C'était la première partie de ce que j'avais à vous dire; la deuxième sera plus personnelle.

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*Amendements qui porte son nom (1875) stipule que "le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans; il est rééligible". Pour cet amendement Mr. H. Wallon fut appelé le "père de la République (Troisième).

II

J'ai été moi-meme trente-deux ans député et trois ans sénateur. J'ai donc vécu la vie parlementaire sous tous ses aspects, pendant un tiers de siecle. Au lendemain de la guerre mondiale et de l'installation de la IVe République, puisque j'ai été élu pour la première fois au mois de novembre 1946. Pardonnez-moi de vous faire cette description "tragique". 1946-1995, j'aurai manqué de peu le cinquantenaire, mais sans regrets! Et ce n'est qu'en 1981 qu'il m'a été donné de quitter la représentation d'une circonscription déterminée, pour représenter la France tout entière. Donc quarante-neuf ans, pratiquement sans autre interruption que trois mois en 1958.

J'ai donc connu votre travail, vos responsabilités. Je n'ai jamais appartenu au bureau de l'Assemblée. Il y a donc quelque chose que j'ignore, mais j'ai pu voir à travers les couloirs de quelle manière les choses se passaient! La longue théorie des Présidents de l'Assemblée nationale, celle des Présidents du Sénat, représente une large part de notre histoire contemporaine et j'y attache une grande importance. Comment dirais-je? Une importance historique, cela va de soi, mais j'y ajoute une sorte de sentimentalité.

Je suis de naissance, par la formation que j'ai reçue, par l'éducation de ma famille, quelqu'un qui, dès que l'on parle du Parlament, éprouve un sentiment de révérence. Meme si je connais les erreurs, les fautes, les lachetés, les manquements au devoir de bien des Parlements français; il n'empeche que là est représentée la plus grande idée du monde moderne, et que là se sont exercés les plus grands talens. C'est l'histoire de deux siècles, avec quelques interruptions, vous le savez bien. Je n'engagerai pas de dialogue avec vous sur la qualité des Assemblées selon qu'elles soient une ou deux. J'ai varié sur ce sujet, mais je pense que j'aurai encore le temps de le faire. Je ne sais pas quel est le bon système. Cela veut dire sans doute qu'il n'y en a pas de bon! Mais en est-il de meilleur? Ca, Churchill et Clemenceau l'ont dit avant moi: en est-il de meilleur? La grande difficulté est moderne et contemporaine. Pour avoir été parlementaire sous la IVe et sous la Ve République, pour avoir été citoyen, déjà en mesure de réfléchir, comme étudiant sous la IIIe République, je me demande encore où se trouve l'exacte vérité. Les passions des hommes sont telles qu'à tout moment le centre de gravité de nos institutions change, se modifie. La IV République c'était une démocratie inspireé par l'anarchie: pour quelles raisons? Il fallait y réfléchir. Beaucoup l'ont fait. Les réponses ont été différentes. Mon expérience à moi me montre simplement que la IVe République, sans doute sur le plan factuel, a manqué quelques grands rendez-vous: d'abord la réforme de ses propres institutions, ensuite la décolonisation. Mais il y avait, je crois, un vice secret: l'article 13 de cette Constitution de 1946 indiquait que: "L'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit". Elle a passé son temps à le faire, parce qu'il était quasiment impossible de laisser à quatre cents, cinq cents personnes le pouvoir de tout régenter, ou d'exsercer à la fois l'exécutif et le législatif, car la distinction entre le Gouverment et le Parlement était fictive. C'est au Parlement que se réglait le sort des gouvernement, enfin théoriquement, puisqu'en fait on a pu constater que les chutes de gouvernement ont été nombreuses, mais pour former généralement le meme gouvernement. Les dissolutions, celles qui auraient pu signifier un changement de direction fondamentale de l'histoire de notre République, se ramènent, je crois, à une seule, celle qui a suivi un vote contraire à une décision du général de Gaulle en 1962. Il y a eu d'autres dissolutions par la suite, je m'en suis fait une spécialité! Ce n'est pas forcément un excellent exemple! Je crois que le général de Gaulle et moi-meme avons battu le record dans ce domaine: deux dissolutions, et encore, moi, je n'ai pas eu l'occasion d'en faire une troisième! Mais ceci dans le cadre, naturellemebt, de la loi et des institutions.

III

En vérité, le Parlement, sous notre République, a souvent généré l'instabilité. Il a été lui-meme fort stable. On n'a pas exercé le droit de dissolution sous la IIIe République . On avait décidé, à cette époque, en 1875, qu'il n'y aurait pas de chef de gouvernement. On attendait, en somme, la transformation sublime du Président de la République en roi de France et finalement le Président de la République est devenu cette "borne à laquelle on attachait le char de l'Etat", selon le mot de Clemenceau, tandis que le premier des ministres est devenu Président du Conseil, axe autour duquel tournait l'ensemble des pouvoirs.

Pour ceux qui l'auraient oublié, le premier chef du gouvernement français, Président du Conseil, si l'on veut employer ce terme — bien qu'il soit impropre —, a été Talleyrand. C'était plutot une drole de façon de commencer, selon moi!

Ensuite, cette fonction a disparu et est revenue. Lorqu'il y a eu la Restauration, le second Empire, un homme s'est toujours distingué pour diriger le Gouvernement mais n'a jamais reçu l'agrément veritable du souverain qui ne voulait pas de concurrence. On peut donc estimer que c'est à partir de la IIIe République que nos institutions, telles que nous les connaissons, meme si elles ont beaucoup varié depuis lors, ont commencé à prendre forme.

Les changements ont été constants de ce point de vue: jamais la IIIe République, qui en avait le droit, n'a dissout, et jamais le Président de la République, qui en avait le droit, n'a gouverné.

IV

Quant à la IV République, comme j'ai commencé à la définir tout à l'heure, c'est la souveraineté de l'Assemblée nationale. Elle seule put exercer ce droit mais, en meme temps, elle l'a nié, car Constitution de la IVe République a constamment permis que le droit fut délégué: décrets-lois, lois-cadres. A aucun moment, le fait n'a correspondu au droit.

Le général de Gaulle a mis un peu d'ordre dans tout cela, disons un peu plus d'harmonie. C'est le seul point sur lequel je l'approuve puisque j'ai voté contre sa Constitution, mais enfin les choses sont devenues plus claires; avec, cependant, une interrogation: qu'est devenu, que devient dans la réalité d'aujourd'hui le Parlement, avec le système qui a voulu que quatre Présidents de la République: le général de Gaulle, Monsieur Pompidou, Monsieur Giscard d'Estaing et moi-meme, puissions disposer de pouvoirs considérables, si l'on juge par la lettre et par les paroles prononcées par le général de Gaulle lui-meme devant lequel tous les pouvoirs devaint revenir, y compris le pouvoir judiciaire? Mais ça, ce serait l'objet d'une conférence de presse!

V

Je crois le Parlement assez malheureux — je pense que le Président de l'Asemblée nationale le dirait plus éloquemment que moi —, parce qu'il ne sait pas exactement où il se trouve. Les événements qui se sont produits depuis quelques décennies ont voulu que les pouvoirs du Parlement fussent rabotés, je dirais par le haut — bien que l'expression traduise mal ma pensée — avec les institutions européennes, avec les institutin os internationales, et rabotés par le bas — bien que l'expression ne corresponde pas à ma pensée non plus — par la multiplication, que j'ai desirée moi-meme, puisque je l'ai proposée, des pouvoirs décentralisés. Si bien que l'Assemblée nationale, privée du moyen de légiférer dans des domaines qui désormais ne relèvent plus de notre souveraineté seule, et par la décentralisation qui confère des pouvoirs importants aux assemblées locales, ne sait, plus exactement, où se trouve sa compétence. Et, comme dans le meme temps, certaines habitudes prises et certaines tentations auxquelles on a cédé trop souvent ont voulu que le Parlement fut contraint, enfermé dans des textes que je crois sévères, pour empecher à tout prix le débordement parlementaire,on ne voyait plus très bien par où pouvait passer le simple respect de la fonction parlementaire qui représentait une part de le nation quand il se trouvait à l'Assemblée nationale, représentait la nation tout entière, et devait pouvoir légiférer pour elle. Oui, mais légiférer sur quoi? Que lui restait-il, à ce député? Car si les problèmes de principes se posaient — j'ai dit tout à l'heure l'Europe, un certain nombre de lois intenationales, la décentralisation et les pouvoirs locaux —, d'autres moyens ont été mis en oeuvre, non pas volontairement pour détruire, mais parce que c'est comme ça, parce que le conflit des pouvoirs est la norme; quand il existe plusieurs pouvoirs, ils se combattent! L'Assemblée nationale s'est trouvée ligotée dans un certain nombre de procédures: comme celle qui fait que le Gouvemement a seul l'initiative de l'ordre du jour. Est-ce que L'Assemblée nationale peut, à armes égales, lutter, pour employer un mot que je n'aime pas en la circonstante, contre le pouvoir exécutif et imposer sa loi?


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