il répéta :
— Si cet homme a la moindre pudeur…
Elle sentit qu’elle ne gagnerait rien à lui parler de la sorte, et malgré elle, malgré sa colère et son indignation, toute frémissante d’orgueil humilié, elle lui dit presque poliment :
— Monsieur, la légende veut que Rétaux de Villette, quand il eut le Collier de la Reine entre les mains et qu’il en eut fait sauter tous les diamants avec Jeanne de Valois, n’ait point osé toucher à la monture. Il comprit que les diamants n’étaient que l’ornement, que l’accessoire, mais que la monture était l’œuvre essentielle, la création même de l’artiste, et il la respecta. Pensez-vous que cet homme ait compris également ?
— Je ne doute pas que la monture existe. L’enfant l’a respectée.
— Eh bien, Monsieur, s’il vous arrive de le rencontrer, vous lui direz qu’il garde injustement une de ces reliques qui sont la propriété et la gloire de certaines familles, et qu’il a pu en arracher les pierres sans que le Collier de la Reine cessât d’appartenir à la maison de Dreux-Soubise. Il nous appartient comme notre nom, comme notre honneur.
Le chevalier répondit simplement :
— Je le lui dirai, Madame.
Il s’inclina devant elle, salua le comte, salua les uns après les autres tous les assistants et sortit.
⁂
Quatre jours après, Mme de Dreux trouvait sur la table de sa chambre un écrin de cuir rouge aux armes du Cardinal. Elle ouvrit. C’était le Collier en esclavage de la Reine.
Mais comme toutes choses doivent, dans la vie d’un homme soucieux d’unité et de logique, concourir au même but — et qu’un peu de réclame n’est jamais nuisible — le lendemain l’Écho de France publiait ces lignes sensationnelles :
« Le Collier de la Reine, le célèbre bijou historique dérobé autrefois à la famille de Dreux-Soubise, a été retrouvé par Arsène Lupin. Arsène Lupin s’est empressé de le rendre à ses légitimes propriétaires. On ne peut qu’applaudir à cette attention délicate et chevaleresque. »
LE SEPT
DE CŒUR