— Vous semblez placer beaucoup d’espoirs en ce jeune homme.

Un piège. Mais lequel, mon Dieu ?

— Il est plein d’avenir.

— J’aimerais pouvoir discuter de ces problèmes de sécurité. Avant le vote de cet après-midi, si possible.

— Bon sang, on m’attend pour le déjeuner.

— Je serais désolé de devoir laisser au comité le soin de trancher la question, docteur Emory. Je m’efforce de me montrer conciliant, mais il me semble que les événements se précipitent. En outre, ce ne sont pas mes seules inquiétudes, et je doute que vous souhaitiez m’entendre les exprimer publiquement.

Quelqu’un a parlé. Il a des contacts.

Mais à voix haute, en s’adressant à Florian :

— Informe Yanni que je suis retenue. Dis-lui de prendre ma place. Je le rejoindrai dès que possible.

Elle regarda l’amiral, désormais moins tendue. Tout cela évoquait plus une offre de marchandage qu’un tir de torpille.

— Chez vous, ou chez moi ?

— Merci, dit-elle en prenant le café que lui tendait Florian.

Ils étaient dans son bureau, avec ses gardes du corps. Les aides du militaire étaient restés à l’extérieur de la pièce : une proposition de l’amiral.

Dans le cadre d’une tentative de conciliation, peut-être.

Gorodin prit son café noir, comme la plupart des gens qui n’en buvaient qu’à l’occasion. C’était une variété très rare et authentique, importée de l’hémisphère Sud de la Terre, dans le système de Sol. C’était un des petits plaisirs qu’Ariane s’accordait, et elle prenait le sien avec un nuage de lait. Du lait véritable. Une autre folie.

— L’AG poursuit ses travaux sur ces planètes, précisa-t-elle. Un jourc

Cyteen était un enfer pollué par les silicates, lorsqu’ils avaient effectué les premières tentatives de culture dans les vallées encaissées, là où les dômes et les précipiteurs créaient des microclimats.

Un autre souvenir : des collines dans des tons de brun et de bleu-vert. Les lignes qui s’entrecroisaient au-dessus du paysage évoquaient la toile d’une mouche tisseuse. Sur les sommets, les grands miroirs captaient la lumière en provenance de l’espace et la convertissaient en énergie, pendant que les météorisateurs en orbite déclenchaient des orages, de véritables ouragans qui ébranlaient le sol. Nous ne risquons rien, Ari,disait maman. Ce ne sont que des bruits. Le temps, voilà toutc

Leonid Gorodin buvait son café à petites gorgées, l’air détendu. Ce fut en souriant qu’il déclara :

— Selon certaines rumeurs, le projet Rubin serait placé sous votre unique responsabilité. Une expérience personnelle, en quelque sorte. Mais vous ne pouvez rien faire sans modifier l’équilibre actuel des forces entre nous, l’Alliance, et Sol. J’en ai parlé à Lu. Nous nourrissons de vives inquiétudes à ce sujet.

— Nous assurons notre propre sécurité. Nous y sommes toujours parvenus.

— Dites-moi une chose, docteur Emory. Cette expériencec pourrait-elle avoir des conséquences sur le plan stratégique ?

Piège.

— Je présume que pour certains de vos conseillers la mise au point d’une nouvelle lunette de cuvette hygiénique peut avoir une importance militaire, amiral.

Gorodin s’autorisa un petit rire puis attendit la suite.

— C’est entendu, fit-elle avec calme. Nous aimerions bénéficier du soutien de votre bureau, pour ce vote. Si vous préférez que cette installation soit construite à un autre emplacement, nous la déplacerons. À Station Cyteen, s’il le faut. Nous sommes disposés à nous montrer conciliants. Nous désirons simplement ne pas perdre Rubin.

— Serait-il important à ce point ?

— Oui.

— Je vais vous faire une proposition, D r Emory. Vous avez préparé un ordre du jour. Vous souhaitez qu’il soit accepté. Vous désirez que ces autorisations vous soient accordées et que les Finances entérinent votre budget le plus vite possible. Vous aimeriez regagner Reseune et je voudrais retourner à mon quartier général, où du travail m’attend. Je vous avouerais en outre que je suis allergique à la politique et que j’ai horreur des mondanités.

— Je suis pressée de rentrer chez moi, c’est exact.

Ils exécutaient une danse. Et l’amiral menait le bal.

— Parlez-moi franchement du projet Lointaine, dit-il.

— Disons qu’il se rapporte à des études génétiques, de la recherche pure.

— Aurez-vous des labos et utiliserez-vous des techniques de pointe, là-bas ?

— Non, une simple antenne médicale. Analyses. Travaux administratifs. Rien de top secret.

— Dois-je en déduire que vous y effectuerez de simples activités de surveillance ?

— C’est exact. Aucun labo de naissance.

Gorodin regarda sa tasse vide puis les deux azis. Il la leur tendit.

— Florian, dit Ariane.

L’azi inclina la tête et alla prendre la cafetière posée sur le placard. Le militaire suivit le serviteur des yeux, paraissant absorbé par ses pensées.

— Vous pouvez compter sur leur discrétion, déclara Ariane. Ils ont été programmés à ne répéter aucune discussion. La plus belle réussite de Reseune. N’est-ce pas Florian ?

— Oui, sera, approuva l’azi.

Il servit une deuxième tasse qu’il lui proposa.

— La beauté alliée à l’intelligence, commenta-t-elle.

Mais seule sa bouche souriait, pas ses yeux.

— En outre, l’Alliance ne souhaite pas se doter de labos de naissance. Elle n’a aucun monde à peupler.

— Il convient de bien étudier la question. Qui sera responsable des installations de Lointaine ?

— Yanni Schwartz.

Gorodin se renfrogna et but une gorgée de café.

Ah !pensa Ariane. Nous approchons du but.

— Je vais vous dire une chose, D r Emory. Certains membres de mes services doivent aller régulièrement à l’hôpital psych de Viking et – pour des raisons politiques – j’aimerais disposer d’un établissement de soins plus proche de la route que doit suivre votre station Espoir. Je parle d’un centre capable d’accueillir les cas les plus graves, sans qu’ils aient à transiter par la station.

— Pour des raisons particulières ?

— Je me réfère à nos agents spéciaux qui doivent changer d’identité et dont nul ne doit voir le visage. Ces hommes vivent dans l’angoisse. Ils se sentent vulnérables, à bord des grandes stations. Leur stress serait moins grand dans un établissement qui dépendrait de Reseunec mais pas sur Cyteen, c’est évident.

Ariane ne prit pas la peine de dissimuler sa perplexité. Tout cela lui paraissait absurde.

— Ce que je veux, c’est disposer d’un lieu où mes agents se sentiraientc en sécurité, conclut Gorodin. Où je saurais qu’ils ne risquent rien. Je compte y consacrer une partie du budget occulte de la Défense, ainsi que du personnel.

— Pas de militaires.

— Je parle d’une contribution importante à cette installation. Je peux vous la fournir.

— Aucun soldat. Que des gens de Reseune. Et il serait préférable que votre participation soit conséquente, amiral. Vous nous obligez à revoir la totalité du projet. En outre, je ne tolérerai pas que l’expérience en cours soit compromise par la présence de vos hommes. J’exige une séparation totale entre la section militaire et la nôtre.

— J’accepte bien volontiers. Il sera toutefois nécessaire d’assurer une liaison permanente et je pense à un homme qui bénéficierait de la confiance des deux parties concernées, quelqu’un avec qui nous avons déjà eu l’occasion de travailler.

L’idée la cingla comme un jet d’eau glacée. Il lui était difficile de ne pas réagir, de ne pas briser entre ses doigts l’anse fragile de sa tasse.

— À qui pensez-vous ?

— Au P rWarrick, à l’homme qui a conçu nos bandes d’entraînement. C’est lui que nous voulons, D r Emory.

— Et lui, veut-il de vous ?

Avec calme. Un calme admirable.

— Il suffit de le lui demander.


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