— Parbleu !

— Évidemment, parbleu, mais encore fallait-il y penser.

— Autre chose : vous ignoriez l’histoire des lettres avant que Mme Andermatt…

— En parlât devant moi ? Oui. Je n’avais découvert dans le coffre, outre la cassette, que la correspondance des deux frères, correspondance qui m’a mis sur la voie de leur trahison.

— Somme toute, c’est par hasard que vous avez été amené, d’abord à reconstituer l’histoire des deux frères, puis à rechercher les plans et les documents du sous-marin ?

— Par hasard.

— Mais dans quel but avez-vous recherché ?…

Daspry m’interrompit en riant :

— Mon Dieu ! comme cette affaire vous intéresse !

— Elle me passionne.

— Eh bien, tout à l’heure, quand j’aurai reconduit Mme Andermatt et fait porter à l’Écho de France le mot que je vais écrire, je reviendrai et nous entrerons dans le détail.

Il s’assit et écrivit une de ces petites notes lapidaires où se divertit la fantaisie du personnage. Qui ne se rappelle le bruit que fit celle-ci dans le monde entier ?

« Arsène Lupin a résolu le problème que Salvator a posé dernièrement. Maître de tous les documents et plans originaux de l’ingénieur Louis Lacombe, il les a fait parvenir entre les mains du ministre de la marine. À cette occasion il ouvre une souscription dans le but d’offrir à l’État le premier sous-marin construit d’après ces plans. Et il s’inscrit lui-même en tête de cette souscription pour la somme de vingt mille francs. »

— Les vingt mille francs des chèques de M. Andermatt ? lui dis-je, quand il m’eut donné le papier à lire.

— Précisément. Il était équitable que Varin rachetât en partie sa trahison.

Et voilà comment j’ai connu Arsène Lupin. Voilà comment j’ai su que Jean Daspry, camarade de cercle, relation mondaine, n’était autre qu’Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur. Voilà comment j’ai noué des liens d’amitié fort agréables avec notre grand homme, et comment, peu à peu, grâce à la confiance dont il veut bien m’honorer, je suis devenu son très humble, très fidèle et très reconnaissant historiographe.

LE COFFRE-FORT

DE MADAME IMBERT

À trois heures du matin, il y avait encore une demi-douzaine de voitures devant un des petits hôtels de peintre qui composent l’unique côté du boulevard Berthier. La porte de cet hôtel s’ouvrit. Un groupe d’invités, hommes et dames, sortirent. Quatre voitures filèrent de droite et de gauche et il ne resta sur l’avenue que deux messieurs qui se quittèrent au coin de la rue de Courcelles où demeurait l’un d’eux. L’autre résolut de rentrer à pied jusqu’à la Porte-Maillot.

Il traversa donc l’avenue de Villiers et continua son chemin sur le trottoir opposé aux fortifications. Par cette belle nuit d’hiver, pure et froide, il y avait plaisir à marcher. On respirait bien. Le bruit des pas résonnait allègrement.

Mais au bout de quelques minutes il eut l’impression désagréable qu’on le suivait. De fait, s’étant retourné, il aperçut l’ombre d’un homme qui se glissait entre les arbres. Il n’était point peureux ; cependant il hâta le pas afin d’arriver le plus vite possible à l’octroi des Ternes. Mais l’homme se mit à courir. Assez inquiet, il jugea plus prudent de lui faire face et de tirer son revolver de sa poche.

Il n’en eut pas le temps. L’homme l’assaillait violemment, et tout de suite une lutte s’engagea sur le boulevard désert, lutte à bras-le-corps où il sentit aussitôt qu’il avait le désavantage. Il appela au secours, se débattit, et fut renversé contre un tas de cailloux, serré à la gorge, bâillonné d’un mouchoir que son adversaire lui enfonçait dans la bouche. Ses yeux se fermèrent, ses oreilles bourdonnèrent, et il allait perdre connaissance, lorsque, soudain, l’étreinte se desserra, et l’homme qui l’étouffait de son poids se releva pour se défendre à son tour contre une attaque imprévue.

Un coup de canne sur le poignet, un coup de botte sur la cheville… l’homme poussa deux grognements de douleur, et s’enfuit en boitant et en jurant.

Sans daigner le poursuivre, le nouvel arrivant se pencha et dit :

— Êtes-vous blessé, Monsieur ?

Il n’était pas blessé, mais fort étourdi et incapable de se tenir debout. Par bonheur, un des employés de l’octroi, attiré par les cris, accourut. Une voiture fut requise. Le monsieur y prit place accompagné de son sauveur, et on le conduisit à son hôtel de l’avenue de la Grande-Armée.

Devant la porte, tout à fait remis, il se confondit en remerciements.

— Je vous dois la vie, Monsieur, veuillez croire que je ne l’oublierai point. Je ne veux pas effrayer ma femme en ce moment, mais je tiens à ce qu’elle vous exprime elle-même, dès aujourd’hui, toute ma reconnaissance.

Il le pria de venir déjeuner et lui dit son nom : Ludovic Imbert, ajoutant :

— Puis-je savoir à qui j’ai l’honneur…

— Mais certainement, fit l’autre.

Et il se présenta :

— Arsène Lupin.

Arsène Lupin n’avait pas alors cette célébrité que lui ont value l’affaire Cahorn, son évasion de la Santé, et tant d’autres exploits retentissants. Il ne s’appelait même pas Arsène Lupin. Ce nom auquel l’avenir réservait un tel lustre fut spécialement imaginé pour désigner le sauveur de M. Imbert, et l’on peut dire que c’est dans cette affaire qu’il reçut le baptême du feu. Prêt au combat il est vrai, armé de toutes pièces, mais sans ressources, sans l’autorité que donne le succès, Arsène Lupin n’était qu’apprenti dans une profession où il devait bientôt passer maître.

Aussi quel frisson de joie à son réveil, quand il se rappela l’invitation de la nuit ! Enfin il touchait au but ! Enfin il entreprenait une œuvre digne de ses forces et de son talent ! Les millions des Imbert, quelle proie magnifique pour un appétit comme le sien !

Il fit une toilette spéciale, redingote râpée, pantalon élimé, chapeau de soie un peu rougeâtre, manchettes et faux-cols effiloqués, le tout fort propre, mais sentant la misère. Comme cravate, un ruban noir épinglé d’un diamant de noix à surprise. Et, ainsi accoutré, il descendit l’escalier du logement qu’il occupait à Montmartre. Au troisième étage, sans s’arrêter, il frappa du pommeau de sa canne sur le battant d’une porte close. Dehors il gagna les boulevards extérieurs. Un tramway passait. Il y prit place, et quelqu’un qui marchait derrière lui, le locataire du troisième étage, s’assit à son côté.

Au bout d’un instant, cet homme lui dit :

— Eh bien, patron ?

— Eh bien, c’est fait.

— Comment ?

— J’y déjeune.

— Vous y déjeunez !

— Tu ne voudrais pas, j’espère, que j’eusse exposé gratuitement des jours aussi précieux que les miens ? J’ai arraché M. Ludovic Imbert à la mort certaine que tu lui réservais. M. Ludovic Imbert est une nature reconnaissante. Il m’invite à déjeuner.

Un silence, et l’autre hasarda :

— Alors, vous n’y renoncez pas ?

— Mon petit, fit Arsène, si j’ai machiné la petite agression de cette nuit, si je me suis donné la peine, à trois heures du matin, le long des fortifications, de t’allonger un coup de canne sur le poignet et un coup de pied sur le tibia, risquant ainsi d’endommager mon unique ami, ce n’est pas pour renoncer maintenant au bénéfice d’un sauvetage si bien organisé.

— Mais les mauvais bruits qui courent sur la fortune…

— Laisse-les courir. Il y a six mois que je poursuis l’affaire, six mois que je me renseigne, que j’étudie, que je tends mes filets, que j’interroge les domestiques, les prêteurs et les hommes de paille, six mois que je vis dans l’ombre du mari et de la femme. Par conséquent je sais à quoi m’en tenir. Que la fortune provienne du vieux Brawford, comme ils le prétendent, ou d’une autre source, j’affirme qu’elle existe. Et puisqu’elle existe, elle est à moi.


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: